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Sun, le dernier combat

Plus que jamais, la firme de Scott McNealy joue les trublions de la micro. Après avoir affronté IBM, Intel et HP, et tout en relançant une offensive contre Microsoft, Sun s’est désigné une nouvelle cible : EMC, leader mondial du stockage.

Scott McNealy, l’emblématique CEO de Sun Microsystems, n’en démord pas : l’ennemi héréditaire de sa compagnie reste Microsoft, et son fondateur Bill Gates. Mais cette vieille rivalité ?” qui a contribué à forger l’identité de Sun ?” ne suffit plus depuis longtemps à calmer son agressivité et à satisfaire son goût du mot cinglant. Celui qui, en son temps, avait comparé la stratégie de Bill Gates à celle d’un dealer, affirmant qu’avec la compagnie de Redmond, “seul le premier rail d’héroïne est gratuit “, entend désormais s’attaquer au leader mondial du stockage, EMC.En pleine trêve estivale, début août, Sun annonçait avoir signé un accord de commercialisation d’une durée de trois ans avec Hitachi Data Systems (HDS). Aux oubliettes la déclaration orgueilleuse de Scott McNealy prononcée en mai 2001, lorsqu’il affirmait que “Sun ne serait jamais un revendeur [et] ne vivrait jamais de commissions tirées de la recherche et développement d’une autre société “. L’urgence était au réalisme. Il fallait se sortir d’une position dangereuse.

Une stratégie corrigée

Sur un marché du stockage qui a enregistré une croissance de 20 % l’an dernier, soit trois fois le taux de croissance du marché des serveurs, Sun n’est que le quatrième compétiteur, derrière EMC, HP-Compaq et IBM. Il apparaissait depuis longtemps que Sun n’avait pas une offre en stockage digne de ce nom, considérant ce marché comme un simple complément de celui des serveurs, mais certainement pas comme un enjeu majeur.Lorsque ses clients avaient besoin de produits de stockage, ils se tournaient alors vers EMC. Combler ce trou dans le segment de serveurs haut de gamme est devenu rapidement une priorité. “Nous ne réaliserons pas nos objectifs de croissance en négligeant l’activité stockage “, affirme Claude Steinmayer, directeur développement des ventes et support pour l’activité Global Network Storage de Sun.L’accord avec HDS ajoute au catalogue de Sun une gamme de systèmes de stockage haut de gamme, des logiciels spécifiques, et étoffe son expertise technologique en matière d’architectures spécifiques SAN (Storage Area Network) et NAS (Netware Attachment Storage).L’objectif à moyen terme de Sun est de bouter EMC hors de sa clientèle de grands comptes, et de lui faire perdre les parts de marché qu’il avait facilement gagné du fait de l’absence d’offre de Sun.” Il faudra néanmoins en-tre deux et trois ans pour que Sun rattrape son retard et soit en position de contrarier réellement EMC “, prévoit Jean-Michel Guillou, directeur marketing Europe de la business unit Recovery Storage Management de BMC, éditeur de solutions d’administration du stockage. ” Cette situation s’installera progressivement au fur et à mesure de l’obsolescence de la technologie des générations actuelles de produits. “Au-delà d’un duel entre Sun et EMC, Jean-Michel Guillou estime que le marché du stockage haut de gamme voit plutôt s’affronter deux camps, EMC d’un côté, Sun, IBM et HP-Compaq de l’autre : ” Tout le monde est désormais à l’affût du numéro 1. Les beaux jours d’EMC sont derrière lui. Ses parts de marché vont s’éroder. “

Concurrence mais respect

Malgré ce constat alarmiste, chez EMC, l’heure n’est pas à l’inquiétude. On se garde néanmoins de tout mépris à l’égard de l’adversaire. “Nous sommes vigilants et attentifs “, reconnaît Hani Roumieh, directeur marketing d’Europe d’EMC.” Sun a désormais une offre dans le haut de gamme et se place en frontal face à nous. Mais seulement 15 % de notre chiffre d’affaires se fait sur des serveurs Sun. Ce qui est bien loin des 35 à 40 % avancés péremptoirement par leurs équipes “, analyse-t-il avant de préciser que sur ces 15 % de chiffre d’affaires, près de la moitié est réalisée sur des environnements hétérogènes, associant des serveurs Sun mais aussi ceux d’autres acteurs tels que Microsoft…” Le dénigrement permanent du management de Sun à l’égard de Microsoft et le manque d’expertise de la compagnie joue grandement en leur défaveur à l’heure où les clients travaillent de plus en plus dans des environnements hétérogènes “, fustige Hani Roumieh.Les analystes estiment toutefois que la partie paraît bien engagée pour le nouvel entrant. ” Sun n’a pas besoin de construire de technologie sur le stockage haut de gamme “, explique Bob Zimmerman, du Giga Information Group. Son partenaire HDS la lui apporte.L’investissement financier est minimal et le produit ” très concurrentiel “, juge-t-il. En outre, Veritas, Oracle et Sun ont décidé de coordonner leurs efforts de maintenance logiciels, de tests et de certification. Cet accord dote Sun d’un ” puissant service ” et d’une nouvelle possibilité de vente pour les ingénieurs marketing.” N’oubliez pas, ajoute Bob Zimmerman, que Sun vend déjà 2 à 2,5 milliards de dollars [2,17 à 2,71 milliards d’euros] en produits d’archivage. Ses vendeurs savent très bien placer ses solutions aux clients traditionnels “. L’accord conclu avec Oracle et Veritas permet d’élargir ce potentiel. ” Quand une société cliente de Veritas appellera le service commun, elle pourra repartir avec une solution Sun “, complète Bob Zimmerman.

Le Web SSO en ligne de mire

La nouvelle campagne contre EMC n’amoindrit nullement les velléités de Sun d’en découdre avec Microsoft. La dernière marotte de Scott McNealy est de bousculer Bill Gates sur le secteur du Web Single Sign On (SSO). Entrent dans cette dénomination, Passport, de la firme de Redmond, et Magic Carpet, le projet d’AOL.Ces systèmes permettent aux internautes d’enregistrer une fois pour toutes leurs informations personnelles, évitant ainsi d’avoir à s’identifier sur chacun des sites qu’ils visitent. Pour Sun, il était hors de question de laisser à Microsoft le monopole de la gestion de ce type de données personnelles. D’où le sens de ” Liberty Alliance “, une initiative de Sun qui réunit une trentaine d’entreprises pour développer une offre alternative de Web SSO.” Nous entendons apporter une réponse technologique à un besoin de service, explique Eric Mahé, responsable marketing des technologies Java de chez Sun France. L’objectif est de créer un consensus industriel reposant sur une déontologie clairement définie, qui débouchera sur une spécification technique laissant la part belle à l’interopérabilité. “Un enjeu majeur, de l’aveu même de Jonathan Schwartz, vice-président de Sun, à l’annonce du projet ” Liberty Alliance ” : “La maîtrise de l’identité de la personne est fondamentale pour tout le business. Je dirai même que c’est le centre de notre activité. Le problème, c’est que pour y parvenir, il faut déjà unifier, harmoniser les données concernant chaque personne. Car, pour l’heure, les entreprises disposent de nombreux fichiers différents. Il faut, non pas un fichier unique, mais davantage d’interopérabilité entre les fichiers et les systèmes capables de les faire fonctionner “.Sun n’arrive peut-être pas trop tard sur le marché du Web SSO. Certes, Microsoft “ a pris de l’avance sur tout ce qui concerne les sites commerciaux “, observe Randy Heffner, vice-président du Giga Information Group. Mais, poursuit cet analyste, “il reste encore des opportunités en dehors du commerce, dans les services et les banques”. Eric Mahé ne manque pas de rappeler que ce qui compte ce n’est pas tant l’avance mais le savoir-faire, balayant l’idée que les pionniers monopolisent le marché.

Guerre des chiffres…

Neil Mac Donald, directeur de recherche du Gartner Group, partage ce point de vue. Il estime que le chiffre de 165 millions de membres avancé par Microsoft pour son Passport est très surestimé. “Ce nombre nous laisse sceptiques, explique-t-il, car les responsables de Microsoft y incluent tous les usagers du “MSN Instant messenger” et du service “Hotmail”, qui sont des adhérents passifs. La plupart ne connaissent pas “Passport” et ne s’en servent pas.”Sun a donc une belle carte à jouer. Et son approche “ouverte à une coalition de vendeurs” séduit beaucoup plus le représentant de Gartner, qui aimerait voir d’autres grands noms du métier (IBM, Amazon ou AOL) rejoindre l’alliance, et créer ensemble un standard unique. Mais il faut faire vite, renchérit Randy Heffner.Car pour l’instant, ” Sun a réuni les partenaires mais ne possède pas la technologie. Le groupe dispose tout juste de 3 à 4 mois pour montrer la direction technologique qu’il va suivre. Il faut nous montrer quelque chose vite, sinon il ne sera pas crédible “. Et Microsoft aura disposé du temps nécessaire pour lier son Passport au reste de son univers : Windows, Internet Explorer et Hotmail…

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Christophe Dupont, avec Caroline Talbot à New York