Lors de son allocution du lundi 13 avril, le président de la République, Emmanuel Macron a confirmé la mise en place d’une application de « contact tracing » en France. « Plusieurs innovations font l’objet de travaux avec certains de nos partenaires européens, comme une application dédiée, qui sur la base du volontariat et de l’anonymat, permettra de savoir si, oui ou non, l’on s’est retrouvé en contact avec une personne contaminée. Vous en avez sûrement entendu parler », a-t-il déclaré. Le chef de l’État a dans la foulée rappelé que « cette épidémie ne saurait affaiblir notre démocratie, ni mordre sur quelques libertés ».
Non à un « pistage massif »
Pourtant, depuis l’annonce de son lancement le 9 avril dans les colonnes du Monde, les avis défavorables à l’application gouvernementale, baptisée « StopCovid », sont innombrables. De nombreuses voix s’élèvent contre ce projet, jugé liberticide. Aux premiers rangs, il y a les députés de la majorité. Rassemblés autour de Paula Forteza, très au fait des sujets numériques, quinze élus ont signé une tribune dans Le Figaro le 8 avril. Ils étayent leur opposition à un tel projet.
« La première est technique: cette solution n’est pas gage d’efficacité », écrivent-ils, pointant du doigt l’imprécision du Bluetooth et les risques de « faux positifs », doublés de la facture numérique sur le territoire. « Pour que cette application récupère la quantité de données suffisantes à son bon fonctionnement, il faudrait qu’au moins 60 % de la population la télécharge », relatent-ils. Or, « même à Singapour » le taux de téléchargement n’a été que de 19 % d’après les députés.
https://twitter.com/PaulaForteza/status/1247865800322699264
Imposer un « dilemme moral »
« La seconde objection est d’ordre éthique. Poser les bases techniques et juridiques d’un traçage numérique et individuel de la population constitue un changement de paradigme majeur par rapport à nos usages numériques. » Les quinze élus appellent à ne pas prendre une telle décision dans un climat d’urgence et « sans consultation publique, ni débat parlementaire ». Une inquiétude à laquelle le président de la République a répondu qu’il souhaitait « qu’avant le 11 mai nos assemblées puissent en débattre et que les autorités compétentes puissent nous éclairer ».
Enfin, la tribune souligne le « dilemme moral » imposé aux citoyens. « Serions-nous fautifs si nous ne téléchargeons pas cette application ? La pression sociale ou le sentiment de culpabilité pourrait faire naître un consentement induit. Jusqu’où ira la communication publique gouvernementale pour assurer le succès d’une telle application? », interrogent les quinze députés rappelant tout de même qu’il ne faut pas céder aux réflexes technophobes.
« Ce n’est pas seulement un débat médical et juridique »
Un peu avant la déclaration du président de la République, d’autres voix se sont levées contre le dispositif, notamment dans l’opposition. Interrogé par Paris Match, le député Les Républicains Philippe Gosselin confiait qu’il voyait d’un mauvais oeil l’emballement qui auréole l’appli gouvernementale « StopCovid ». Membre de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) depuis plus de dix ans, le député met en parallèle les fondements de cette commission dans les années 1970 et les inquiétudes actuelles. « C’est l’époque où les premiers fichiers sont mis en place et commencent à être croisés. Début 1974, un fichier baptisé Safari met le monde politique en émoi. […] Cela aboutit à la loi du 6 janvier 1978 qui crée la Cnil, un organisme précurseur. », se souvient-il. « Aujourd’hui, ce n’est pas seulement un débat médical et juridique : c’est aussi un débat éthique. »
Même son de cloche au sein de l’institution. Auditionnée par l’Assemblée nationale le 8 avril, la Cnil s’est montrée très prudente quant à l’utilisation du telle application. « Il est encore difficile d’évaluer [les] bénéfices effectifs [de ces nouvelles technologies, NDLR], d’autant plus que les usages peuvent varier selon le type de données collectées et les finalités poursuivies », a souligné Marie-Laure Denis, présidente de la Cnil.
Des garanties techniques exigées
L’aspect principalement juridique du débat a également provoqué la mobilisation de l’Observatoire des libertés et du numérique, composé d’organisations étiquetées à gauche : la Ligue des droits de l’Homme, des syndicats de la magistrature (SM) et des avocats de France (SAF) ou encore de la Quadrature du Net. « Les utilisations envisagées de nos données personnelles (applications utilisant le Bluetooth pour le suivi des contacts) ou déjà mises en œuvre (géolocalisation) constituent une grave atteinte à nos libertés et ne sauraient être autorisées, ni utilisées sans notre consentement », alertent-ils à l’unisson.
Le collectif demande des conditions strictes d’utilisations de ces informations sensibles. « Nous devrions être informés du moment où ces données sont anonymisées, notre consentement devrait nous être demandé, des informations faciles à lire et à comprendre devraient nous être fournies pour permettre un consentement libre spécifique et éclairé. Des garanties devraient également être fournies sur les techniques utilisées pour rendre impossible leur ré-identification », détaillent-ils.
Des valeurs « contraires à notre culture »
En outre, ils rappellent également que le caractère volontaire du téléchargement ne peut empêcher une « pression patronale ou sociale qui pourrait exister avec une telle application, éventuellement imposée pour continuer de travailler ou pour accéder à certains lieux publics » qui serait discriminatoire et imcompatible avec le principe de consentement libre consacré par le RGPD.
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