Décidément, il était écrit que l’Internet Protocol (IP) absorberait, au moins potentiellement, tous les types de trafics. Seuls les flux liés au stockage échappaient jusqu’alors à cet appétit, demeurant la chasse gardée du protocole SCSI sur Fibre Channel, base des réseaux de stockage SAN (Storage area networks). Coup de théâtre, en début d’année, lorsque, après une discrète gestation de plusieurs mois, le protocole iSCSI, alias SCSI sur IP, fait son entrée en scène, essentiellement sous l’impulsion d’IBM et soutenu par Cisco Systems et Adaptec.Même si sa mise en ?”uvre est complexe, l’iSCSI se base sur un principe très simple, qui consiste à encapsuler puis à désencapsuler le protocole SCSI dans des trames IP. Celles-ci sont transportées par le protocole TCP, via un réseau Ethernet. On reste, par conséquent, en mode bloc physique de bout en bout, à l’instar du SCSI sur Fibre Channel et par opposition au mode fichier d’un protocole comme NFS. Il s’agit ainsi de réaliser, fonctionnellement, de véritables réseaux de stockage SAN sur des réseaux IP basés sur Gigabit Ethernet.
Une course poursuite avec le Fibre Channel
Les ressources sur lesquelles sont réalisés l’encapsulation iSCSI ainsi que le processus inverse sont essentiellement les cartes réseaux des serveurs et les contrôleurs des sous- systèmes de stockage. Mais il peut également s’agir de la passerelle entre un réseau Fibre Channel et un réseau Ethernet. Autant de n?”uds sur lesquels le protocole iSCSI doit être mis en ?”uvre. Les routeurs et les commutateurs du réseau IP ne sont, pour leur part, pas concernés, sauf lorsqu’ils intègrent des cartes leur permettant de jouer le rôle de passerelle.Ce SCSI sur IP va-t-il supplanter le désormais traditionnel SCSI sur Fibre Channel ? Les investissements réalisés depuis deux ans par les entreprises seraient-ils déjà caducs ? Dès à présent, le marché est tiraillé entre deux voies : soit restreindre le stockage sur IP à des niches qui pourraient, au mieux, s’élargir avec le temps ?” la plupart des acteurs soutiennent, pour l’instant, cette thèse ; soit s’engager sur la voie de l’iSCSI, ce qui constituerait une évolution cohérente. Telle est la direction qu’a choisie, logiquement, Cisco, qui voit dans l’iSCSI l’opportunité d’entrer sur le marché des SAN. L’une des clés du succès réside dans la course poursuite entre les deux technologies.Aujourd’hui, l’iSCSI souffre de performances médiocres. Mais l’émergence d’implémentations matérielles de plus en plus efficaces lui permettra, dans les trois prochaines années, de se rapprocher du débit théorique du Gigabit Ethernet, soit 1 Gbit/s ou 125 Mo/s.De plus, le passage au 10 Gigabit Ethernet lui offrira bientôt l’occasion, du moins sur le papier, de dépasser le Fibre Channel. Ce dernier n’est cependant pas non plus en reste. Son passage aux 2 Gbit/s est déjà consommé. En outre, ses promoteurs ont décidé de sauter l’étape du 4 Gbit/s, pour atteindre plus rapidement les 10 Gbit/s.La lutte se déroulera aussi sur le terrain de l’interopérabilité. De ce point de vue, les réseaux SAN basés sur Fibre Channel n’ont pas encore résolu tous leurs problèmes. Mais l’iSCSI n’en est pas affranchi. En effet, bien qu’il emprunte les chemins tracés par IP, il requiert une compatibilité des cartes adaptateurs des serveurs avec les contrôleurs des sous-systèmes de stockage et, éventuellement, avec les passerelles entre iSCSI sur Ethernet et SCSI sur Fibre Channel. Un point qui reste en suspens, puisque l’IETF n’a pas encore approuvé la proposition de standard déposée par Cisco et IBM.Cette absence de normalisation officielle est avancée par de nombreux acteurs du stockage pour justifier leur attentisme. Certes, côté cartes adaptateurs, les fabricants, tels Emulex, Intel ou Adaptec, y vont tous de leurs annonces, avec des produits de première génération dont les implémentations matérielles iSCSI ne déchargent que partiellement le serveur hôte.
IBM, seul à ouvrir le bal des produits de stockage iSCSI
Pour l’instant, du côté des constructeurs de stockage, seul IBM a ouvert le feu, avec sa gamme TotalStorage, dont le contrôleur iSCSI est constitué d’un serveur externe de type Netfinity sous Linux. Plusieurs acteurs pourraient toutefois le rejoindre dans les mois qui viennent. À commencer par Network Appliance, qui va bientôt annoncer un serveur de fichiers supportant à la fois des attachements iSCSI-Ethernet et Fibre Channel, ainsi que le système de fichiers DAFS.Le leader lui-même, EMC, n’est pas insensible aux sirènes de l’iSCSI. “Compte tenu de ses performances encore médiocres et de l’absence de standardisation, il est prématuré de lancer des produits. Mais, cela viendra car l’iSCSI est une technologie importante”, affirme Alain le Prado, directeur marketing produit d’EMC. Chez Sun Microsystems, Laurent Bartoletti, responsable marketing produit ligne de stockage, se montre plus précis : “Nous travaillons sur l’iSCSI, car il est probable que le NAS, le SAN et le DAS fusionnent sur IP. C’est pourquoi nous avons pris une part dans Nishan Systems.”Dell et Quantum ont aussi misé sur cette jeune pousse spécialisée dans le stockage sur IP. Quant à HP, qui s’est associé à Adaptec, il se montre très volontariste : “Nous serons les premiers à proposer une solution iSCSI complète”, déclarait ainsi récemment John McHugh, directeur général de la division Network Infrastructure Solutions de HP.
Au-delà des performances décevantes, les problèmes de coût
Pauvreté de l’offre et performances médiocres : si l’iSCSI parvenait à corriger ces défauts de jeunesse, rien ne dit qu’il tiendrait ses promesses en termes de coût. Ainsi, le prix des composants dédiés, qui lui permettront de rivaliser avec les performances de Fibre Channel, pourrait altérer sa compétitivité. De plus, la convergence des infrastructures ne sera pas forcément au rendez-vous. Il serait, ainsi, peut-être nécessaire de réserver à l’iSCSI des réseaux Ethernet physiquement distincts.Tel est le conseil donné aujourd’hui par les promoteurs de ce protocole. “Nous allons voir arriver des cartes adaptateurs dotées de 4 ports Gigabit Ethernet, qui permettront de raccorder les serveurs aux réseaux de données et de stockage, tout en supportant des fonctionnalités d’équilibrage de charges et de reprise sur incident”, affirme Bruno Grosso, architecte stockage sur IP chez IBM. À moyen terme, il serait pourtant logique de chercher à faire passer ces flux par les tuyaux existants, dédiés aux applications. On devrait alors augmenter leur débit et prévoir une différenciation efficace des flux, qui pourrait imposer le déploiement de serveurs de règles de qualité de service, voire la migration vers IP v. 6.En fin de compte, un iSCSI à la fois économique et performant est peut-être illusoire. “Si l’on admet que l’iSCSI offrira un jour les mêmes performances que le Fibre Channel, son coût sera alors équivalent. Mais, cela n’arrivera pas avant deux ou trois ans. D’ici là, le Fibre Channel aura augmenté sa base installée à un rythme de 100 % par an en Europe”, affirme Paul Trowbridge, responsable marketing Europe de Brocade Communications, sans doute le constructeur le plus exposé à un recul de la technologie Fibre Channel.En écho, les plus ardents défenseurs de l’iSCSI limitent encore leurs ambitions. “Nous éviterons un recouvrement avec les SAN traditionnels, ce qui signifie que nous pousserons l’iSCSI jusqu’à la limite de ce que sait faire le Fibre Channel”, précise Pierre Liger, responsable de l’entité Stockage d’IBM France.Parce qu’il est impossible de faire abstraction du poids des technologies SAN existantes, les promoteurs de l’iSCSI le destinent à les compléter. D’abord, en ciblant les PME, dont les directions informatiques sont rebutées par les SAN traditionnels, qui requièrent des compétences nouvelles et des investissements importants.L’iSCSI peut également parier sur la complémentarité en permettant, dans les grandes entreprises, l’extension du SAN à des zones qu’il serait trop coûteux de couvrir à l’aide de la technologie Fibre Channel. Il faut, par conséquent, assurer l’interopérabilité des technologies iSCSI et Fibre Channel, ce qui n’est pas fondamentalement difficile, puisque l’une comme l’autre transportent un protocole SCSI.
Cisco et Nishan visent l’intégration
Cette problématique d’intégration constitue le créneau ciblé par deux constructeurs ?” Cisco et Nishan Systems. Cisco a emprunté à Brocade sa technologie de commutation Fibre Channel dans le but de concevoir un routeur-passerelle. “L’objectif est de connecter au SAN existant des serveurs qui ne peuvent être raccordés qu’en IP”, explique Bernard Zeutzius, responsable produit Europe pour le stockage en réseau de Cisco France.
Assurer une transition en douceur vers le tout-IP
Ainsi, le Cisco SN 5420 Storage Router est un équipement empilable. Il est doté d’un port Gigabit Ethernet et d’un port Fibre Channel. Il implémente le protocole iSCSI, afin d’en- capsuler ou de désencapsuler le protocole SCSI pour aller respectivement vers la carte iSCSI d’un serveur connecté en Gigabit Ethernet ou vers l’épine dorsale Fibre Channel d’un réseau SAN.La démarche de Nishan est, quant à elle, plus ambitieuse que celle de Cisco. En effet, elle vise à fédérer aussi bien des réseaux et des ressources Fibre Channel que l’iSCSI ou le SCSI parallèle, souvent incontournable lorsqu’il s’agit de raccorder des lecteurs de cartouches à bande.L’objectif final, ici, est d’assurer non pas une cohabitation avec les SAN classiques, mais une transition en douceur vers le tout-IP. La gamme comprend différentes passerelles, qui mettent en ?”uvre une technologie propriétaire, baptisée SoIP (Storage over Internet protocol), dont la vocation est d’intégrer la plupart des couches de transport standards.
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