Si vous cherchez une reconstitution fidèle et documentée de la vie de Steve Jobs, passez votre chemin. Le film de Danny Boyle ne vous expliquera rien -ou presque- de l’enfance, des études, du mariage ou de la maladie de cet homme mort prématurément. Quant aux geek, ils apprendront peu de choses -et c’est dommage- de l’impact qu’a eu Steve Jobs sur l’informatique. L’intérêt du film est ailleurs : percer le mystère de cette personnalité adulée et énigmatique à travers le prisme de ses relations aux autres.
Pour cela, le scénariste Aaron Sorkin a choisi de se focaliser sur trois moments clefs : le lancement du Macintosh en 1984, celui du NeXTcube en 1988 et enfin de l’iMac en 1998. Trois séquences où l’on suit Steve Jobs durant les 40 minutes précédant la conférence de presse, le tout se terminant invariablement au moment où le rideau doit s’ouvrir. A chaque fois, il va être confronté aux mêmes six personnages : sa fidèle collaboratrice en charge du marketing Joanna Hoffman, son ami informaticien et cofondateur d’Apple Steve Wozniak, le patron d’Apple de 1983 à 1993 John Sculley, le responsable du système d’exploitation du Macintosh Andy Hertzfeld, son ex-petite amie Chrisann Brennan et sa fille naturelle Lisa Brennan.
Evidemment, tout cela n’est que pure convention. Lisa ne gambadait pas dans les jambes de son papa avant chaque lancement de produit, Steve Jobs n’a pas reparlé à John Sculley après que ce dernier l’a évincé d’Apple en 1985 et Johanna Hoffman, partie à la retraite dès 1995, ne présidait pas aux destinées de l’iMac en 1998.
Le procédé semble un peu artificiel, malgré l’excellente interprétation des comédiens, et vire parfois à l’exercice de style pour le scénariste Aaron Sorkin (dialogues bavards, urgence des situations, sens de la formule, tragique shakespearien). Il a cependant le mérite de livrer une sorte de condensé de la psychologie du héros. Comme dans The Social Network où l’on pouvait avoir l’impression de rentrer dans la tête du nerd Mark Zuckerberg, le film nous donne l’opportunité de comprendre comment fonctionne Steve Jobs.
Dur, exigeant et manipulateur, il n’hésite pas à demander l’impossible et à humilier ses collaborateurs. Pas par méchanceté gratuite, mais parce que plus rien ne compte lorsqu’il poursuit un objectif de façon obsessionnelle. Il est aussi persuadé qu’il obtiendra davantage en se montrant inflexible. Les autres ne représentent alors plus que des moyens de parvenir à ses fins. Son pouvoir d’attraction et de persuasion est tel qu’il parvient sans peine à les galvaniser et à les faire se dépasser. C’est le fameux « champ de distorsion de la réalité » provoqué par Jobs, tellement persuasif qu’il aurait été capable de faire croire à son équipe que le ciel était vert. Lorsqu’Andy Hertzfeld lui annonce en 1984 que le Macintosh vient de buguer et que la voix de synthèse ne pourra dire « Hello » lors de la présentation, Jobs s’acharne sur lui et le menace jusqu’à ce qu’il réussisse in-extremis à reprogrammer l’ordinateur.
Et que dire de cette ingratitude légendaire, incarnée par sa relation ambivalente avec Steve Wozniak, qui dans le film se rend à toutes les keynotes d’Apple dans l’espoir que son ex-collaborateur reconnaisse enfin ses compétences et rende publiquement hommage à l’équipe qui avait développé l’Apple II. Ce qui nous vaut deux échanges d’anthologie. Le premier, en 1988 :
– « Tu ne sais pas coder, tu n’es pas un ingénieur, qu’est-ce que tu fais ? interroge Wozniak.
– Les musiciens jouent d’un instrument, je dirige l’orchestre », répond Jobs.
Le second a lieu dix ans plus tard et se conclut par ce dialogue abrupt :
– « Tes produits valent mieux que toi », lance Wozniak
–« C’est le but », réplique Jobs.
Arrogant, distant et sans scrupule dans les années 80, le caractère de Steve Jobs va cependant gagner en humanité au fil du temps. Et Sorkin prend intelligemment le parti de lier sa réussite professionnelle lorsqu’il revient chez Apple à cette évolution personnelle positive.
Le personnage de sa fille Lisa, que Jobs tarde à reconnaître, tient une place centrale et probablement démesurée dans le long métrage par rapport à la réalité. Mais il a le mérite de fonctionner comme un miroir de la réception de ses produits par le public : d’abord rejetés, ils finissent par être acceptés et même adorés.
La reconstitution des différentes époques est particulièrement soignée et réussie, servie par un format vidéo de tournage chaque fois spécifique et judicieusement choisi : le 16 mm en 1984, le 35 mm en 1988 et le numérique haute définition en 1998.
Dommage que le film reste confiné en mode huis clos étouffant virant au théâtre filmé, même si le réalisateur Danny Boyle a opté pour de nombreux plans séquences et une caméra au poing qui permet de suivre de façon fluide les comédiens en mouvements. Au final, on a l’impression de se retrouver à la place d’un scientifique qui observerait Steve Jobs avec la rigueur d’un microscope. Prisonnier de son concept, le long métrage donne ainsi peu de prises à l’émotion.
La scène la plus réussie parce que la plus touchante reste celle où Steve Jobs se retrouve dehors, sur le toit de la salle de concert du Davies Symphony Hall, face à sa fille Lisa qui le toise du haut de ses 19 ans. Quand elle lui demande pourquoi il a été si absent et injuste avec elle, il répond simplement et avec tristesse : « Je suis mal fait ». Un aveu de faiblesse incroyable de la part ce perfectionniste. A ce moment-là, tout bascule et on se dit finalement que Steve Jobs était peut-être… humain.
Vous pouvez gagner des places pour la projection privée du film le 27 janvier prochain en participant à notre jeu-concours.
🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.