Les panneaux d’affichage défraîchis que l’on découvre encore en s’aventurant dans les couloirs des entreprises, et sur lesquels les syndicats exposent leurs revendications, appartiendront-ils bientôt au passé ? Question légitime avec l’émergence d’un nouvel espace d’expression syndicale sur les intranets.Désormais, dans l’informatique (chez Atos) et même dans les secteurs à forte tradition sociale ou syndicale (chez Renault ou France Telecom, par exemple), les directions des ressources humaines des entreprises ouvrent leurs systèmes informatiques aux représentants du personnel. Si la loi octroie à ces derniers un droit à l’expression, notamment sur les murs des sociétés, ils ne peuvent compter que sur le bon vouloir des employeurs pour accéder aux réseaux informatiques internes.
Les syndicats encore lésés
Les entreprises pionnières du CAC 40 qui ont signé des accords en ce sens avec les syndicats se comptent encore sur les doigts des deux mains. “Chez la majorité de nos clients, les salariés peuvent lire sur intranet les compte-rendus des réunions du comité d’entreprise (CE). Mais l’accès des organisations syndicales au réseau interne est beaucoup plus rare“, constate pour sa part Lydia David, spécialiste des relations sociales à l’institut de formation Cegos (Commission générale d’organisation scientifique).Pourtant, les DRH affichent des positions de principe généralement favorables à ce nouveau canal d’expression. “Alcatel est tout à fait ouvert à la création de pages sur intranet par les syndicats ou par les représentants du personnel“, explique-t-on au siège social de l’équipementier français. Quel intérêt ces entreprises trouvent-elles à ouvrir les postes de travail à des voix souvent contestataires ? “En allant plus loin que le minimum légal, nous entendons favoriser le dialogue social, indispensable au bon fonctionnement de l’entreprise “, explique Jean-Christophe Sciberras, chef du département des relations sociales de Renault, dont l’intranet accueille, à partir de ce mois, la CFDT, FO, la CGC et la CFTC. De récents exemples montrent aussi qu’il vaut mieux laisser les syndicats s’exprimer en interne, plutôt qu’au vu et au su de tous. Ubisoft est bien placé pour le savoir. Son image d’employeur a pâti de la dénonciation sur le site Ubifree de ses pratiques sociales. Une contestation menée sur le web, donc dans le domaine public, par des salariés de l’éditeur. “ Les entreprises ont intérêt à ce que le linge sale se lave en famille, hors de vue des actionnaires, des politiques, des citoyens et des médias“, estime Patricia Chapuis, secrétaire fédérale de SUD-PTT (branche France Telecom).De leur côté, les syndicats trouvent aussi des avantages à s’exprimer sur ce canal interne plutôt que sur le réseau des réseaux. Ils élargissent d’abord leur audience : tous les salariés disposant d’un poste informatique sont reliés à l’intranet. Ils peuvent librement le consulter durant les heures de travail. A contrario, ils n’ont pas tous accès à internet. En effet, les chartes d’entreprises, qui font référence au web, cantonnent ce réseau ouvert à un usage strictement professionnel, ce qui exclut ?” en théorie du moins ?” la consultation de sites syndicaux extérieurs. En outre, pour appuyer leurs revendications, les représentants du personnel peuvent publier sur intranet des documents internes à l’entreprise, qu’ils ne pourraient dupliquer sur le net.Enfin, les syndicats prennent conscience que de nouvelles tendances minent l’efficacité de leur communication transitant par les panneaux d’affichage : télétravail des employés, nomadisation des cadres, qui passent moins de temps chez leur employeur…” L’esprit de la loi n’est plus respecté. Il est donc normal que les entreprises nous ouvrent leur intranet “, argumente Lionel Antry, responsable FO à la Société Générale Paris. Cette convergence d’intérêt entre entreprises et syndicats autour de l’intranet n’exclut pas les points de friction. Les désaccords portent essentiellement sur le degré d’interactivité concédé.
La crainte du ” spam” syndical
La charte que les syndicats doivent signer pour accéder au réseau interne de Renault interdit par exemple la communication par courrier électronique avec les salariés. “Nous ne souhaitons pas que l’intranet devienne un canal de distribution à l’aveugle de messages syndicaux. En plus, il existe un risque de saturation du système de messagerie“, justifie Jean-Christophe Sciberras, chef du département des relations sociales du constructeur automobile. Du fait de cette limite, la CGT, qui dispose par ailleurs d’un site internet dédié à l’ancienne régie, a refusé de signer l’accord. Chez France Telecom, un salarié peut envoyer un message et recevoir une réponse mais sur une base strictement individuelle. Là encore, la crainte du spam syndical, voire d’une mobilisation instantanée dans la perspective d’une grève, sont à l’origine de ces restrictions.Autre point de désaccord, la création de sites dans les filiales. Chez Alcatel, la maison mère est favorable aux intranets syndicaux, mais les ressources humaines sont gérées de façon décentralisées. “Il peut y avoir des disparités d’une entité à l’autre“, reconnaît un porte parole du siège de l’équipementier. De fait, Answare, une SSII du groupe, refuserait d’ouvrir son intranet. Les sections CFDT, CGC, SUD ont donc créé des sites internet dédiés à cette entité, accessibles depuis les postes de travail. “Nous contournons le refus de la direction. Mais je ne pense pas qu’elle ose bloquer l’accès aux sites internet qui ont été créés“, affirme un délégué syndical SUD, Jean-Paul Garagnon.En définitive, les entreprises auraient tout intérêt à précéder ce qui deviendra tôt ou tard une obligation légale ou intégrera la jurisprudence. “Celles qui anticipent le mouvement pourront négocier des garde- fous et en profiter pour améliorer le climat social “, estime Lydia David. C’est la stratégie de Renault qui renoue par ce biais avec son image de ” laboratoire social “.
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