Le 11 mars 2011, la côte nord-est du Japon est balayée par un gigantesque tsunami. Dans l’usine Sony qui fabrique des disques Blu-ray, les 1 000 employés ont juste eu le temps de se réfugier au deuxième étage du bâtiment. Deux autres usines sont situées à proximité de la centrale nucléaire de Fukushima. En tout, le premier exportateur japonais d’électronique grand public va devoir fermer temporairement six usines, ce qui va affecter différents secteurs de sa production. Un coup dur pour l’entreprise qui commençait tout juste à se relever après plusieurs années de difficultés financières. L’histoire débute en 1946 : le Japon dévasté par la guerre doit se reconstruire. Akio Morita, un jeune physicien, et Masaru Ibuka, un ingénieur, se sont rencontrés alors qu’ils étaient militaires dans une unité de recherche en communication. Ils décident de s’associer et créent leur entreprise, la Tokyo Tsushin Kenkyujo (TTK). Ils embauchent vingt personnes et installent, dans un entrepôt à moitié détruit, un petit atelier de recyclage d’équipements électroniques militaires. Les premières années sont difficiles. Les deux passionnés s’intéressent aux magnétophones à bandes de l’armée américaine, et sortent, en 1950, le G-Type qui utilise des bandes baptisées Soni-Tapes… Mais très cher, très lourd et d’une qualité médiocre, l’engin ne tient pas ses promesses. Deux ans plus tard, lors d’un voyage aux États-Unis, Ibuka découvre le transistor, un composant électronique inventé par des chercheurs de la Bell Telephone, filiale de la compagnie Western Electric. Morita est fasciné par cette technologie encore réservée à l’usage militaire. Racheter le brevet à Western Electric et l’exploiter pour un usage grand public : c’est le coup de génie de ces deux entrepreneurs qui vont concevoir un petit poste de radio à transistors, le Sony TR-55, commercialisé en 1955.
À la conquête du monde
Même si Texas Instruments avait déjà sorti un appareil de ce type, c’est le TR-55 qui connaîtra le succès et qui contribuera à la réputation de l’entreprise. Même succès pour la télévision portative à transistors fabriquée dans la foulée. Entretemps, la firme a initié autour de son nom une opération de marketing peu courante au Japon. L’appellation Tokyo Tsushin Kogyo, raccourcie en Totsuko, est encore trop compliquée à retenir. Les produits vendus sous le logo Sony commençant à être connus, la société est rebaptisée Sony Corporation. Contraction du mot latin “ sonus ”, le son, et de l’expression en vogue au Japon “ sonny boy ”, qui désigne des jeunes gens dynamiques et créatifs, Sony est, selon ses créateurs, un nom facile à prononcer et à mémoriser dans toutes les langues, qui véhicule un esprit d’ouverture et de liberté. Et ce n’est pas un hasard s’il sonne très “ américain ”. Considérée par les Japonais comme tout à fait étrange, cette nouvelle identité reflète la philosophie progressiste d’Ibuka et Morita : créativité, innovation, diversification… Une image de marque que la société entend exporter dans le monde entier.La firme élargit sa production au secteur de l’audiovisuel. La construction, en 1961, d’un centre de recherche dans la banlieue de Tokyo ainsi que des usines ultra-modernes affermissent sa position au Japon. Ikuba est très exigeant dans ses objectifs de développements technologiques et maintient ses ingénieurs sous pression en permanence. Et ça paye ! En 1968, Sony lance les premiers téléviseurs couleur à tube cathodique qui vont révolutionner l’univers de la télévision, les fameux Trinitron. Encore un coup de génie puisque Sony a racheté le brevet à la Compagnie française de télévision. En 1975, le Japonais lance les magnétoscopes au format Betamax. Mais dix ans plus tard, après une lutte acharnée, ce format de cassette vidéo destiné à l’enregistrement de programmes télévisés domestiques sera abandonné. Sa capacité d’enregistrement est trop faible face au standard VHS de son concurrent JVC.C’est le premier revers pour Sony. Heureusement, le constructeur va signer un contrat très lucratif avec IBM qui a besoin de bandes magnétiques pour ses ordinateurs et d’une assistance technique. De quoi asseoir sa réputation à l’international. Les relations tissées avec les Américains depuis 5 ans se concrétisent avec une première filiale créée aux États-Unis, la Sony Corporation of America : à la Bourse de New York, c’est le premier titre japonais à intégrer le marché américain !Une marque forte, des produits phares. À partir de ces deux concepts, Morita n’envisage qu’un seul marché, le monde. L’homme sait anticiper les attentes du grand public, son génie commercial faisant le reste. C’est ainsi qu’il lui vient une idée lumineuse en observant sa fille s’enfermer dans sa chambre pour écouter de la musique… Le Walkman est lancé en 1979 et 220 millions d’exemplaires seront vendus dans le monde en trois décennies. “ Le produit du siècle ”, selon Akio Morita, sera décliné en plus de 300 modèles. Sony restera leader incontesté dans le monde et, reconnaissance ultime, le walkman entrera dans Le Petit Larousse trois ans plus tard.
Le CD révolutionne la musique
À la même époque, Sony s’associe à Philips pour l’élaboration d’un disque audio numérique. La sortie officielle du Compact Disc aura lieu en 1982 avec celle du premier lecteur CD. Les premiers prototypes mesuraient 11,5 cm de diamètre et permettaient de stocker 60 min de musique. Une durée qui sera prolongée jusqu’à 74 min pour héberger la 9e de Beethoven, chère à la femme du PDG Norio Oga ! Le CD bouleversera le monde de la musique. Les mélomanes découvrent avec émotion les premiers albums gravés sur ce support, Une symphonie alpestre dirigée par Herbert von Karajan, et The visitors, du groupe Abba. Multipliant les domaines d’activité, Sony se lance dans le développement de produits liés à l’informatique et la bureautique avec une gamme de machines à traitement de texte de langue anglaise destinée au marché des États-Unis. Conscients des problèmes de stockage de données à une époque où les disques durs n’étaient pas encore intégrés aux ordinateurs, car trop chers, les ingénieurs de Sony planchent sur un support compact, fiable et doté d’une grande capacité de stockage. Avec sa coque rigide qui la protège de la poussière et des manipulations, la disquette 3,5 pouces au format poche de chemise supplante son aînée, la disquette souple 5 pouces 1/4. Destinée aux machines à traitement de texte, elle séduit Hewlett-Packard et Apple qui choisit ce format pour ses Macintosh. Devenue un standard international, la disquette sera considérée comme une avancée majeure dans le domaine du stockage de données.Première étape vers la micro-informatique, le modèle d’ordinateur personnel Sony Hit Bit sera commercialisé en novembre 1983. Hélas, malgré les efforts déployés par l’équipe de développement, la direction de Sony ne pressent pas l’extraordinaire potentiel de ce nouveau média et n’en fait pas une de ses priorités. Un tel manque de discernement est étonnant et toute à la pointe qu’elle est, l’entreprise peinera à rattraper son retard face à la concurrence. Poursuivant sa politique “ d’offrir des produits compacts et portables ”, la firme s’attaque en parallèle à la photo et à la vidéo grand public. Surfant sur la vague de la diversification, elle acquiert les groupes CBS Records pour la musique et Columbia Pictures pour le cinéma. Une synergie voulue à l’ère du multimédia entre l’expertise du matériel et le développement de contenus.
Une expansion à l’international
Toujours à l’affût de nouveaux marchés, la firme va encore jouer un coup de maître. Sony collaborait depuis quelques années avec Nintendo à la conception d’une console de jeu vidéo. Brusquement lâché par son partenaire suite à un différend sur le contrôle des droits d’exploitation, Sony lance, en 1994, la Playstation et y introduit l’affichage 3D en temps réel. Destinée à un public plus large, plus adulte, la console dépasse l’univers de l’enfance dans lequel se cantonnent ses concurrents, Sega et Nintendo. Succès immédiat avec plus d’un million d’exemplaires vendus en six mois. Cet engouement se poursuivra avec la sortie en 2000 de la PS2, la console de jeu la plus vendue de l’histoire du jeu vidéo.En parallèle, Sony est numéro un mondial des fournisseurs de téléviseurs couleur. L’émergence des grands écrans et la croissance de la demande d’écrans d’ordinateurs a renforcé la réputation du Trinitron. Pour y faire face, Sony construit des sites de production au Japon, aux États-Unis, en Europe et en Asie. Sa technologie ne cesse d’évoluer, portée par la popularité des ordinateurs et les transmissions par satelite en haute définition. À cela s’ajoutent une vingtaine de centres de recherche et développement et des centres de réparation de pièces. Avec déjà 47 % de sa production réalisée hors du Japon, Sony frappe à la porte des marchés émergents, Chine, Inde, Vietnam et Amérique du Sud, et prend une bonne longueur d’avance sur la concurrence.Un seul secteur lui fait encore défaut : l’informatique. Pour rattraper son retard, la firme lance en 1996 une gamme d’ordinateurs portables et de bureau haut de gamme qui feront rapidement référence. Les ordinateurs Vaio (Video audio integrated operation) justifient leurs prix élevés par une finition soignée et une technologie avancée. Fort d’une centaine de compagnies à travers le monde, Sony a acquis une renommée mondiale et semble invulnérable. En 2004, il détient 14 % du marché mondial de l’électronique grand public, devant Matsushita, Hitachi et Philips. Dans sa course à la diversification, il s’est associé en 2001 au Suédois Ericsson pour la téléphonie, à Samsung pour la fabrication de dalles LCD. Mais la crise couve. En 1999, le décès d’Akio Morita, charismatique PDG-fondateur, sonne l’imminence du déclin. Face à une concurrence de plus en plus agressive, les ventes diminuent. Les résultats sont en baisse. Apple inonde le monde de ses baladeurs numériques, Panasonic lui dispute le marché de l’électronique grand public, Samsung et LG lui font concurrence dans les téléviseurs, Nintendo et Microsoft dans les jeux vidéo, et Canon dans les appareils photo et les caméras numériques.Un nouveau PDG est nommé en 2005 pour redresser la barre. L’Américano-britannique Howard Stringer va mener un plan de restructuration drastique comme jamais le conglomérat n’en a connu. Deuxième étranger à diriger un groupe japonais (après Carlos Ghosn chez Nissan), le cost killer va tailler dans les coûts et les infrastructures. Et tenter d’insuffler un nouvel esprit de créativité à un groupe sclérosé en perte d’innovation. Fermeture de 11 usines, suppression de 10 000 emplois sur 3 ans, c’est le prix à payer pour remettre le deuxième producteur mondial d’électronique sur la voie de la croissance. Las ! La crise financière de 2008 frappe de plein fouet le géant aux pieds d’argile. La devise nippone flambe, la demande décroît et la concurrence s’intensifie. Le département électronique, pilier du groupe, voit ses ventes s’effondrer de 17 % sur un an. Howard Stringer, qui ne s’avoue jamais vaincu, poursuit la suppression de 16 000 postes dans le monde et la réduction de ses sites de production. En 2009, il ne reste qu’une quarantaine d’usines sur 65…Début 2011, après avoir renoué avec les bénéfices au troisième trimestre 2010, le groupe japonais se voulait confiant, avec une stratégie ambitieuse axée sur la 3D et le marché des tablettes tactiles. Howard Stringer, qui est sur le point de passer la main, annonçait en avril dernier la sortie de deux tablettes Sony sous Android à l’automne. Mais c’était juste avant que Sony soit victime d’une vague d’attaques contre ses réseaux de jeux en ligne (lire en page 14). Une épreuve de plus qui met sérieusement à mal l’image de marque de la firme.
🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.