Nos ordinateurs domestiques ne sont plus au cœur de nos vies numériques. L’ère du digital hub n’est plus. L’informatique au quotidien est désormais satellisée, glissée dans nos poches ou sacs, sous forme de smartphones et de tablettes. Avec ces appareils sont arrivés de nouveaux usages, de nouveaux écosystèmes et une nouvelle vision de l’informatique. Avec tout ce que cela implique d’amélioration : simplicité d’utilisation accrue, échanges facilités, accessibilité renforcée grâce à la connexion 3G/4G, etc.
Une informatique, qu’on croirait née en réaction à celle des années 90, quand les ordinateurs plantaient, étaient complexes à aborder et qu’il fallait avoir un neveu geek pour envoyer un mail… Une nouvelle version de l’informatique qui ne signifie pas la mort des ordinateurs personnels, puisqu’il s’en vend encore (1,24 million de PC vendus en 2011 en France, contre 11,4 millions de smartphones et 1,5 million de tablettes, selon GfK), mais plutôt une extinction lente ou alors une fusion entre ces deux mondes, le nouveau absorbant ou inspirant l’ancien. Un portrait enchanteur qui a pourtant son revers, sa face sombre.
Ergonomie riche ou appauvrie
Le post-PC est intimement lié aux interfaces tactiles, qui ont grandement été améliorées ces dernières années. Elles sont si intuitives que même les enfants les plus jeunes en appréhendent immédiatement le fonctionnement. Pour autant, les écrans tactiles montrent bien vite leurs limites au quotidien notamment pour taper de longs messages ou même pour jouer.
L’ergonomie générale des appareils post-PC pose rapidement le problème de l’ajout de périphériques. On se retrouve alors à compléter par un clavier Bluetooth par-ci ou un support par-là. Bref, à recomposer autour de sa tablette un PC portable. Ou à rêver pour son smartphone d’un clavier virtuel projeté. En définitive, ces limitations sont implicitement reconnues par les fabricants, qui cherchent une autre voie et tentent désormais de passer par la reconnaissance vocale pour piloter leurs appareils. Apple a sauté le pas avec Siri, Android suit et Samsung a pris les devants avec S Voice.
Un contrôle restreint
Si au niveau de l’ergonomie, le post-PC affiche quelques limites, son accès simplifié, pour ne pas dire simpliste, s’accompagne de lourdes restrictions. Impossible de changer un composant, d’ajouter de la mémoire vive et, même pour certains modèles, comme l’iPad, impossible d’augmenter la capacité de stockage grâce à des cartes externes. L’appareil type de l’ère post-PC est un produit fini, qu’on ne peut faire évoluer.
Un produit sur lequel il est grosso modo impossible d’influer. Cela évite évidemment les problèmes d’instabilité qu’on connaît sur les PC avec des pilotes défectueux, mais c’est aussi la fin d’une certaine liberté, celle de comprendre comment cela fonctionne, de mettre le nez dedans, « les mains dans le cambouis », comme on dit. Pour toute une génération, faut-il s’en réjouir ou le craindre ? L’informatique sera quelque chose qu’on ne cherche pas à comprendre, mais qu’on utilise juste, sans se soucier du contexte et des limitations imposées.
Des contenus limités
Et ce portrait un peu triste d’une informatique finalement domptée s’alourdit d’une limitation d’accès à certains contenus. L’impossibilité de lire des fichiers au format Flash sur les périphériques iOS en est une illustration – même si le support du HTML5 est en soi une bonne nouvelle.
Elle montre en tout cas les risques qu’on encourt à adopter des plateformes où le contrôle est plus du côté du fabricant que de l’utilisateur.
Lors de la conférence annuelle du Web, Tim Berners-Lee déclarait ainsi : « nous devons nous battre pour avoir le pouvoir complet sur la machine » et rappelait : « si vous n’aimez pas le monde des systèmes fermés, aidez à créer un monde d’applications mobiles Web ouvertes. »
Un modèle économique fermé
Car, la tendance marquante du post-PC, c’est bien l’émergence d’outils verrouillés de distribution de logiciels, incontournables pour qui ne se donne pas la peine de jailbreaker. Les logiciels sont ainsi approuvés, retirés, contrôlés.
Ce contrôle est établi pour des raisons de sécurité, nous dit-on. Certes, mais cela pose également différentes questions. Celle de la liberté des utilisateurs d’installer ce qu’ils veulent sur leur appareil. Celle aussi de la propriété des logiciels, qui peuvent être effacés à distance s’ils sont jugés dangereux ou contraires aux licences d’utilisation en cours.
Enfin, celle de la distribution de logiciels sous licence libre, par exemple, qui ne s’accommode pas des verrous numériques (DRM) qui accompagnent les kiosques de téléchargement. On pense notamment à VLC qui a disparu de l’App Store.
Mais ce fer de lance du post-PC, véritable manne pour les fabricants et éditeurs des systèmes d’exploitation, s’exporte déjà sur les ordinateurs classiques. Ainsi, Apple, qui a été le premier à ouvrir cette voie et semble en avance sur la concurrence tant dans la formulation théorique que dans l’application d’un modèle économique, a installé son Mac App Store dans son système d’exploitation pour ordinateur.
Windows 8 suivra. Dans sa prochaine itération, Mac OS X offrira même une fonction permettant de limiter l’installation des logiciels aux seules applications disponibles sur son Store. Les motivations sont toujours les mêmes : renforcer la sécurité, rasséréner les utilisateurs, leur ôter les risques et donc la responsabilité de faire une erreur.
Mais en définitive, ces ordinateurs verrouillés seront-ils plus sûrs ? En principe oui, mais il suffit d’avoir suivi les aventures du botnet Flashback pour savoir que verrouiller une machine ne suffit pas. Pour savoir que le problème n’est pas toujours du côté de l’utilisateur…
Sans compter que les modèles de magasins d’applications en ligne peuvent également se voir comme une sorte de collet numérique. Plus l’utilisateur s’en sert, plus le collet se resserre. Une fois adepte d’une plateforme et de son service de vente, une fois investi massivement dans des applications pour les terminaux d’une marque, qui voudra repayer pour changer de microcosme ? Une majorité continuera à utiliser un service parce qu’il est de qualité, mais également, par facilité, par paresse, pourrait-on dire.
Un Cloud noir à l’horizon
Le stockage en ligne n’est pas une nouveauté. Mais il a pris une toute nouvelle dimension avec les besoins inhérents à une utilisation en itinérance à partir de plusieurs périphériques. Le Cloud est consubstantiel à l’ère du post-PC à partir du moment où l’utilisateur veut s’assurer de retrouver ses données tout le temps et partout. Une fois encore, il est question d’abandonner le contrôle pour la commodité.
Pour autant, la mise en ligne des données gratuitement ou contre paiement – généralement de manière assez coûteuse quand on pense que l’espace n’est que loué – n’est pas sans poser elle aussi une foule de questions : sécurité des données confiées, respect de la vie privée, respect des lois nationales par des acteurs multinationaux, possibilité de changer de service facilement, sans parler des questions de pollution que pose la prolifération du Cloud, etc.
Vie privée, vie publique?
Enfin, le post-PC, qui s’incarne dans nos smartphones et tablettes, aime jouer de la sociabilisation des usages : tenir ses amis au courant de tout, échanger des données entre périphériques de manière transparente pour les utilisateurs, etc. Les limites sont alors floues entre partage volontaire de données et effacement progressif des cercles extérieurs de la vie privée.
Plus gênant, la tendance de ces périphériques à être équipés d’une puce GPS et à nous géolocaliser partout, tout le temps, nous rendant bien service mais indiquant, à une nuée de personnes plus ou moins intéressées (de nos amis aux publicitaires), où nous sommes et parfois même ce que nous faisons.
Une troisième voie ?
Une certitude en définitive, il est impossible de faire machine arrière et d’arrêter net la tendance qui sous-tend l’avènement de l’ère post-PC. Les smartphones – et les tablettes également, sans doute – vont continuer à prendre de l’importance. Le changement de paradigme va donc continuer. S’il faut garder les bienfaits de ces nouvelles interfaces et systèmes, qui aboutiront sans doute, après ajustements, à rendre l’informatique accessible, il est nécessaire de préserver tout ce qui rend libre les utilisateurs : possibilités de choisir où sont stockées les données, magasins d’applications non verrouillées, etc.
C’est une voie que va tenter d’explorer la fondation Mozilla avec son OS pour mobile, Boot to Gecko, d’ici la fin d’année. Finalement, le Libre, qu’on pouvait croire vaincu et « dépassé » après le coup de tonnerre qu’il a représenté pendant les années 90/2000, pourrait revenir au centre de tout pour les utilisateurs et jouer le rôle primordial qui est le sien : assurer la liberté de choix de tout un chacun dans un monde informatisé. Pour réussir et s’imposer, il devra toutefois arriver à corriger ses points faibles, notamment au niveau des interfaces, ensuite séduire les fabricants, puis les développeurs et enfin les utilisateurs.
Et les utilisateurs sont justement face à un choix. Se contenter de devenir de simple consommateur, sans droits autres que ceux accordés par les conditions générales de vente, dans un monde prémâché pour eux, ou rester ou redevenir des acteurs de leur vie numérique et par là même de leur vie, puisque les deux sont désormais intimement liées.
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