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Serge Metz, PDG du groupe G7 : «Uber est déloyal au niveau fiscal et social»

Face à la déferlante Uber, les taxis traditionnels sont déstabilisés. Si les VTC exercent la même activité, Serge Metz, PDG du groupe G7, rappelle qu’ils ne sont pas soumis aux mêmes règles, notamment fiscales et sociales.

Le ton n’en finit pas de monter entre les VTC et les taxis. En lançant son service, le leader mondial du VTC a déstabilisé les professionnels du taxi dans le monde entier. En France, Taxi G7 est le numéro un français de la réservation de véhicule avec 7700 chauffeurs affiliés à Paris et 2600 en régions. Lors d’un entretien exclusif, Serge Metz, PDG du groupe G7, a tenu à revenir sur le sujet central du conflit. Pour lui, l’innovation est mise en avant mais n’est pas au cœur du problème. Il pointe plutôt les différences de traitement avec les véhicules avec chauffeur qu’il subit. 

Sur l’innovation, le dirigeant rappelle que son entreprise a depuis longtemps mis les technologies (Internet, applications, géolocalisation) au cœur de sa stratégie. Il reconnaît néanmoins ne pas l’avoir assez fait savoir et que les services créés ont peut été mis en avant.

Enfin, il revient sur le rapport Thevenoud, dont la première proposition sur l’open data suggère de rendre publiques les données récoltées (position des taxis, horaires d’affluence etc). Pour lui, ces informations sont sensibles : en les partageant avec ses concurrents, il craint de fragiliser encore plus l’activité de ses taxis.

La grogne contre les VTC ne concerne pas seulement la France. Des mouvements sociaux de chauffeurs de taxi sont prévus dans les semaines qui viennent. Selon nos informations, confirmées par plusieurs artisans-taxi, des manifestations européennes anti Uber devraient avoir lieu le 11 juin prochain dans plusieurs villes d’Europe dont Londres, Paris et Bruxelles.

01net – Comme d’autres secteurs, les taxis ont été pris au dépourvu par l’arrivée des sociétés de la Silicon Valley. Avec ses VTC, Uber a-t-il utilisé vos points faibles, les technologies, pour se lancer ?

Serge Metz (Groupe G7) – Absolument pas. Nous sommes dans un cas très différent. Ça ressemble à une attaque technologique, mais ça ne l’est pas. D’abord, ils n’apportent aucune technologie réellement nouvelle. Uber et les autres sociétés de VTC utilisent la loi de modernisation du tourisme de 2009 qui a commencé à porter ses effets dès 2010 ou 2011. Nous ne l’avons pas attendu pour innover puisque dès 2008 nous proposions une application smartphone à nos clients pour commander le taxi le plus proche.

La raison réelle du conflit est liée fait qu’il y a un nouveau champ réglementaire qui permet à des véhicules privés de faire du taxi sans les contraintes. La technologie n’est qu’un adjuvant ou un prétexte qui fait qu’on en parle beaucoup aujourd’hui. Le problème serait le même si les VTC hélaient les clients dans les stations. Ce serait de la concurrence déloyale.

Vous récusez donc d’être présenté comme une entreprise peu innovante ?

Serge Metz – Parce que c’est totalement faux ! Je ne dis pas que notre secteur ne doit pas se moderniser. C’est ce que nous faisons depuis des années parce que l’innovation fait partie de notre ADN. Nous avons été les premiers en France à être opérateur de transmission de données. Nous le sommes devenus parce que nos taxis étaient déjà équipés de terminaux connectés à l’ensemble de nos taxis.

« Uber, ce n’est pas un problème de technologie »

Uber semble pourtant vous avoir pris au dépourvu… Vous auriez pu anticiper son arrivée puisqu’ils étaient opérationnels dans d’autres pays.

Serge Metz – Oui, mais il faut noter des différences avec les États-Unis où ils ont démarré. Les taxis ne s’y sont pas modernisés et utilisaient de vieilles voitures avec un niveau de qualité très bas. À New York, ceux qui voulaient une voiture haut de gamme et un chauffeur sympathique n’utilisaient déjà plus le taxi, mais des voitures de luxe avec chauffeur. Les taxis américains avaient un gros retard dans les technologies et dans les services.

En France, et surtout à Paris, les choses sont différentes. Nous sommes toujours premier en nombre de commandes par application smartphone. En revanche, la concurrence déloyale se fait au niveau fiscal et social. Vous avez un nouveau champ réglementaire qui date de 2009 et qui n’a pas prévu de normes suffisantes pour ces nouveaux arrivants. Il n’y a pas de contrôle de l’assurance, pas d’inscription du véhicule immatriculé. Et, surtout, vous exercez ce métier avec un statut d’auto entrepreneur et donc soumis à des charges sociales très basses qui créent un dumping fiscal et social par rapport aux professionnels. J’insiste, ce n’est pas un problème de technologie, mais un problème de main-d’œuvre.

Êtes-vous en discussion avec vos confrères européens à propos des VTC ? Ont-ils les mêmes difficultés et les mêmes inquiétudes que vous ?

Serge Metz – C’est très différent d’un pays à l’autre parce que la législation des VTC n’est pas la même. Il y a des villes où les VTC sont interdits. À Bruxelles, en parallèle des taxis, seules sont autorisées les limousines avec chauffeur dont le prix minimum est de 90 euros par course. C’est un service de luxe. A contrario, à Londres, les mini cabs sont réglementés depuis bien longtemps sans les distorsions que nous connaissons ici. La concurrence y est vive mais loyale.

« Nous souffrons d’une image dégradée. »

Face à cette situation française, qu’avez-vous mis en place pour défendre vos intérêts, qu’il s’agisse de technologies, de services ou même de communication ?

Serge Metz – Vous avez raison d’évoquer la communication, qui fait partie des trois volets que nous traitons. Sur les technologies, nous y sommes depuis 1991. La géolocalisation remonte à 1996. Nous faisions du GPS différentiel qui offrait une précision professionnelle. Cela nous permettait d’envoyer le véhicule le plus proche au moment de la commande. En 2003, nous avons lancé la commande en ligne par Internet. Je vous rappelle que c’était avant l’arrivée des smartphones. Nous restons toujours à la pointe des technologies sans changement, ni accélération.

Et sur les services ?

Serge Metz – Dans ce domaine, nous avons une palette de services très différenciés alors que les VTC sont relativement stéréotypés. Depuis longtemps, nous avons pris conscience que chaque client a des besoins différents. Nous proposons par exemple des taxis adaptés aux familles ou aux personnes handicapées. Nous avons aussi des taxis VIP avec des chauffeurs en tenue et une flotte écologique avec des véhicules hybrides.

C’est sur la communication que nous avons le plus à faire. La perception des clients est assez différente de la situation réelle. Nous souffrons d’une image dégradée. Nous ne faisons peut-être pas suffisamment savoir ce que nous sommes.

Considérez-vous qu’il y a une forme d’abus de position dominante ?

Serge Metz – Ces pratiques de dumping des VTC déstabilisent le marché, mais je ne parlerai pas de position dominante puisque dans de nombreuses villes, ils ne sont pas premiers. Je parlerai plutôt de moyens financiers dominants. Dans certaines villes, ils ont offert la gratuité pendant plusieurs semaines. D’ailleurs, ils accumulent les procès dans de nombreux pays.

À Paris, la tarification d’Uber est hors la loi. Le décret du 30 juillet 2013 a pourtant précisé le fait que le prix doit être forfaitaire, donné à l’avance au client et que les compteurs horo kilométrique sont interdits pour les VTC. Uber continue comme si de rien n’était. Les autorités ont été saisies.

« Uber Pop poursuit son activité de manière illégale »

Uber ne vous a-t-il pas aussi déstabilisé par la transparence du service, qui indique dès la prise de commande le tarif à payer… et qui permet de payer directement, sans avoir à sortir de l’argent liquide ? 

Serge Metz – Vous avez raison. Nous souffrons d’une image qui n’est pas bonne alors même que 100% de nos taxis sont équipés de terminaux carte bancaire à disposition de tous les clients faisant appel à nos services par téléphone ou appli. Je signale que sur ce point, nous disposons d’applis TAXIS G7 aussi efficaces que celle d’Uber tant pour la commande que pour le paiement. Il y a aussi eCab qui offre un service VIP depuis 2013 ou WeCab qui depuis 2012 propose aux clients de partager un véhicule et ainsi payer moins cher.

Comment développez-vous ces applis ?

Serge Metz – Nous disposons en interne d’une équipe de 30 personnes localisées en France qui dépend de notre direction informatique. C’est un effectif très important par rapport à la taille de notre entreprise. C’est un point fort, même par rapport à nos confrères européens qui, pour la plupart, sous-traitent le développement des applis. En parallèle, nous faisons intervenir des agences externes pour tout ce qui touche aux smartphones. Nous voulons être présents sur toutes les plateformes, pas seulement Android et iOS. La totalité des web services sont développés en interne pour développer des algorithmes de calcul du tarif d’une course ou pour le délai d’attente par exemple.

Le covoiturage se développe de plus en plus. Le voyez-vous comme un concurrent du taxi ?

Serge Metz – Oui et non. Il ne nous pose pas de problème tant qu’il ne devient pas une activité professionnelle. Il ne faudrait pas considérer qu’un chauffeur de VTC et son client soient considérés comme du covoiturage. Les autorités peuvent se donner les moyens de faire la différence. Les moyens existent pour que les autorités détectent le covoiturage bénévole et les professionnels qui utilisent ce mode pour faire des courses. Il faut combattre ces derniers qui posent de vrais problèmes d’assurance et de distorsion de charges sociales et de concurrence. Pour moi, Uber Pop entre dans ce cadre. Ce service a d’ailleurs été déclaré illégal par la DGCCRF. Cela n’empêche pas Uber de poursuivre cette activité.

Le rapport Thevenoud propose des idées pour moderniser votre profession. La proposition sur l’open data semble vous irriter particulièrement.

Serge Metz – C’est la mesure numéro 1 de ce rapport. Elle est totalement délirante. L’Open Data est quelque chose de formidable pour les données publiques. C’est utile et ça stimule l’innovation. Par contre, si ça concerne des entreprises privées et des données privées, cela va entrainer une régression du service qui risque de toucher les clients dans leur vie privée et mettre des bâtons dans les roues des entreprises. Cette proposition n’est pas acceptable. Est-il acceptable de pouvoir savoir qui va où ? L’argument est de dire que les données sont anonymes, mais cela ne change rien au fait qu’elles concernent la vie privée de nos clients.

Et, enfin, si cette idée est si bonne, pourquoi ne pas aussi l’imposer aux VTC ? Nous serions tous logés à la même enseigne puisque tous nos concurrents pourraient savoir minute par minute et mètre par mètre. Ils sauront où il faut des voitures, où sont basées les nôtres alors que nous ne savons même pas combien de VTC sont en circulation dans Paris. Même l’État ne dispose pas ces informations, ni à Paris, ni ailleurs.

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Pascal Samama