Il y a quinze ans, après Tchernobyl, le sociologue allemand Ulrich Beck publiait un livre sur l’évolution de notre société confrontée à l’utilisation économique irraisonnée de la science. Le livre, traduit en français sous le titre La société du risque, a les avantages et les inconvénients de la sociologie moderne. Inconvénient : un langage abscons qui, donnant un nom complexe à des événements anodins, prétend en faire la marque d’une rupture. Inconvénient encore, le manque de recul historique, qui prend pour définitives des situations conjoncturelles. Ainsi, son analyse du chômage de masse inhérent à nos sociétés avancées reste significative de la situation des années quatre-vingt, dont la croissance des économies anglo-saxonnes dans les années quatre-vingt-dix a montré la singularité.
Bateau ivre
Avantage : la réflexion qui se dégage est souvent séduisante et dérangean-te. Ulrich Beck insiste sur la tendance actuelle liée au développement des sciences, qui rompt avec l’organisation du XIXe siècle. La société industrielle de naguère, telle que décrite par Marx, avait aboli les liens sociaux précédents, ceux des hiérarchies féodales, pour ne plus laisser qu’une solidarité entre pauvres face à l’inégalité : c’est la société de lutte de classes.Aujourd’hui, plus de pénurie sérieuse, ni hordes de la misère, mais des gens isolés, des travailleurs menacés par le chômage, des familles éclatées et surtout, des individus qui subissent des dangers sans être capables de les identifier. Car l’idée force de Beck, c’est que l’économie moderne mobilise des processus de production fragiles, aux ratés potentiellement dramatiques. Menace nucléaire, ravages écologiques, chutes d’avion, pannes d’électricité sont incontrôlables. La société moderne est un bateau ivre qui s’ignore… Une thèse intéressante bien que radicale.
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