Les PDG d’Alcatel et de Vivendi Universal n’avaient vraiment pas besoin de cela ! Début septembre, ils ont été exclus du prestigieux et très select club boursier qui a pour nom Euro Stoxx 50, suivant en cela le destin de France Telecom. On assiste à un véritable paradoxe. Alcatel, Vivendi Universal et France Telecom continuent à faire partie du CAC 40, l’indice phare de la place de Paris, sans pour autant figurer dans le baromètre boursier européen qu’est l’Euro Stoxx 50. Un comble pour des entreprises dont la vocation est (a été ?) le développement international ! Mais la logique des sociétés qui concoctent des indices boursiers est sans pitié.
Les TMT en première ligne
“Si ces trois valeurs TMT françaises ne figurent plus dans notre indice européen c’est tout simplement parce que, en raison de la crise boursière, leurs capitalisations ont fondu comme neige au soleil”, indique-t-on au siège de la société suisse Stoxx, filiale de la maison américaine Dow Jones. Il est vrai qu’il n’y a pas photo. Actuellement(*), les deux plus fortes capitalisations de la Bourse de Paris sont Total Fina Elf (103 048 millions d’euros) et L’Oréal (49 630). Loin devant France Telecom (14 913) Vivendi Universal (13 729) ou Alcatel (5 781), qui ” pèse ” moins lourd en Bourse que Wanadoo. Au bout du compte, et depuis ces derniers ajustements, les valeurs françaises ne comptent plus que pour 11 % dans l’Euro Stoxx 50, contre pas moins de 40 % pour les seules valeurs britanniques.On objectera qu’un indice boursier doit refléter l’évolution du tissu industriel du pays ou de la zone géographique auquel il se rattache. Si le secteur des TMT perd de son importance par rapport à l’économie dite “classique”, il est normal que les indices en tiennent compte, exactement comme on a assisté au phénomène inverse lors de l’émergence de la bulle internet au début 2000. Certes. Mais la question est de savoir s’il est souhaitable pour les marchés financiers de changer régulièrement la composition des indices phares. La réponse est à l’évidence non ! Car un indice boursier n’est pas seulement un outil statistique. C’est aussi, et de plus en plus, un instrument de gestion.Née dans les années 1970, la gestion indicielle repose sur le constat statistique que, à long terme, il est très difficile pour un gestionnaire de portefeuille de réaliser une performance supérieure à celle de son indice de référence. Ainsi, sur une période de quinze ans, il est mathématiquement prouvé que le gérant d’un portefeuille de gestion français n’a qu’une chance sur quinze de réaliser une performance supérieure à celle du CAC 40. D’où l’idée de la banque Wells Fargo, dans les années 1970, de constituer des fonds d’investissement qui reproduisent tout simplement un indice de référence. Le Dow Jones aux États-Unis ou le CAC 40 en France.
Effet multiplicateur
La gestion indicielle a pris son essor dans les années 1980 car, pour les banques, elle permet l’économie d’une équipe d’analystes financiers. C’est l’ordinateur qui ajuste mécaniquement la structure du portefeuille à celle de l’indice. Ainsi, les fonds indiciels ont un effet multiplicateur à la hausse comme à la baisse.“La gestion indicielle a pour effet d’accroître la volatilité des marchés et de massacrer des valeurs qui, sans elle, ne connaîtraient qu’un repli passager”, regrette Gérard Augustin-Normand, de la société de gestion Richelieu Finance. Un des rares gérants à critiquer ce mode de gestion, pratiqué par tous les grands établissements français.
La nouvelle recette FTSE
Le hic, c’est que l’industrie des indices boursiers est en plein boom. Ainsi, le FTSE (filiale à 50 % du groupe Pearson, qui édite le Financial Times, et du London Stock Exchange, la Bourse de Londres) vient de proposer une nouvelle gamme d’indices, organisés en deux familles : growth, composée de valeurs de croissance, et value, composée de valeurs de rendement. Objectif : permettre à la communauté financière d’adopter une “gestion stylisée “. Ces outils de gestion auront forcément un impact sur le paysage boursier mondial. Plus de 250 milliards de dollars (254 milliards d’euros) d’actifs gérés dans les portefeuilles sont indexés sur les indices du groupe FTSE, représentant 400 gérants institutionnels et des clients dans 80 pays.Pour cette nouvelle recette indicielle, les équipes du FTSE Global Style se sont appuyées sur une étude empirique, étalée sur les trois dernières années, et à partir de laquelle elles ont établi une dichotomie entre les valeurs de croissance et les valeurs de rendement.Pour simplifier, les valeurs growth affichent en général des taux de croissance élevés, tant en matière de bénéfices que pour les chiffres d’affaires. Par ailleurs, elles préfèrent réinvestir plutôt que de payer des dividendes. Les titres value, eux, affichent des ratios financiers moins prestigieux, mais n’hésitent pas à distribuer, le cas échéant, des dividendes aux actionnaires pour s’assurer de leur fidélité. Selon cette terminologie, Vivendi est considérée comme une valeur value mais Orange comme une valeur growth, alors que sa maison mère France Telecom reste un titre rendement (value).D’où une première critique : construits sur un historique limité aux trois dernières années, les nouveaux indices FTSE ignorent les crises internes chez Alcatel, Vivendi ou France Telecom. Seconde critique : il est à craindre que la création de ces deux indices privilégie les valeurs de croissances de l’économie dite classique au détriment des titres TMT plus spéculatifs. Anthony Camilotti, président de FTSE France, s’en défend, arguant “qu’il ne fait que répondre à la demande des gestionnaires.” Ces derniers, après avoir été les acteurs bernés de lexplosion de la bulle internet, ne jureraient-ils plus que par la pérennité de la croissance du CA et des bénéfices ? Exit la prime de risque ? On peut le craindre.(*) Au 24 septembre 2002
🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.