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« Satoshi est mort », le prétendu inventeur du Bitcoin sort de l’ombre

La place du doute est de plus en plus restreinte. Satoshi Nakamoto, le créateur du Bitcoin, serait bel et bien l’inventeur australien désigné en décembre dernier. Ce dernier, Craig Steven Wright, reconnaît en tout cas la paternité de la cryptomonnaie et avance des débuts de preuve.

C’est fini. Et c’est presque dommage. Dans un monde, où n’importe qui peut survoler le monde depuis le confort de son fauteuil grâce à une application, où tout est exploré et tagué, le mystère se fait rare. Le romantisme de l’inconnu, oublié. L’appel du doute, effacé. Le Bitcoin était comme une anomalie dans ce monde balisé, comme une île non répertoriée dans cet océan de bits et de processeurs qui étalonnent nos vies.

Connue et reconnue, au point d’être utilisable sur des services grands publics, cette crypto monnaie conservait en son cœur un mystère digne d’un roman de cape et d’épée : qui était son créateur ? On avait bien un pseudonyme, Satoshi Nakamoto, mais les nombreuses tentatives de percer son secret avaient été vaines. Newsweek s’y était cassé les dents et les supputations sur le Web paraissaient suffisamment folles pour que le mystère reste entier encore un moment. Jusqu’en décembre dernier…

Trahi !

Noël approchant des âmes peu charitables ont décidé de mettre à mal la magie du moment. Des documents furent ainsi envoyés à Wired et Gizmodo qui pointaient du doigt un dénommé Craig Steven Wright, un chercheur en informatique, entrepreneur et inventeur australien, discret. Aussitôt la révélation publiée, une partie du Web, des fans de Bitcoin et de la presse spécialisée sont partis en chasse pour la démonter, pour prouver que Satoshi Nakamoto ne pouvait être cet homme.

Le doute préservé, on s’était rendormi tranquillement, au cœur l’espoir que le mystère tiendrait encore quelques mois, jours, heures…

Faute.
DR – Newsweek croyait avoir mis la main sur Satoshi Nakamoto en la personne de… Satoshi Nakamoto. Erreur.

En paix

Et puis voilà que Craig Steven Wright se fend aujourd’hui, 2 mai 2016, d’une longue communication publiée sur son site et intitulée : « Jean-Paul Sartre, signature et signification ». Pourquoi mêler le philosophe français à cette affaire ? A cause d’une citation de l’auteur existentialiste : « Ce n’est pas la même chose si je signe Jean-Paul Sartre ou si je signe Jean-Paul Sartre, prix Nobel ». « Je me souviens avoir lu cette citation il y a bien des années, écrit le scientifique australien. Et je l’ai gardée en moi avec un certain inconfort depuis lors. Quoi qu’il en soit, après de nombreuses années, et avoir expérimenté les flux et reflux de la vie que ces années ont apportés, je pense être enfin en paix avec ce que cela signifie. Si je signe Craig Wright, ce n’est pas la même chose que si je signe Craig Wright, Satoshi ».

Et de lâcher, comme une bombe, la signature d’une transaction de la blockchain attribuée à Satoshi Nakamoto…

Des preuves…

La vénérable BBC (accompagnée de The Economist et de GQ) publie aujourd’hui un article et une vidéo du fameux Craig Wright, qui, face à la caméra, reconnaît être Satoshi Nakamoto. Il prend même la peine de préciser que « certains ne le croiront pas », mais qu’il n’en a « pas grand chose à faire ».

Et pour prouver son assertion, l’homme propret à la mèche bien domptée, loin du « neuromancien » cyberpunk qu’on imaginait, avance des éléments techniques qu’il veut irréfutables.

Mieux d’éminents membres de la communauté Bitcoin, des développeurs du cœur du projet ont pris la peine de confirmer que Craig Steven Wright est bien le créateur du Bitcoin.

Gavin Andresen, responsable technique de la Fondation Bitcoin, s’est ainsi fendu d’un long post sur son blog, qui commence par ses mots : « Je pense que Craig Steven Wright est la personne qui a inventé le Bitcoin ». Il continue sur le même ton : « Après avoir passé du temps avec lui, je suis convaincu, et aucun doute n’est possible : Craig Wright est Satoshi ».

Il continue en indiquant que pendant sa rencontre avec Craig Steven Wright, il a observé « cette personne brillante, aux avis arrêtés, concentrée, généreuse et attentive à la vie privée – une personne qui correspond au Satoshi avec qui j’ai travaillé il y a six ans ». L’affaire paraît entendue…

Et des doutes, encore

Pour autant, comme le souligne The Economist, des questions se posent encore. Des preuves techniques irréfutables doivent encore être fournies. Et des doutes sont déjà émis, sur le Web et dans certaines publications. Pour certains le fait que quelques éléments liés aux clés de chiffrement ne soient pas vérifiables rend assez difficile à croire la position de Wright.

De même, le fait que les premiers Bitcoin minés par Satoshi soient la possession d’un fonds et que Wright ne puisse pas les dépenser rend difficile la vérification ultime de son identité et de ses dires.

Jeff Garzik, un des développeurs essentiels du monde Bitcoin, déclare ainsi que Craig Steven Wright doit signer un nouveau document avec la fameuse clé pour prouver qu’il est celui qu’il prétend être. Bref, l’univers Bitcoin demande une preuve irréfutable… 

Et si c’était vrai ?

Le Bitcoin aurait donc gagné un père officiel et perdu un mystère. « Satoshi est mort », écrit ainsi Craig Wright. En l’occurrence, que ce soit vrai ou non, qu’elle soit orchestrée ou véritable, cette révélation est peut-être l’occasion de se rappeler tout ce que voulait et veut véhiculer cette monnaie virtuelle, conçue pour préserver la vie privée de ses utilisateurs et ébranler les services financiers tels que nous les connaissons.

Le Bitcoin est peut-être arrivé à l’âge où il n’a plus besoin d’un héros, mais de franchir un cap, de perdre de son mystère pour prendre l’ampleur qui lui revient. Gavin Andresen écrit ainsi : « Nous aimons créer des héros. […] Ce serait mieux si Satoshi Nakamoto était le nom de code d’un projet de la NSA ou d’une intelligence artificielle venue du futur pour faire évoluer notre monnaie primitive. Ce n’est pas le cas, c’est un humain imparfait comme nous autres. […] Je suis très heureux d’avoir eu la possibilité de lui serrer la main et je le remercie d’avoir donné le Bitcoin au monde ».

Car en définitive, peu importe ses origines, le Bitcoin est une révolution qu’il faut porter à son plein potentiel. La débarrasser de son mystère, c’est l’inscrire dans la réalité. Et c’est tout ce qu’on peut espérer pour cette  cryptomonnaie capable de dessiner les contours d’un futur plein de promesses…

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Pierre FONTAINE