Le franc est mort tout doucement, dans un souffle euthanasique bien préparé. Les historiens du futur n’en reviendront sans doute pas de cette mort sans éclat, sans heurt, où, du mot “conversion “, les Français n’auront retenu que le sens mathématique et guère le sens religieux. Étonnant matérialisme des Français…Et les historiens s’étonneront sans doute que, huit jours après le deuil, les journaux hexagonaux ne titrassent déjà plus sur le passage à la monnaie unique, mais sur le départ en retraite d’un grand couturier : Yves Saint-Laurent. Comme si, dans ce départ, il fallait voir tout ce qu’on n’avait pas vu dans le passage du franc à l’euro : le basculement d’un monde à un autre, plus technologique, une totale inversion des valeurs, une conversion ô combien religieuse, cette fois. Tous les articles avaient en effet cette teinte nostalgique et ce ton nécrologique qu’on eut cherchés en vain à propos du franc. Contrairement à la monnaie nationale, le vieux couturier dépressif n’était pourtant pas mort. Il ne partait qu’à la retraite, anticipée peut-être, poussé dans le dos ?” selon les médias ?” par les forces de l’argent, les bilans sans couture apparente du monde des affaires. Haute couture contre haute finance. Comment la première, pleine de panache et de littérature, s’était éteinte, piétinée par la seconde, lourde d’actionnaires et de bénéfices.L’art était mort devant l’argent, et le donquichottesque Yves Saint-Laurent s’en allait, lassé des visées commerciales de son nouveau patron, François Pinault. Désormais, la lutte dans la haute couture ne se situait plus au niveau de la création ?” YSL contre Dior ?” mais au niveau de la finance ?” Pinault contre Arnault…
Tout ce qu’on n’avait pas osé écrire, pour des raisons idéologiques, à propos de la mort du franc, transparaissait dans les articles sur YSL. Pinault et Arnault, c’était l’euro, des stratégies similaires et concurrentes dans les nouvelles technologies, la monnaie unique ?” et la pensée, euh, unique aussi. YSL, c’était le franc, le nouveau et l’ancien, la poésie, l’invention. Faute davoir pleuré la monnaie, on pleura alors le couturier.* Journaliste et essayiste
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