En Normandie, les Américains ont des visages, des noms, des histoires. Et des cimetières. Des milliers de stèles blanches alignées à l’infini, à Bayeux ou à Colleville-sur-Mer. Quand on a grandi sur les bords de la Manche, vingt ans après la guerre, on n’imagine pas que les plages d’Utah Beach ou d’Omaha Beach aient pu un jour porter un autre nom. On a entendu cent fois l’histoire de ce New-Yorkais, blessé à la jambe, qui a fait goûter à une gamine de Valognes sa première tablette de chocolat. Les Américains ne sont pas une puissance abstraite : ce sont des hommes venus mourir sur nos côtes pour défendre la liberté.La guerre contre les terroristes va mobiliser leurs petits-enfants, et ce sera aussi une guerre d’hommes. Nous allons redescendre d’un cran dans la technologie, affirment les spécialistes. Nous étions en train d’oublier que l’électronique, sans l’humain, n’était rien. Que les boucliers anti-missiles ne feraient jamais le poids face aux cutters des fanatiques. Contre l’homme prêt à sacrifier sa vie, les satellites espions et les ordinateurs sont illusoires.La CIA en prend conscience dans la douleur. Les attentats du 11 septembre ont relancé aux États-Unis le débat sur le ” renseignement humain “. On avait abandonné l’infiltration et les agents doubles pour se doter de systèmes électroniques… mais Echelon a échoué. Même si, en réalité, ce n’est pas l’outil qui a fait défaut, mais l’interprétation humaine. Car il ne suffit pas d’installer des filtres d’analyse sémantique sur les PC ou d’être capable d’intercepter tous les signaux radio à l’échelle planétaire : il faut des hommes derrière les machines pour les exploiter. C’est aussi la conclusion de notre dossier sur la surveillance high-tech.Aujourd’hui, tout est possible ?” et tout se pratique : le repérage, par caméra et par ordinateur, d’un visage dans une foule, la localisation d’une conversation téléphonique, l’interception d’un e-mail. Encore faut-il des gens pour activer la base de données du PC, écouter la conversation ou lire l’e-mail intercepté. Pour qu’un Big Brother absolu existe, il faudrait presque autant d’hommes surveillants que d’hommes surveillés…Le XXIe siècle s’est terminé devant les Twin Towers : la Guerre des étoiles n’aura pas lieu. Le bouclier anti-missile dont rêvait le président américain était une ligne Maginot. Dans les rencontres internationales, on évoquait les agressions chimiques, bactériologiques, la cybercriminalité ?” jamais le terrorisme aérien. Bush et ses collègues se trompaient de cible : ils voulaient se défendre contre les ” États voyous “, mais ce sont des bandes qui les menaçaient. Des hommes-États contre des hommes d’État.Ce sont donc les hommes qu’on va appeler au secours, qui vont conduire des avions, lancer des bombes et se battre sur le terrain. Le fantassin du futur, évoqué dans ce numéro, ne sera pas encore prêt. Mais son barda technologique, ses logiciels, ses capteurs ou ses antennes GPS n’auront qu’un objectif : le rendre plus efficace sur le champ de bataille. Car il y aura toujours des champs de bataille où il ira risquer sa vie. Les militaires sont formels des deux côtés de l’Atlantique : on ne remplacera jamais les hommes par des automates. Les Français préparent bien des microdrones (des avions-robots chargés du repérage), et les Américains des Ratler (sortes de minichenilles équipées d’écrans). Mais la technologie ne se suffira jamais à elle-même : elle viendra en appui, pour limiter les pertes. Plus personne ne croit à la guerre Zéro mort.Ce n’est pas la technologie qui est remise en cause, mais le tout-technologique. Car nous ne reviendrons pas à la charrette et à la bougie. À New York, l’e-mail n’a jamais autant fonctionné que pendant les journées noires. Le progrès technologique va se poursuivre, et il continuera à transformer nos vies. La surveillance électronique que nous décrivons dans notre dossier deviendra encore plus quotidienne. Mais nous ne devrons plus oublier que lHomme est la faiblesse, et la force, de tous les dispositifs.
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