La goutte d’eau qui fait déborder le vase ? Ces dernières semaines, deux listes d’artistes ont circulé sur les réseaux sociaux – l’une de 16 000 noms, l’autre de 4 700 noms. Elles comporteraient tous les écrivains, photographes, illustrateurs ou réalisateurs de films dont les œuvres auraient été utilisées par Midjourney et ses concurrents, pour entraîner leur intelligence artificielle (IA) générative d’images. Ces listes auraient eu un effet de catalyseur, rapporte The Guardian, le dimanche 21 janvier. Des artistes britanniques envisageraient de s’unir pour taper du poing sur la table, et peser davantage face aux développeurs d’IA, aux États-Unis et au Royaume-Uni.
C’est du moins ce que souhaite Tim Flach, photographe et président d’une association d’artistes britanniques, dont le nom figure sur la fameuse liste. Après la diffusion de ces listes, « ce que nous devons faire, c’est nous rassembler », a-t-il martelé à nos confrères. Nombre d’entre eux auraient contacté des avocats américains et britanniques pour rejoindre des actions collectives déjà en cours, ou en former une nouvelle outre Atlantique et outre Manche, face à ce qu’ils appellent un « blanchiment de droit d’auteur ».
Des procédures déjà initiées en 2023
En 2023, plusieurs recours ont été formés contre les développeurs d’IA. Mais jusqu’à présent, les procédures collectives n’ont rassemblé que quelques artistes ou représentants d’ayant droits – même si certains pèsent particulièrement dans le monde des créateurs de contenus, comme le New York Times dernièrement. Comme le veut l’adage « l’union fait la force », il s’agirait cette fois de rassembler davantage d’artistes ou de créateurs, pour peser davantage.
Tout serait parti du procès qui oppose, en Californie, développeurs d’IA génératives d’images (Midjourney, Stability AI, Runway AI et DeviantArt) et artistes américains. L’action en justice, initiée il y a douze mois par les illustratrices Sarah Andersen, Karla Ortiz et Kelly McKernan, avait été modifiée en novembre dernier pour répondre aux demandes du juge. D’autres artistes s’étaient alors joints à l’affaire. C’est à cette occasion que la liste des 4 700 noms a été publiée, parmi d’autres pièces à conviction. Bien que la prochaine étape n’aura lieu qu’en février prochain, ce procès est particulièrement suivi par les artistes du monde entier, souligne Matthew Butterick, l’un des avocats américains en charge de la défense des auteurs, interrogé par nos confrères. Nombre d’entre eux auraient contacté le juriste, en vue de rejoindre la procédure en cours.
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Avec l’IA, « les avantages de l’art sans les coûts des artistes »
Depuis le succès de l’IA générative fin 2022, la question des droits d’auteur et de la juste rémunération des artistes est sur la table. Pour entraîner leurs systèmes, les développeurs d’IA ont collecté de milliards de données sur le Web, dont une partie est protégée par le copyright – au grand dam des premiers concernés, les auteurs, qui estiment qu’il s’agit d’un « pillage de leurs œuvres ». Les géants de l’IA s’appuient, de leur côté, sur des exceptions au droit d’auteur – un point que les tribunaux doivent trancher des deux côtés de l’Atlantique. Car si le copyright ou le droit d’auteur interdit généralement la copie exacte d’une œuvre, les règles ne sont pas aussi tranchées en cas d’imitation ou d’œuvre faite dans le style de tel artiste, par un outil d’IA.
Dans un avis publié le 18 janvier dernier, la Commission supérieure du numérique et des postes de l’Assemblée nationale (française) a justement recommandé de modifier la directive sur le droit d’auteur afin de « pour combler les vides juridiques liés au développement de l’IA générative. » Mais en attendant que les législateurs s’emparent de la question, et que les juges statuent en la matière, Midjourney gagne de l’argent grâce aux abonnements, qui vont de 10 à 120 dollars par mois. Et le marché est saturé de copies ou d’imitations d’œuvres protégées, ont déploré certains artistes. Dans la plainte, les représentants des artistes décrivent une « réalité sordide » derrière l’image de l’IA attractive : les générateurs d’images sont des « dispositifs de blanchiment de droits d’auteur, promettant aux clients les avantages de l’art sans les coûts des artistes ».
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« Si vous prenez le style d’un artiste, vous lui volez (son seul moyen de) subsistance »
Avec l’IA, il suffit de décrire l’image que vous souhaitez avoir, (à travers des commandes), pour obtenir une illustration. Il est même possible de préciser quel artiste vous voulez imiter (« à la manière de »), pour obtenir des copies ou des imitations dans le style de tel auteur. Or, cette possibilité repose sur le fait qu’à l’origine, un artiste a créé quelque chose, qui va être copié et pillé, plaident les créateurs en substance. La réutilisation, à des fins d’entraînement, de telle œuvre, devrait être en amont non seulement autorisée par l’artiste en question, mais aussi rémunérée, ajoutent les représentants des créateurs, dans la plainte déposée en Californie.
Tim Flach, le photographe britannique interviewé par le Guardian, est par exemple connu pour ces portraits stylisés d’animaux (comme des léopards des neiges ou des chauves souris). Alors que ses projets coûtent « des dizaines de milliers » d’euros, les systèmes d’IA peuvent en produire des copies et des imitations à moindre coût, et en quelques secondes, explique-t-il à nos confrères. Ce dernier cite l’exemple d’images générées par l’IA de léopards des neiges avec exactement les mêmes taches que celles présentes sur ses œuvres. « Si vous prenez le style d’un artiste, vous lui volez (son seul moyen de) subsistance », plaide-t-il.
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Autre artiste interviewé : l’illustrateur de science-fiction Chris Foss, qui est l’un des artistes les plus imités par les générateurs d’IA. Or, jusqu’à la semaine dernière, le septuagénaire, qui ne possède pas d’ordinateur, n’était pas au courant des imitations de ses couvertures générées par Midjourney, soulignent nos confrères. Pour autant, « les personnes qui connaissent vraiment mon travail reconnaîtraient instantanément que ces (images générées par l’IA) ne sont pas de moi », a-t-il déclaré à nos confrères. Car ces dernières « ont une certaine platitude – un manque de profondeur », a-t-il ajouté.
En attendant des actions éventuelles qui centraliseraient les plaintes de ces artistes, des auteurs ou des illustrateurs tentent de se protéger de différentes manières. Soit en ne publiant par leurs dernières œuvres sur le Web, par peur d’être imité. Soit en utilisant différents outils pour bloquer les robots crawlers des éditeurs d’IA, ou pour les « tromper », à l’image de celui mis en place par des chercheurs de l’université de Chicago.
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Source : The Guardian