Le rapport de la discorde : ce mercredi 27 septembre en début d’après-midi, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) a remis à Bérangère Couillard, la ministre déléguée chargée de l’égalité femmes-hommes, un rapport aussi explosif que polémique sur la pornographie. Le texte de 230 pages, intitulé « Pornocriminalité. Mettons fin à l’impunité de l’industrie pornographique », avait été publié sur le site de L’Informé vendredi dernier.
Il pourrait orienter la politique du gouvernement en la matière, et fait suite à un rapport en 2022 du Sénat, qui dénonçait déjà une situation particulièrement alarmante.
Que dit le rapport ?
Le texte dresse un bilan accablant des vidéos proposées sur quatre sites : Pornhub, XVideos, Xnxx, et Xhamster. Pour dresser cet état des lieux, la commission « violences faites aux femmes » de cet organe consultatif explique avoir travaillé et enquêté pendant un an et demi. Son constat est clair : les vidéos proposées sur ces sites comprennent des images dégradantes pour les femmes, mais aussi d’innombrables atteintes graves à la dignité humaine. La majorité des « contenus pornographiques (contiennent) de la violence physique ou verbale. (Ils sont) donc pénalement répréhensibles », écrivent les auteurs du rapport.
Le texte dépeint des vidéos de « massacre illégal à but lucratif », avec des sites « infestés de vidéos de viols », « des actes de torture et de barbarie insoutenables ». Il recense 1,3 million de vidéos pédopornographiques qui « banalisent et érotisent l’inceste et la pédocriminalité ». Pour Sylvie Pierre-Brossolette, sa présidente, il faut sortir du déni. « Le mur d’indifférence qui a accompagné la montée de la violence dans le porno est absolument sidérant », estime-t-elle.
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Les auteurs du rapport dénoncent aussi l’absence de protection des mineurs, qui seraient biberonnés à « la culture du viol ». Du fait de la consommation massive dès le plus jeune âge de vidéos pornographiques, la violence sexuelle serait banalisée, selon le texte. L’instance note des contrats de travail illégaux des acteurs et actrices du X, du fait qu’« on ne peut pas consentir à sa propre torture, à sa propre humiliation ». Elle tacle, plus largement, les institutions, « censées agir et qui restent dans l’inaction, voire la complaisance ».
Le HCE finit par dix recommandations, dont « l’extension du pouvoir de retrait et de blocage de Pharos à toutes les atteintes volontaires à l’intégrité d’une personne » ou le blocage par l’Arcom des sites pornographiques ne mettant pas en place de contrôle d’âge.
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La politique pénale doit avoir « pour priorité la lutte contre la pornocriminalité et la poursuite des sites et plateformes dans l’illégalité ». « Le discours pornographique est incompatible avec la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et avec l’émancipation sexuelle de tous et toutes », ajoutent les auteurs du rapport.
Une « véritable croisade anti-porno »
Pourtant, depuis sa publication chez nos confrères, les critiques se sont multipliées, certains dénonçant une « véritable croisade anti-porno ». Première d’entre elles : dans le rapport, tout contenu pornographique serait associé à de la criminalité, déplore Mélanie Jaoul, maîtresse de conférences en droit privé et présidente de l’Association Allié(e)s des Travailleurs et Travailleuses du Sexe, sur son compte Twitter. « Le HCE opte pour une position abolitionniste : le porno est une violence faite aux femmes ». Résultat, explique-t-elle en substance : il n’y aurait qu’une solution : l’interdiction.
Mais c’est surtout la méthode du HCE qui est la plus fustigée. L’instance n’aurait auditionné que des « proches ». Elle ne citerait que des recherches en faveur de la prohibition du porno, selon ses pourfendeurs. Sur son compte Twitter, l’avocat Alexandre Archambault dénonce des auditions « de potes ou d’autres gens qui sont forcément d’accord avec eux ».
La professeure Béatrice Damian-Gaillard et l’enseignant chercheur en sciences humaines et sociales Florian Vörös – membre démissionnaire du HCE – fustigent, de leur côté, un « manque d’objectivité ainsi que le caractère autoritaire des méthodes et préconisations » du HCE, dans une tribune publiée sur le blog de Mediapart ce mercredi.
Selon ces derniers, la Commission n’aurait « lu et auditionné que des personnes dont le présupposé de départ est que la pornographie est en soi un problème à éradiquer ». Un membre du HCE, Sébastien Chauvin, explique, quant à lui, avoir démissionné après avoir voté contre le rapport, dénonçant un texte « caricaturalement prohibitionniste ».
« Non-consultation des travailleur·se·s du sexe, éviction des chercheurs n’allant pas dans leur sens, invisibilisation des travaux n’allant pas dans leur sens… Il ne s’agit pas d’une synthèse des savoirs, mais un rapport ne mobilisant QUE les travaux leur permettant d’appuyer leur abolitionnisme », résume la chercheuse Ludivine Demol, spécialiste de la consommation pornographique des jeunes, sur son compte X (anciennement Twitter).
Ce rapport est une honte, à tous les niveaux : non consultation des TDS, éviction des chercheurs n'allant pas dans leur sens, incisibilisation des travaux n'allant pas dans leur sens https://t.co/ca15ZlLylc
— ludi demol defe 🐘 (@ludidemoldefe) September 26, 2023
Les acteurs et actrices du X pas auditionnés
Deuxième problème soulevé : les actrices du X, premières concernées par le sujet, n’ont pas été auditionnées. Un point déploré par le syndicat du Travail sexuel, qui écrit, dans un communiqué publié ce mercredi : « La lutte contre les violences dans l’industrie pornographique doit se faire avec et pour les personnes concernées ».
Eva Vocz, chargée de plaidoyer travail du sexe pour Act Up, aussi connue sous le nom de Lulla Byebye, actrice porno et réalisatrice, regrette, au micro de France Inter ce jour, qu’aucune actrice n’ait été interrogée ou auditionnée. Cette dernière déplore que tout tournage d’un film X soit considéré par les auteurs du rapport comme étant, par principe, « illégal, ou qu’il soit assimilé à du proxénétisme, pour dire ensuite que le consentement (de l’acteur ou de l’actrice, ndlr) est nul ».
« Ils veulent retirer aux actrices pornographiques la capacité à consentir. On nous traite comme des enfants, on considère qu’on ne peut pas consentir. Or la notion de consentement, c’est ce qui permet aussi de dire non ! », déplore-t-elle.
Les contrats des acteurs du X sont aussi décrits, dans le rapport, comme étant illégaux. Pourtant, « nous avons un statut d’artiste-interprète, les contrats de travail ne sont pas là pour décorer mais pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs », s’indigne Eva Vocz sur son compte Twitter.
Des personnalités ou associations épinglées dénoncent que leurs propos soient dénaturés ou caricaturés
Des personnalités et des associations, épinglées dans le rapport, dénoncent également le fait que leurs propos aient été dénaturés ou caricaturés, sans que ces derniers aient été consultés, comme la Quadrature du Net, le parti pirate ou la journaliste Carmina, rédactrice en chef du site spécialisé “Le Tag Parfait”.
Sur Twitter, cette dernière écrit : « Qu’on ne soit pas d’accord avec moi, soit. Mais qu’on utilise ce ton plus qu’ironique et qu’on parle de feminism washing [le fait de faire croire qu’on est féministe, ndlr] en détournant mes propres mots, c’est révoltant. »
Un recours au « chat control » préconisé
Autre élément critiqué : le HCE préconise, dans sa série de recommandations, l’utilisation de ce qu’on appelle le « chat control », une technologie qui obligerait les plateformes à scanner tous les contenus publiés ou échangés pour identifier des contenus pédopornographiques – y compris sur des messageries chiffrées comme Signal ou Telegram.
Comme nous vous l’expliquions, cette mesure, proposée par le futur règlement européen CSAR, inquiète particulièrement les défenseurs des droits numériques comme les Cnils européennes, car elle rendrait le chiffrement inopérant, ce qui pourrait conduire à une surveillance généralisée de nos communications.
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Pour Mélanie Jaoul, il faudrait, plutôt que d’opter pour l’interdiction – ce qui ne ferait que délocaliser les tournages en dehors de l’Hexagone – davantage œuvrer pour appliquer le droit du travail. Une partie de la solution aux violences serait de plus « encadrer (le secteur, ndlr), notamment avec des coordonnateurs d’intimités professionnels et indépendants, le pouvoir de contrôle de la médecine du travail, l’organisation syndicale de la profession et pourquoi pas la signature d’une convention collective spécifique à la profession », rapporte-t-elle chez nos confrères de France Inter.
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Source : Rapport du HCE