‘ Actuellement, les meilleures sources, ce sont les radios FM diffusant du hard rock ‘, explique Jean-Philippe Brunet, PDG de
C&T. Cette petite PME française fait partie de la poignée d’entreprises qui, dans le monde, travaillent sur le sujet sensible des radars dits ‘ passifs ‘.Leur principe de fonctionnement est particulièrement simple. Une antenne diffusant des émissions de radio, de télévision ou relayant des communications téléphoniques émet continuellement un signal relativement puissant. Ce signal est
bien entendu destiné aux postes de radios et de télévision ainsi qu’aux téléphones portables, mais il rayonne aussi dans toutes les directions… vers le ciel par exemple.Imaginons maintenant que ce signal vienne butter contre un avion. Les ondes sont alors réfléchies par la carlingue et une certaine quantité d’énergie retourne vers le sol, pas nécessairement dans la même direction. Si un
récepteur est capable de capter cet écho, il peut alors détecter, voire localiser l’avion. C’est le principe du radar passif : utiliser opportunément un émetteur conçu pour tout autre chose afin d’analyser les échos
renvoyés par des cibles en mouvement.
Un avion furtif abattu
Le premier intérêt d’un tel système, c’est qu’il ne coûte pas cher : environ 250 000 euros contre 5 millions pour un système traditionnel utilisant un émetteur radar. Deuxième intérêt, il est
indétectable… puisqu’il se résume à un récepteur. Un avion ‘ ennemi ‘ équipé d’un détecteur de radar n’enregistre en fait qu’une activité radioélectrique banale, faite d’émissions de télévision, de
radio et de réseaux de téléphonie mobile.Troisième intérêt, il peut détecter les avions furtifs. Ces avions sont en effet conçus pour limiter la puissance des échos renvoyés en direction de l’émetteur. Une parade qui marche pour les radars traditionnels
puisqu’ils cumulent les fonctions d’émission et de réception. Dans le cas des radars passifs, l’émetteur et le récepteur ne sont pas placés au même endroit. Le principe de furtivité s’en trouve donc totalement contrarié.Le 27 mars 1999, au cours de la crise du Kosovo, l’Otan a d’ailleurs soupçonné les forces serbes d’avoir utilisé un radar furtif tchèque de classe Tamara pour
abattre un bombardier furtif américain F-117A. La même crainte, non prouvée, fut exprimée juste avant l’intervention américaine en Irak et plusieurs fois à
l’encontre de l’Iran.Une manière de faire pression sur les entreprises tchèques pour qu’elles contrôlent leurs exportations et évitent ainsi que des pays jugés hostiles s’équipent d’un radar peu cher, efficace et capable de déjouer
leurs avions furtifs.
Surveiller le trafic automobile
Quoi de neuf depuis 1999 ? Trois conférences ont récemment fait le point sur les avancées en matière de radars passifs :
‘ PCR-2003 ‘ à Seattle,
‘ Radar 2003 ‘ à Adélaïde et le 19 novembre dernier
Ruptures en radar 2003 à Paris. En gros, il apparaît que la plupart des produits sont encore à l’état de prototypes ou de projets pilotes.Le système de C&T a notamment été testé pour la surveillance des côtes italiennes. Mais le Vera-E, de l’entreprise tchèque
Era, est déjà au stade commercial. Tout comme le Silent Sentry, proposé par
Lockheed Martin depuis 1998 et utilisant la bande FM. Sa version 3, présentée en mai 2002, est notamment proposée pour la lutte contre la drogue (détection d’avions aux frontières ou
surveillance côtière) ou pour les tours de contrôle des petits aéroports civils.Les Anglais de Roke Manor Research, associés à l’équipementier militaire BAE Systems, continuent quant à eux à développer leur
Celldar, basé sur l’exploitation des antennes relais de téléphonie portable. Roke Manor pensait utiliser ce système pour
surveiller le trafic routier ; pourtant, c’est bien le militaire qui l’emporte. ‘ Nous n’avons aucune application civile pour
Celldar ‘, nous a expliqué un porte-parole de la société.Le GSM et même l’UMTS intéressent également une équipe de
l’université de Nanyang, à Singapour, et les Allemands de
FGAN-FHR. Pourtant, la faible puissance des émetteurs laisse perplexes beaucoup de spécialistes. Ils ne seraient utiles que sur de faibles distances, alors que les systèmes basés
sur les signaux radio sont capables de détecter des cibles jusqu’à 100 km de distance, et pour les émetteurs télé jusqu’à 250 km. Ces derniers systèmes de détection pèchent néanmoins par une assez mauvaise précision (on parle
d’une centaine de mètres), sauf quand plusieurs sources émettrices peuvent être utilisées.
Des radars passifs embarqués dans les avions
Foin du GSM donc, l’avenir est ailleurs. Tout le monde attend en effet avec impatience la généralisation de la radio numérique (DAB) et surtout de la télévision numérique (DVB). Selon John Sahr, organisateur de PCR-03, les
premiers résultats de radars passifs s’appuyant sur ces technologies ‘ montrent une nette amélioration de la localisation des cibles ‘.Autre avancée notable : la capacité d’identification.
Aaron Lanterman, chercheur au Georgia Institute of Technology, a ainsi montré que l’on pouvait coupler un radar passif à une base de données comprenant les signatures radars des
avions courants.Par ailleurs, à l’horizon 2010, les spécialistes français de l’Onera alliés à
Thalès tablent sur des systèmes de radars passifs aéroportés. Un avion ‘ muet ‘ utiliserait par exemple les émetteurs radio et télé de la zone survolée pour détecter
les avions ennemis. Ils travaillent également à un radar passif installé sur un véhicule pour la surveillance des côtes (projet Saros).Un pas vers la mobilité qui semble déjà avoir été fait par la Chine. Une des communications secrètes de PCR-03 (réservée aux représentants américains, canadiens, australiens et anglais) portait en effet sur l’utilisation de
radars passifs par des destroyers de ce pays. Radars servant à détecter des cibles situées au-delà de la ligne d’horizon. Bref, la guerre passive a déjà commencé…
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