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Quoi de neuf ?

I- L’Annonciation

À grande carrière, belle légende. ” Dans le bureau cloisonné du contentieux d’Euryx Bank, à Paris, à deux pas du Bon Marché, Arzel Serisy s’offrait un moment de détente en feuilletant Le Monde, après avoir facturé 160 000 francs de frais pour avis à tiers détenteur, quand le portrait d’une développeuse absorba son attention. Ah, qu’elle avait eu le nez creux, cette Dimitra Kaïros, le jour où il lui avait pris de s’élancer sur les pentes de l’Everest !Son sherpa venait de dévisser sous ses yeux, sur l’arête sud-est du versant népalais, lorsque la vision de son avenir professionnel s’imposa à elle. Pour cette citoyenne américaine d’origine grecque, il n’était plus question de balancer. Oubliés, les doutes sur sa vocation ! Après des semaines de retraite et d’abstinence dans le désert (sans sexe, sans viande, sans alcool), suivies d’une dépense physique extrême sur les escarpements du massif himalayen, sa conviction était faite. Dimitra rappellerait le chasseur de têtes qui l’avait relancée jusqu’à son hôtel de Katmandou. “J’ai bien réfléchi, Norman. J’accepte la direction de Safecall…” C’était net, zen et lumineux à présent. C’était aussi perçant que le râle du sherpa montant du fond de la crevasse où il expirerait avant la nuit. Sa fortune et son équilibre, Dimitra les bâtirait dans le développement des logiciels d’aide en ligne. Le chef du contentieux des agences Euryx de la rive gauche était loin de soupçonner que son avenir à lui prendrait un tournant aussi inattendu le lendemain, à la première heure. Arzel n’avait pas le piolet à la ceinture, il ne toisait pas l’abîme quand ça se produisit.Il était en pleine ville. Un accent québécois filtrait du séjour. Sur TV5, le journal télévisé de Radio Canada tirait à sa fin. Du sixième étage de sa résidence, il regardait avec dégoût le rebord de fenêtre maculé de fiente de pigeon.D’avoir lampé le fond de sa tasse après s’être brossé les dents l’avait rendu nauséeux. Le rasoir mécanique lui avait entaillé la peau au même endroit que la veille : au creux du menton. Arzel venait d’y coller un confetti de papier hygiénique quand la sonnerie du ” vieux téléphone ” (comme le surnommait son fils Théo) le tira de la salle de bains. C’est en slip, dans le séjour sans rideaux et ouvert à tous les vents,qu’il l’apprit. Le directeur des ressources humaines d’Euryx Bank souhaitait le voir à midi. Arzel en était enchanté. Cela faisait assez longtemps qu’il cherchait à le convaincre d’accepter le congé sabbatique d’un de ses collaborateurs. Après vingt ans de contentieux et cinq ans de bricolage à domicile, le vieux Gaëtan était pressé de faire prendre la mer au voilier qu’il avait construit de ses mains ?” sans sponsor ?” dans son jardin d’Antony.Mais le DRH se moquait du tour du monde dont rêvait Gaëtan. “Non, non, c’est de votre évolution de carrière dont je veux vous entretenir, Arzel, lui avait-il déclaré d’entrée. La direction générale a une proposition à vous faire. Vous avez juste assez d’expérience. Vous êtes juste assez jeune. C’est le profil indiqué pour le poste à pourvoir… Quel type de poste, dites-vous ? Laissez-moi y venir ! Avec l’absorption de Bartabas et de ses filiales, il faut créer une culture commune au sein du groupe Euryx. Cela passe par la mobilité. Encore faut-il saisir l’occasion. La voici ! Chez Prestibank, le directeur de la relation clientèle se cherche un adjoint. La banque 100 % en ligne, 7 jours sur 7, c’est un autre univers, n’est-ce pas ? Quelqu’un de chez nous ?” vous voyez à qui je pense ?” est convaincu que vous seriez tout à fait l’homme de la situation.” Arzel Serusy, trente-huit ans, marié, un enfant, accueillit la proposition sur un ton complice et amusé. Le DRH en déduisit que son interlocuteur avait décidément le bras long. Très long. Et pourtant, Arzel ne voyait pas quelle sommité avait pu le recommander pour cette soudaine promotion. Prochain chapitre : MAUVAIS RÊVE

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Philippe Delaroche, Journaliste, écrivain, ancien éditeur. Dernier ouvrage paru : " Caën et Abel avaient un frère " (L'Olivier édition).