Shopify n’a peut-être pas été créée dans un garage, son histoire nous rappelle pourtant celle de nombreuses start-up à succès.
Tout commence en 2004 lorsque trois Canadiens fondent Snowdevil, une entreprise qui projette de vendre sur Internet… des snowboards. Le destin de ces entrepreneurs bascule au moment où ils réalisent qu’aucun logiciel n’existe pour créer facilement une boutique en ligne. Ils décident donc de concevoir le leur, bien plus modulaire et adapté aux exigences de leur entreprise. Un logiciel si bon qu’il devient finalement le produit principal en 2006, sous l’identité de Shopify.
14 ans plus tard, plus d’un million d’entreprises utilisent les services de Shopify. Il est d’ailleurs probable que vous ayez déjà commandé quelque chose en passant par la plate-forme sans même le savoir. En effet, à la différence d’un Amazon, d’un AliExpress ou d’un Cdiscount, Shopify est une « entreprise de l’ombre ». Elle fournit aux vendeurs de nombreuses solutions pour créer leurs propres magasins, sans jamais se mettre en avant.
Un modèle sans équivalent
C’est à Amsterdam que nous nous sommes plongés dans l’univers de Shopify. Plusieurs fois par an, le groupe canadien réunit ses partenaires pour leur annoncer des nouveautés. Son objectif est aussi d’aider les entrepreneurs à se rencontrer, afin de renforcer sa propre communauté. « La mission de Shopify, c’est d’aider les entrepreneurs à rivaliser avec les grandes plates-formes du e-commerce » nous explique Emilie Benoit, responsable française de Shopify depuis 2018. « Comment un petit marchand peut rivaliser techniquement avec les développeurs d’Amazon ? ».
Développer, c’est justement ce que fait Shopify. Contre un abonnement mensuel (allant de 29 dollars à 299 dollars par mois) et un pourcentage sur leurs ventes, la plate-forme propose aux entreprises de concevoir leur propre site de e-commerce. Ce sont elles qui choisissent le design, le nom des rubriques, la manière de présenter un produit… Tout est entièrement personnalisable. De nombreuses marques comme GymShark, Respire ou The Bradery dépendent de cette plate-forme sans laquelle il leur serait impossible de vendre des produits sur Internet. Au Canada, où le cannabis est légal, c’est sur Shopify que l’on peut passer commande. Certaines célébrités, comme Kanye West et la famille Kardashian, vendent également leurs produits dérivés sur des magasins virtuels créés sur Shopify.
Au fur et à mesure des années, Shopify s’est imposé comme l’anti-Amazon. Vous voulez vendre des produits sous votre propre identité plutôt qu’en tant que « vendeur Amazon » ? La plate-forme correspond à vos besoins. L’entreprise tente d’ailleurs de se coller une étiquette de « rebelle » bien plus cool que celle d’un « géant ». Avec une capitalisation boursière de plus de 50 milliards de dollars, elle appartient pourtant sans doute plus à la seconde catégorie aujourd’hui.
Shopify a aussi son App Store
Pour de nombreuses entreprises, Shopify n’est pas seulement un site d’e-commerce. C’est aussi une plate-forme à part entière sur laquelle on peut développer des logiciels et les vendre.
En effet, l’une des forces de la plate-forme est son « App Store ». Pour faire simple, Shopify propose aux développeurs qui le souhaitent de concevoir des extensions pour les sites des e-commerçants. Cela permet ainsi de personnaliser sa page et de l’adapter à certaines contraintes locales.
Par exemple, l’extension Colissimo permet d’imprimer automatiquement des étiquettes de livraison, celle de Cdiscount de vendre ses produits sur la plate-forme en un seul clic, celle deYotpo d’insérer une section commentaires sous ces produits tandis que des modules de paiement, comme Mollie, permettent de payer avec les solutions sécurisées des banques françaises ou d’autres pays européens. Sur les 3700 applications présentes sur la plate-forme, certaines sont gratuites, d’autres payantes. Shopify propose aussi un « Theme Store » sur lequel il est possible de commander des designs personnalisés pour ses sites, sans avoir à débourser une fortune.
L’ombre du dropshipping
Pour bien comprendre cette partie, il faut savoir ce qu’est le « dropshipping ». Il s’agit d’un système de commerce indirect qui, plutôt que d’impliquer un acheteur et un vendeur, englobe trois différents acteurs : l’acheteur, le vendeur et… le fournisseur. La personne qui vous vend un produit ne détient en réalité aucun stock et ne sert que d’intermédiaire entre l’acheteur et le réel fournisseur du produit. Cela permet à n’importe qui de créer un commerce, sans forcément avoir l’espace nécessaire pour le gérer.
Sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram, le dropshipping est en vogue. Si vous suivez des influenceurs, vous avez forcément déjà vu des publicités pour des « AirPods à prix cassés » ou d’autres produits au rapport qualité-prix aguicheur. Il s’agit le plus souvent de produits venant de Chine et revendus par l’influenceur bien plus cher que ce qu’ils coûtent à l’origine.
Sans Shopify, cette pratique serait bien plus compliquée à mettre en place. Par l’intermédiaire d’Oberlo (une entreprise qu’elle possède depuis 2017), Shopify donne en effet la possibilité de créer facilement son site de dropshipping. C’est cette plate-forme qui est prisée par de nombreux apprentis commerçants qui souhaitent créer leur magasin. Certains ont des intentions louables (faire découvrir une culture par exemple), d’autres souhaitent uniquement gagner de l’argent.
« On considère que le dropshipping est une opportunité pour les entrepreneurs » se défend la responsable française de Shopify lorsque nous évoquons les nombreux abus causés par cette pratique.
Plutôt que de tenter de réguler le dropshipping (en expliquant aux gens ce qui est vendu directement par le vendeur et ce qui vient de Chine par exemple), Shopify joue la carte éducative. Le groupe souhaite mener des campagnes de communication pour aider les internautes à « éviter de se faire arnaquer en ligne », notamment en leur apprenant à repérer les prix suspects. Shopify précise également que si un abus ou même une arnaque est signalée par des utilisateurs ou par les autorités, il a la possibilité de fermer une e-boutique. Selon lui, cela arriverait d’ailleurs régulièrement.
Dans le futur, Shopify veut imposer sa marque
Soyons honnêtes, nous n’aurions pas consacré un si long article à Shopify si cette entité n’était « qu’une entreprise de l’ombre ». Ce qui nous intéresse chez elle, c’est son ambition à concurrencer les plus grands en développant sa notoriété.
À Amsterdam, nous avons pu rencontrer Jean-Michel Lemieux, le CTO de l’entreprise. Depuis maintenant plus de 5 ans, ce Québécois supervise le développement de la plate-forme. Il a notamment ouvert Shopify à de nouveaux horizons (comme les jeux-vidéo) et souhaite propulser l’entreprise sur tous les réseaux sociaux, les petits comme les grands. « On ne doit pas miser que sur Google et Facebook » confie-t-il à 01net.com.
Sous son impulsion, Shopify s’est récemment lancé dans le matériel. Sous l’identité de Shopify Hardware, l’entreprise canadienne commercialise des produits à destination des commerces. On trouve notamment des caisses enregistreuses ultra modernes, concurrentes directes des produits de Square. Ces dernières permettent d’améliorer l’expérience de paiement et, surtout, de relier un store Shopify à une boutique réelle. N’importe quel magasin physique peut ainsi gérer son stock sur la plate-forme sans avoir à se préoccuper de tâches supplémentaires. On trouve également des accessoires pour transformer des smartphones en terminaux de paiement, à la manière de ce que propose Ingenico. « Nous ne sommes pas qu’une entreprise en ligne » explique Jean-Michel Lemieux, ou JML comme tout le monde l’appelle chez Shopify.
Deuxième plate-forme de e-commerce derrière Amazon aux États-Unis, Shopify espère créer un empire capable de rivaliser avec celui de Jeff Bezos. Citons notamment certaines initiatives comme Shopify Pay, un service de paiement mobile valable sur les commerces hébergés par la plate-forme et Shopify Arrive, une application pour suivre ses livraisons (y compris celles effectuées chez les concurrents). Interrogé par 01net.com sur certaines initiatives comme l’Apple Card, le CTO de l’entreprise ne cache pas son intérêt : « ça nous intéresse », « cela permet de mieux négocier les frais ». Bientôt une Shopify Card ?
Le plus grand effort de Shopify pour concurrencer Amazon est sans aucun doute de développer ses entrepôts. La marque canadienne propose aux commerces de stocker leurs produits et de les expédier à leur place, façon Amazon, mais il n’en existe aujourd’hui que sept.
Shopify a également racheté 6 River Systems, une entreprise de robotique qui a mis en place Chuck, un robot dédié à la conception des colis (il va notamment chercher les produits dans les allées). Chuck n’est pas réservé aux entrepôts Shopify. « On espère le proposer à 10.000 centres de distribution dans le monde » nous confie JML.
La seule limite que se fixe Shopify est de ne jamais créer de « marketplace », un hub central où il serait possible d’accéder à toutes les boutiques. La marque veut que chaque commerçant conserve son propre espace et n’a pas envie de lancer un super site où il serait possible d’accéder à tout Shopify. « On supporte les entreprises en mettant en avant leurs marques ». Le groupe est conscient que pour être l’alternative à Amazon, il ne doit pas devenir Amazon. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il permet aux commerces qui le souhaitent, en complément de leur site Shopify, de vendre sur plusieurs plates-formes y compris celles des concurrents comme Cdiscount… ou Amazon lui-même. À eux de choisir des sites depuis l’App Store. « On est la seule plate-forme réellement modulaire » s’enthousiasme le CTO de l’entreprise.
Dans les prochains mois, il y a de fortes chances que vous entendiez parler de cette entreprise. Le snowboard est définitivement rangé au placard, Shopify veut conquérir le monde.
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