Quoi que l’on en pense, il y a des questions qui deviennent cultes. Y a-t-il un pilote dans l’avion ?, du film éponyme. ‘ Qui c’est qu’a
pété ‘, de Loft Story première cuvée. Et Qui a ruiné France Télécom ?, titre d’un livre (**) de trois confrères, Jean-Jérôme Bertolus, Jean-Michel Cedro et Thierry Del Jésus.Et ne rigolez pas : ces trois questions ont bien un lien entre elles. Relisez-les, vous verrez qu’elles s’appliquent toutes à l’opérateur de télécoms français. La plus évidente des trois n’est,
d’ailleurs, peut-être pas la mieux adaptée.France Télécom, notre fleuron national, accuse aujourd’hui, selon les auteurs, une perte de 101 milliards d’euros. Soit l’équivalent d’une trentaine de porte-avions
Charles-de-Gaulle, ou largement plus qu’il n’en faut pour financer nos retraites.Bénéficiaire, sans dette, en 1995, l’opérateur est devenu l’une des entreprises les plus endettées au monde. Un sacré record français. Comment en est-on arrivé là ? Et première interrogation : y avait-il un
pilote dans l’avion ? A cette question, le livre répond par des portraits au vitriol des principaux acteurs de l’histoire.Le président Michel Bon ? Au mieux un naïf, au pire un benêt, toujours étonné des malheurs qui s’abattent sur lui. Lorsqu’on lui apprend, en 1999, que son allié Ron Sommer, patron de Deutsche Telekom, s’apprête
à lui planter un couteau dans le dos, il réfute en bloc. ‘ Il ne peut pas me mentir, l’affaire est trop grave. ‘
ça. ‘Dans les deux cas, et dans bien d’autres circonstances, il s’est planté. Formidable ‘ vendeur de cacahuètes ‘, comme on le surnommait dans les ministères, Michel Bon, racontent les auteurs, a
magnifiquement réussi la transformation de l’entreprise publique endormie en tête de gondole.Mais il n’a jamais été fin stratège. Son bras droit aurait dû l’être. Raté, Jean-Louis Vinciguerra, directeur financier, est décrit comme ‘ un cavalier ‘. Un cavalier qui a mené des opérations financières toutes
plus désastreuses les unes que les autres.Le livre en relate quelques-unes et montre comment ce qui devait être au départ un ‘ coup de magie financier ‘ n’a fait qu’alourdir la dette de l’opérateur. Le jugement est sévère :
‘ C’est une faute digne d’une première année d’école de commerce. ‘Pourtant, diriez-vous, France Télécom était contrôlé par l’Etat… Pas vraiment car, à tous les échelons, tout le monde a pété les plombs. Deuxième question : qui c’est qui a pété ? Des ministres et
secrétaires d’Etat à côté de la plaque. Dominique Strauss-Kahn, qui ne voit la mise en Bourse de l’opérateur que comme ‘ une grosse cagnotte ‘. Christian Pierret qui, pour contrer l’opération
d’acquisition de Telecom Italia par Deutsche Telekom, propose ‘ Et si on lançait une opération similaire sur Telefonica [l’opérateur historique espagnol, NDLR]. ‘ Ridicule et
peut-être la meilleure réplique de ce triste spectacle.Les conseillers desdits ministres eux aussi ont pété les plombs. Le directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn estime que le choix des administrateurs de France Télécom, chargés notamment de donner leur avis sur les acquisitions,
est un ‘ non-sujet ‘.Quand Michel Bon et Jean-Louis Vinciguerra vont voir leur actionnaire, l’Etat est aux abonnés absents. Voilà notre naïf et son cavalier prêts à prendre une participation dans Mobilcom, un opérateur allemand pas très clair. Pas de
chance, il y a un changement de ministre ; et le nouveau venu, Christian Sautter, a mieux à faire : il est préoccupé par ‘ les grands équilibres économiques ‘.Pourtant, la direction de France Télécom n’a pas toujours pris soin, relatent les auteurs, d’avertir son actionnaire principal. Les termes précis de l’accord de prise de participation de France Télécom dans Mobilcom
n’ont été divulgués à l’Etat que deux ans après l’opération.Les représentants des salariés au conseil d’administration étaient, eux aussi, en général, mis devant le fait accompli. Michel Bon s’en ‘ méfiait ‘ et ne leur remettait les documents
stratégiques concernant ses gigantesques opérations que ‘ le jour même ‘.Alors, troisième et dernière question, qui a ruiné France Télécom ? Tout le monde, concluent les auteurs : la direction, le pouvoir politique ?” de gauche comme de droite ?”, les analystes financiers, les
banques. A lire leurs tristes justifications, disséminées dans le livre, tous se proclament ‘ responsables mais pas coupables ‘. Victimes, pour les uns, des aléas de la Bourse, pour les autres, des conflits
d’intérêts politiques.Aujourd’hui, personne ne juge bon de démêler, judiciairement, leurs responsabilités. Pas bon pour le moral, pour l’avenir et pour tous les acteurs du dossier.Surtout, ne pas tirer les conséquences de ce trou de 100 milliards d’euros et refaire, demain, les mêmes erreurs.* Rédacteur en chef adjoint de L’Ordinateur Individuel** Hachette LittératuresProchaine chronique jeudi 5 juin
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