MVNO (Mobile virtual network operator) est le dernier sigle en vogue dans l’univers des télécoms. Et, on a sans doute pas fini d’en entendre parler ! Fausse bonne idée, pour les uns ; véritable chambardement du modèle économique des opérateurs mobiles, pour les autres. Même feutré, le débat bat son plein. Dans un contexte où la plupart des opérateurs cellulaires arrivent à maturité, tout en étant confrontés à de délicats problèmes de financement, le concept de MVNO a de bonnes chances de faire florès.
Opérateur à la carte
Étant dépourvu de réseau, un MVNO n’investit ni dans la licence ni dans l’infrastructure. À plusieurs dizaines de milliards de francs le ticket d’entrée (acquisition de la licence et déploiement du réseau) dans l’UMTS, le concept, un peu étonnant de prime abord, mérite d’être creusé. “En fait, vos concurrents investissent à votre place”, ironise un MVNO potentiel. Certes, le résumé est grossier mais il ouvre bien des perspectives…De la même manière qu’il n’est pas nécessaire de posséder sa propre infrastructure pour offrir des services fixes, on peut tout à fait imaginer un opérateur mobile sans réseau. D’où la qualification de virtuel, dans la mesure où l’opérateur se contente de louer de la capacité, notamment en matière d’accès radio. Véritable opérateur ou simple fournisseur de services, à l’instar des défuntes sociétés de commercialisation et de services (SCS) apparues lors du lancement du GSM, la question divise les spécialistes.Dans le cas des mobiles, le principal élément de différenciation entre opérateur virtuel et SCS réside dans la propriété de la carte SIM, carte d’identification insérée dans le terminal. Une SCS – bien qu’habilitée à facturer, à commercialiser et à distribuer des services – n’est pas propriétaire de la carte SIM de ses abonnés, qui reste l’apanage de l’opérateur. Inversement, un MVNO établit une relation directe avec ses clients puisqu’il est propriétaire des cartes SIM. Un élément qui pourrait passer pour anodin si cette carte n’était pas considérée comme le lien indéfectible entre un opérateur et son client. Grâce à son ” profil électronique “, ce microprocesseur – qui contient tous les éléments relatifs à l’abonnement – est au c?”ur de la spécification des services d’un opérateur. Au-delà de la propriété de ce module d’authentification et d’identification, il n’existe pas de définition précise de la répartition des rôles entre MVNO et fournisseur de bande passante. Tout étant ici une question d’intégration – autrement dit, qui fait quoi -, autant dire que la palette des configurations est très étendue.
Tout est fonction du degré d’intégration souhaité
Sur le papier, le plus rudimentaire des MVNO se limite au marketing et à la distribution de sa marque en abandonnant tout le reste (facturation, gestion de la relation clients et exploitation du réseau) à l’opérateur d’infrastructure. À l’opposé, le plus intégré des MVNO s’engagera de manière beaucoup plus poussée non seulement sur le plan opérationnel, mais aussi au niveau des infrastructures. Hormis le déploiement des stations de base, on peut tout à fait imaginer un MVNO qui collecterait et acheminerait lui-même son trafic avec ses propres MSC et HLR. Entre les extrémités, tout est fonction du degré d’intégration souhaité entre un MVNO et son fournisseur de capacités. Dans le cas de Virgin Mobile, en Grande-Bretagne, ce pionnier des MVNO a laissé à son partenaire One-2-One la plupart des aspects concernant l’exploitation du réseau (BTS, MSC et HLR), à l’exception de la facturation et de la gestion des messages SMS. Comme le souligne Richard Branson, son président : “Avec Virgin Mobile, nous avons prouvé qu’il était tout à fait possible de réussir dans la téléphonie mobile sans déployer de stations de base.”Autre type d’approche, celle d’Energis, un opérateur britannique spécialisé auprès des entreprises, qui teste actuellement un concept de MVNO entièrement dédié aux services professionnels sur le réseau d’Orange. Baptisé Energis Mobile Services, Energis commercialise ses propres terminaux sous sa propre marque – la facturation restant du ressort d’Orange -, avec un positionnement assez prononcé autour de la convergence fixe-mobile et de l’accès à des Intranet d’entreprise. Un contexte dans lequel les intérêts des deux partenaires sont assez complémentaires : Energis enrichit son offre avec des services de mobilité, tandis qu’Orange, dont le positionnement est essentiellement grand public, récupère du trafic supplémentaire sur son réseau.
Des économies d’échelle pour l’opérateur virtuel
Avec l’introduction prochaine du GPRS, dont la cible initiale sera très clairement le marché professionnel, Energis devrait ainsi permettre à Orange de se faire la main avant de lancer ultérieurement ses propres services GPRS.Autre type de profil : Intercall. Sans être à proprement parler un MVNO, ce spécialiste des cartes prépayées dispose d’un accord de vente déléguée avec Bouygues Telecom, accord qui en fait plus qu’un distributeur et pourrait presque l’assimiler à un ” MVNO light “, s’il avait la propriété des cartes SIM. Bien qu’il ait la maîtrise de ses tarifs, qu’il facture lui-même ses abonnés et que son logo s’inscrive sur le terminal de ses clients, les cartes SIM commercialisées par Intercall restent la propriété de Bouygues Telecom. Côté infrastructures, Intercall est interconnecté au réseau de Bouygues Telecom afin de récupérer les appels internationaux qu’il achemine lui-même sur son propre réseau. Bref, un vrai faux MVNO où l’opérateur ne contrôle pas la carte SIM de ses clients mais dispose de sa propre base d’abonnés (30 800 clients cellulaires, en octobre 2000, à la veille de sa mise en redressement judiciaire).À l’heure où l’on parle de plus en plus de mutualiser les investissements dans les futurs réseaux UMTS afin de diminuer le coût de déploiement, la location de bande passante à des tiers pourrait également contribuer à réduire les dépenses, sur le papier au moins. Avec à la clé deux questions majeures : quelle est l’économie d’échelle pour un MVNO et quel est le risque commercial pour l’opérateur d’infrastructure ?À la première question on est tenté de répondre que les économies d’échelle sont, a priori, très importantes même si elles dépendent, pour beaucoup, du degré d’intégration du MVNO au réseau de son partenaire. Mais la réalité est plus complexe. À titre d’exemple, l’investissement initial d’un opérateur comme Virgin Mobile est de l’ordre de 3 milliards de francs pour une intégration minimale et des ambitions somme toute modestes (2 millions d’abonnés prévus début 2002, soit quelque 5 % du marché britannique). “Dans le cas d’un véritable MVNO, le retour sur investissement est à peu près comparable à celui d’un opérateur d’infrastructure, de l’ordre de cinq à six ans”, estime Yves Goblet, directeur de la stratégie de Bouygues Telecom. “Le coût d’exploitation d’un MVNO est supérieur à celui d’un réseau cellulaire traditionnel”, renchérit Brigitte Bourgoin, vice-présidente d’Orange.
Éviter les ardoises !
Fervent partisan des MVNO, Jean-Louis Constanza, directeur général de Tele2 France, penche en faveur d’une intégration assez poussée : “Un véritable MVNO possède ses propres commutateurs. Si on vise plus de 15 % de parts de marché, mieux vaut contrôler le plus possible son infrastructure.” Pragmatique, il reconnaît toutefois que l’architecture d’un MVNO “peut être un peu ce que l’on veut “. L’objectif de Tele2 étant – ce qui ne surprendra personne – de ” faire simple et pas cher “. Inversement, la complexité des relations à établir dans un contexte où les intérêts des uns et des autres ne sont pas toujours convergents comporte un risque non négligeable de conflits ultérieurs. Autre question majeure : le spectre de la cannibalisation des opérateurs d’infrastructure par leurs partenaires MVNO. Inutile de préciser que l’on pénètre ici dans l’intimité même des relations entre les deux parties.La position des opérateurs ayant pignon sur rue – farouchement hostiles aux MVNO – semble avoir évolué au cours de ces derniers mois. Une évolution à rapprocher du prix des licences UMTS – que les opérateurs ont intérêt à amortir dans les meilleurs délais -, et de l’absence, dans certains pays, d’opérateurs (France Télécom, en Espagne ; et Deutsche Telekom, en France) ayant des ambitions paneuropéennes. “Nous n’avons aucun intérêt à héberger des MVNO dans les grands pays où nous sommes leaders, sauf s’il y a réciprocité “, estime Didier Quillot, patron d’Itinéris. Parler de réciprocité, n’est-ce pas déjà une manière d’entrouvrir la porte à d’éventuels opérateurs virtuels ? Initialement taboue, la question fait également son chemin au sein du pôle Cegetel-SFR. Bien qu’officiellement hostile, Pierre Bardon, directeur général de SFR, ne dit pas non “en fonction du contexte”, même si “c’est prématuré”. Avec, au c?”ur de toutes ces réticences, le risque d’héberger un concurrent qui, par des pratiques prédatrices, menacerait le fond de commerce de l’opérateur hôte. Le loup dans la bergerie en quelque sorte…“Nous ne sommes pas favorables au fait d ‘accueillir des MVNO prédateurs sur notre réseau “, dit-on chez Bouygues Telecom sans exclure des accords répondant à des ” besoins ciblés “.Conséquence : les opérateurs d’infrastructures sont à l’unisson pour expliquer que d’éventuels accords de MVNO devraient être particulièrement bien ” bordés “. “Le risque, c’est que votre partenaire, en cassant le marché, sème la pagaille. Sans compter que s’il prend un bouillon, vous risquez fort de vous retrouver avec une ardoise conséquente “, avertit un opérateur de premier plan.Inversement, un MVNO peut également permettre à un opérateur traditionnel d’arrondir ses fins de mois en augmentant sa charge de trafic, donc ses recettes. Et le sempiternel risque de cannibalisation ? “Mieux vaut voir un client quitter un opérateur au profit de son partenaire qu’à celui de ses concurrents”, répond Richard Branson, pour qui “la multiplication des stratégies commerciales sur un même réseau augmente nécessairement les chances de réussite de l’opérateur hôte.” Un discours que les opérateurs traditionnels ont encore du mal à entendre mais qui les fait néanmoins réfléchir. “À condition que le projet soit bien identifié”, reconnaît l’un d’entre eux.En stimulant son trafic et ses capacités d’investissement, l’opérateur hôte, à l’instar de One-2-One, le moins dynamique des quatre opérateurs britanniques, peut avoir une belle carte à jouer. “Le point clé, insiste Jean-Louis Constanza, c’est que le MVNO garantisse au fournisseur d’infrastructures une marge meilleure que celle qu’il réalise avec ses propres abonnés.”
Le syndrome de l’usine à gaz
Reste à identifier qui sont ces MVNO potentiels qui font trembler la plupart des opérateurs traditionnels. Au-delà des rares opérateurs ayant franchi le pas (One-2-One, Sonofon, Singapore Telecom et Optus), on pense surtout aux entreprises disposant d’une marque forte, aux enseignes dotées d’un puissant réseau de distribution, aux éditeurs possédant des contenus, aux spécialistes des services soucieux de valoriser leur base d’abonnés, etc. Dans cette dernière catégorie, on recense notamment les ISP (AOL, Club-Internet et LibertySurf) et les opérateurs de téléphonie fixe absents des mobiles (Tele2 et One.Tel).Reste la grande distribution (Carrefour, Auchan et Pinault-Printemps-La Redoute) à laquelle on prête – à tort semble- t-il – un important pouvoir de prescription : “Quand on regarde leur parcours dans la téléphonie fixe, on leur souhaite bien du plaisir dans le cellulaire”, ironise un titulaire de préfixe. D’autres, enfin, évoquent de possibles MVNO ciblés autour de communautés professionnelles (tels les médecins et les équipes sportives), voire des réseaux de type carrier’s carrier où chacun pourrait louer de la capacité radio à sa guise. Même si l’imagination n’a pas encore pris le pouvoir, il faut s’attendre à tout, y compris – compte tenu de la complexité du dispositif -, au risque de voir également émerger des… usines à gaz.
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