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Que dit la loi ?

Démêler les fils de la légalité dans le domaine du numérique demande une connaissance pointue du domaine. D’autant que celui-ci évolue en permanence. Nous avons demandé son avis à un juriste spécialiste des nouvelles technologies.

MH : Quels sont les jalons majeurs de la loi concernant le numérique ?

Maître Prud’homme : Pour les délits numériques, les jalons sont déjà anciens : c’est la loi Godfrain du 5 janvier 1988 qui définit et réprime les atteintes aux systèmes automatisés de traitement de données, etc. Comme cette loi n’était pas technocaptive, elle est restée efficace pour les nouvelles formes de piratage et de hacking. C’est par exemple sur la base de ce texte que le jeune Français qui agissait sous le pseudonyme Hacker Croll a été condamné dans l’affaire du piratage de comptes Twitter.

Le législateur français fait-il globalement preuve de réalisme en matière de technologie ?

Le réalisme technologique, c’est avant tout de définir dans la loi des principes et des règles qui resteront valables et efficaces malgré les évolutions technologiques. Les lois doivent éviter d’être technocaptives, faute de quoi elles seront rapidement dépassées du point de vue technologique. C’est le rôle du juge que d’assurer l’efficacité des principes aux nouvelles situations qui lui sont soumises et d’intégrer dans sa mission la dimension technique.

Comment être sûr qu’un fichier que l’on télécharge, un logiciel que l’on achète, un service que l’on utilise est bien légal ?

Le fait que vous ayez payé pour un produit ou un service ne suffit pas à vous protéger du délit. Par exemple, la reproduction d’un film sur votre ordinateur sans l’autorisation du titulaire des droits reste une violation de la loi, même si vous payez un abonnement au site qui met ce film à votre disposition. Comme il est en pratique impossible pour le consommateur de vérifier lui-même toute la chaîne de transmission des droits d’auteur, le meilleur moyen d’être certain de profiter du service en toute légalité est de privilégier le recours à des services labellisés par une autorité compétente, comme le label PUR créé par l’Hadopi.

Si une interdiction découle d’une clause d’un contrat unilatéral, comme des conditions d’utilisation, est-elle forcément contraignante ?

Non ! Le code de la Consommation protège les consommateurs contre les clauses abusives : celles qui créent un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au détriment du consommateur sont réputées non écrites. Sur cette base, de nombreuses clauses des contrats des FAI avaient été jugées abusives. Depuis 2009, le code de la Consommation détermine une liste non seulement des clauses qui sont dans tous les cas interdites, mais également des clauses qui sont présumées abusives, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire. Enfin, il faut souligner que le consommateur français peut bénéficier, dans une certaine mesure, de la protection accordée par la loi française y compris pour des services souscrits auprès d’une entreprise située à l’étranger.

Donc on peut jailbreaker son iPhone sans finir en prison ?

Si la manœuvre est désormais légale aux Etats-Unis, il n’est pas possible de transposer la solution à l’identique en France. Pour autant, a priori, l’opération ne constitue pas un délit de contournement d’une mesure de protection, puisque l’infraction ne s’applique pas aux logiciels. Quoi qu’il en soit, jailbreaker votre iPhone vous privera de la garantie contractuelle de votre matériel et vous exposera aux sanctions prévues par votre contrat.

La loi française s’applique-t-elle à des sites étrangers ?

Le consommateur français pourra toujours bénéficier des lois dites “ impératives ”, de même qu’il n’est pas possible de déroger aux lois de police. Au niveau de l’Union européenne, le sujet est directement traité. Au-delà de cette zone géographique, les choses peuvent se compliquer. Néanmoins, les décisions de justice faisant application de la loi française à des sites étrangers tels que Google, YouTube, Wikipédia, etc. sont légion. Dans ce contexte international, la difficulté n’est pas forcément d’obtenir une décision de justice mais plutôt de faire exécuter à l’étranger la décision rendue en France.

Logiciels de peer to peer, anonymiseurs, avertisseurs de radars… Comment savoir ce qui est légal ?

Il est impossible de placer tous ces produits et services dans un fourre-tout technologique et d’apporter une unique réponse : chaque produit, chaque service, chaque situation doit faire l’objet d’une analyse juridique détaillée. Comment s’y retrouver ? En faisant appel à un spécialiste qui vous conseillera sur la légalité des différents usages de la technologie, comme un avocat par exemple. D’autant que la jurisprudence dans ce domaine évolue en permanence.

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Benjamin Gourdet, Jean-Marie Portal, Cyril Valent et Stéphane Viossat