Ponctuellement, l’histoire du jeu vidéo est marquée par la convergence entre jeux de société classiques et nouvelles technologies. De la vogue des jeux d’échecs électroniques dans les années 1980 au succès populaire de 42 jeux indémodables sur Nintendo DS en 2006, en passant par l’influence de Donjons & Dragons sur les séries Final Fantasy, Zelda et Ultima, du carton à la manette, il n’y a parfois qu’un pas. Et si une plate-forme est en train de donner une deuxième jeunesse aux jeux de société et de plateau, c’est bien l’iPad.
Dans l’ombre de l’iPhone
Officiellement, la tablette est un produit Apple comme les autres. Quand il annonce qu’« un milliard de jeux ont été téléchargés sur l’App Store », Greg Joswiak, le vice-président marketing iPhone et iPod, ne fait pas la différence. « Nous préférons parler d’iOS en général », précise-t-il. C’est dans ces termes que la compagnie a, pour l’instant, l’habitude de clore le débat. Au reste, l’iOS n’a pas attendu l’iPad pour proposer des jeux de plateau, puisque l’excellent Carcassonne est disponible depuis juin et sur iPhone uniquement.
Mike Pagano, producteur au sein de l’éditeur EA Mobile, préfère lui aussi retenir l’interface tactile, propice aux jeux de société mais commune à plusieurs supports. « Pour l’iPhone, l’iPad et les autres machines tactiles, Scrabble, Yahtzee et Boggle ont été des choix naturels, justifie-t-il, puisque les joueurs étaient déjà habitués à agir dans ces jeux avec leurs doigts. » A ses yeux, il n’y a pas de raison de distinguer iPhone et iPad. « Je ne peux pas donner de chiffres de vente, mais Scrabble a toujours été très populaire aussi bien sur iPad que sur iPhone, montrant qu’un bon jeu peut être conçu pour bien marcher, quelle que soit la taille de l’écran. »
La tablette de la firme de Cupertino tient pourtant une place particulière dans l’écosystème iOS, avec sa compatibilité à sens unique. Un jeu dédié à l’iPhone ou à l’iPod touch tournera sur iPad, mais l’inverse n’est pas vrai. Sauf en ce qui concerne l’iPhone 4. Pire : pour bénéficier des deux résolutions, il vous faudra, pour la plupart des titres – comme Angry Birds et Angry Birds HD –, acheter deux applications différentes (et la seconde à prix fort) souvent pour un jeu identique. Face à cette dérive, Apple a été la première à rechercher des éditeurs capable de promouvoir l’originalité de l’iPad, et les jeux de société sont vite apparus comme la voie à suivre.
Une demande d’Apple
« Apple était demandeur de jeux différents, de titres montrant la singularité de l’iPad », confirme Yann Corno, cofondateur de Days of Wonder, une société spécialisée dans les jeux de plateau. Celle-ci édite depuis plusieurs mois l’excellent Small World sur iPad, un jeu de guerre sur plateau qui se rapproche d’un Civilization simplifié. Il s’est vendu à plus de 20 000 copies physiques et en est à sa troisième édition, un chiffre considérable. Sur l’iPad, les ventes se comptent par « milliers », même si le porte-parole de Days of Wonder n’en dit pas plus.
Originalité de cette société française constituée d’anciens de la Silicon Valley : ses salariés n’avaient jamais fait de jeux vidéo avant et ce malgré leur fort background technologique. Leur catalogue de jeux de plateau ne se prêtait ni à une console de salon, ni à un téléphone portable, mais la tablette d’Apple offrait une troisième voie, plus adaptée. « Lorsqu’Apple a annoncé l’iPad, on a tremblé d’excitation, sourit Yann Corno. On attendait ce genre de périphérique depuis longtemps. L’iPhone était trop petit. »
L’iPad, si semblable aux autres produits de la marque à la pomme pour la plupart des jeux, se montre soudain sous un jour nouveau. Les avantages pratiques de son écran sont nombreux et dépassent la simple question du confort visuel. « Par exemple, pour le Scrabble, rebondit Yann Corno, il faudrait un iPhone par personne, c’est trop cher. »
Plus possible de tricher
L’adaptation est fidèle, très maniable, avec une plus-value simple : « Nous sommes au plus proche du jeu de société, mais l’iPad compte les points et vous empêche de tricher. » Imparable, même s’il n’est pas possible de jouer à plus de deux.
Au sein d’EA Mobile aussi, on reconnaît un avantage évident au numérique : cela enrichit les jeux de société classiques. « Prenez Yahtzee, les joueurs s’attendent à avoir cinq dés et un tableau de score. S’il faut d’abord remettre cette simplicité dans le jeu vidéo, nous pouvons élargir l’expérience, par exemple en ajoutant différents modes de comptage du score qu’il n’y a pas dans l’original. Ils reprennent les mécaniques de base et ajoutent de la valeur. »
Lors du Festival du jeu vidéo 2010 qui se tenait en septembre dernier, les frontières semblaient même tomber entre les jeux vidéo classiques et l’habituelle partie jeu de plateau du salon. Dans les allées du show, les joueurs ne cachaient pas leur intérêt pour cette rencontre entre numérique et plateau. « C’est beaucoup plus rapide à jouer. C’est une autre manière de voir le jeu, le genre de chose qui me ferait acheter l’iPad », nous expliquait ainsi Alex, pur rôliste, et ce malgré son attachement au « plaisir de toucher les pièces ».
Même son de cloche pour Nicolas, plutôt adepte de jeu vidéo avant tout. « Je ne suis pas jeu de plateau, mais l’interface de Small World est sympa, cela donne envie de découvrir le titre ». Pour lui, le raisonnement est simple : « Ce sont les jeux de société qui vendent l’iPad, non le contraire. L’iPad, sans ses applis, il ne sert à rien. » Et ça, Apple l’a bien compris.
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