La rémunération des managers est-elle proportionnelle au nombre de licenciements qu’ils décident ? En France, peu de patrons ont intégré le critère social dans la détermination de leur revenu. Exception notable, celle de Marc Lassus, président du conseil d’administration et fondateur de Gemplus. En juin, en réponse aux difficultés de l’entreprise, il a renoncé à l’ensemble des stock-options promises lors de l’introduction en Bourse de sa société, ainsi qu’à un doublement de salaire.En Grande-Bretagne, la bronca a gagné les petits actionnaires, qui dénoncent le montant des rémunérations des dirigeants des entreprises qui licencient massivement, diminuent leurs bénéfices et le montant des dividendes distribués. “Les clients et les salariés sont tout aussi importants [que les actionnaires]” s’est exclamé Pierre Bellon, PDG de So- dexho, lors de la dernière université du Medef, où l’on débattait de“la création de valeurs [et du] respect des valeurs”. Aux États-Unis, une étude explosive que Le Nouvel Hebdo s’est procurée met en parallèle l’évolution de la rémunération des top managers et le nombre de licenciement.
Écrémer et être récompensé
Le rapport Executive Excess 2001, publié ces jours-ci par l’Institute for Policy Studies (IPS), un centre de recherche indépendant militant pour la revalorisation des salaires de la classe moyenne, indique que les entreprises qui ont le plus licencié au premier semestre 2001 sont aussi celles qui ont le plus généreusement rémunéré leurs top managers en 2000. L’étude a sondé 52 firmes américaines ayant remercié au moins 1 000 salariés du 1er janvier au 1er août 2001. Au total, leurs CEO gagnent en moyenne 80 % de plus (salaires, bonus et stock-options) que ceux des 365 firmes que Business Week prend traditionnellement comme ” références ” pour réaliser ses panels. Leur seul salaire a progressé de 20 % en 2000 contre 3 % seulement pour les ouvriers et 4 % pour les employés américains. Les entreprises technologiques sont celles qui récompensent le plus grassement les dirigeants qui n’ont pas peur d’écrémer. Michael Dell a empoché 201 millions de dollars (plus de 221 millions d’euros) en 2000… et délesté l’entreprise éponyme de 5 700 personnes au début de cette année. Dans le même temps, John Chambers, CEO de Cisco, a empoché quelque 157 millions de dollars en 2000 (son seul salaire progressant de 40 %)… avant de licen- cier 8 500 personnes en avril. Le groupe de communication AOL-Time Warner a quant à lui augmenté de 42 % le salaire de son CEO, Steve Case, en 2000, lui versant un total de 73 millions de dollars, bonus et stock-options compris. De quoi faire passer l’éventuelle crise de conscience qu’aurait pu provoquer chez lui le remerciement de 2 400 personnes en janvier, comme la charrette de 1 200 personnes annoncée ces jours-ci. Autre exemple, le salaire et les bonus de J. Weitzen, CEO de Gateway, qui ont progressé de 25 % quand la firme va supprimer 25 % de ses effectifs.“Wall Street sait gré aux entreprises de prendre les décisions qu’il faut pour assainir leur situation, commente Sarah Anderson, auteur de l’étude, puisque de tels plans de licenciement font à court terme monter l’action. De la même manière, l’entreprise sait gré à ses dirigeants d’accepter de faire le sale boulot.” Rien de plus logique ? Pas si sûr : IPS rapporte les résultats d’une étude de l’Université de Wisconsin-Eau claire, menée en 1989 sur 100 entreprises : celles qui avaient licencié massivement avaient, un an plus tard, notablement augmenté leurs performances financières par rapport à celles qui avaient conservé leurs salariés, mais elles marquaient nettement le pas au bout de deux ans. En France, Colette Neuville, qui préside l’Association de défense des actionnaires minoritaires (Adam), réfute le procès d’intention que l’on serait tenté de faire aux patrons. Cependant, elle affirme que “lorsque l’on demande des sacrifices aux salariés, il faut que la règle s’applique à tout le monde pour plus de cohésion sociale et d’efficacité de l’entreprise”. En filigrane, le porte-voix des actionnaires minoritaire pose la question de la notion de la création de valeur : “Je ne sais pas comment la définir. Ce n’est pas en tout cas l’évolution du cours en Bourse qui doit entrer en ligne de compte. Il ne repose sur aucune réalité économique et est instantané.”
Les licenciements continuent
Voilà un thème de débat qui animera les prochaines réunions de conseil d’administration, où l’on fixera la rémunération des principaux dirigeants. En attendant, l’activité, dans le secteur des nouvelles technologies, ne montre pas de signe de reprise et la liste des plans sociaux s’allonge. Corning (fibre optique) va encore supprimer 1 000 emplois et Hitachi 14 700, suivant les 20 000 suppressions confirmées par Toshiba (lire ci-contre). Les chiffres américains sont eux aussi éloquents. Jamais depuis le début des années 1990, les États-Unis n’avaient connu autant de charrettes : selon le cabinet de reclassement Challenger, Gray & Christmas, 777 362 salariés ont été licenciés au pays de l’Oncle Sam au cours du premier semestre. C’est trois fois plus qu’à la même époque l’année dernière, et le plus mauvais chiffre de la décennie.
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