Jouer pour apprendre. Le principe n’est pas nouveau, mais il revient sur le devant de la scène avec le succès du serious gaming (ou “ jeu sérieux ”). C’est sous cette appellation que se développent de nouvelles applications informatiques issues du jeu vidéo. Élaboré selon les mêmes scénarios interactifs que ceux du jeu vidéo traditionnel, le serious game combine l’aspect ludique et la narration pédagogique. Il ouvre ainsi de nouveaux circuits de communication et de formation aux entreprises (remises à niveau, formation continue), aux administrations et aux associations (sensibilisation, demande d’assistance). Les technologies et le design du jeu vidéo (3D en temps réel, simulation d’objets, d’individus, d’environnements…) sont adaptés à ces développements plus “ sérieux ”, pour viser, au-delà du divertissement, l’apprentissage, l’entraînement ou l’information. Diffusé sur Internet pour le grand public ou en interne pour les salariés des entreprises, le serious gaming s’applique en général à la prévention en matière de santé publique, de sécurité routière, d’alimentation, d’environnement ? mais il intéresse également les secteurs de la finance, du tourisme, de la culture, de la défense, etc. À l’instar de l’adepte du jeu vidéo, le joueur de serious game évolue dans un scénario de jeu (game design) avec des règles précises (gameplay), différents niveaux d’approche et des balises de progression.
L’apprentissage par le jeu
Le scénario est conçu pour délivrer un message pédagogique, les niveaux de jeu pour améliorer ses connaissances étape par étape, à son rythme, le but étant d’acquérir le maximum de savoir pour terminer la partie. L’immersion dans un environnement à la fois ludique et instructif renouvelle la façon d’appréhender la formation professionnelle. “ L’approche virtuelle par le jeu permet de reconstituer une réalité professionnelle, résume Valérie Belhassen, RHG formation chez BNP Paribas. Jouer donne l’opportunité de s’immerger dans l’environnement bancaire et d’agir comme dans une situation concrète. Quand on a gagné, on a compris. ” Avec Starbank the Game, développé par KTM Advance, le groupe propose ainsi à ses nouveaux collaborateurs un outil simple pour mieux comprendre sa logique bancaire. La mission du joueur est de construire une banque fictive dans une cité orbitale du futur. De cette manière, il découvre tous les métiers de la banque et met en pratique ses connaissances en multipliant les expériences. Le groupe L’Oréal a été l’un des précurseurs de cette nouvelle approche de la formation avec son serious game créé par Netdivision à destination de ses coiffeurs et de ses commerciaux. D’autres grands comptes ont suivi, tels Total et Axa, qui utilisent cette méthode pour la préparation aux entretiens individuels ou aux techniques de vente. “ Le serious gaming s’adresse en premier lieu aux grandes entreprises qui ont des effectifs et des budgets suffisamment importants pour investir dans ce type de formation, commente Stéphane de Buttet, fondateur et associé de Simlinx, société de conseil spécialisée dans la gestion de projets serious games. Mais l’évolution des outils va permettre aux PME d’accéder très rapidement à ce marché. Les administrations sont susceptibles de s’y intéresser pour faire passer des messages de sensibilisation, de prévention, de citoyenneté… ”Développé par Succubus Interactive pour la ville de Nantes et accessible en ligne, le serious game en 3D Happy Night a, par exemple, pour objectif de sensibiliser les jeunes Nantais aux dangers de la consommation d’alcool.
Une approche pédagogique
Si l’on veut remonter à la genèse du phénomène, il apparaît que le jeu vidéo Sim City aurait été le premier inspirateur des serious games, ainsi que, dans une autre mesure, les simulateurs de vol en 3D conçus pour l’aviation. L’attractivité et le plaisir de jouer sont les atouts de ce nouvel outil qui transmet un message pédagogique plus efficacement, en impliquant l’utilisateur sans le lasser. “ Cela permet de mieux analyser les réactions du joueur en temps réel, d’avoir un suivi plus précis et plus fiable de son parcours de formation, et de séduire les jeunes, très immergés dans ce type de média ”, observe Stéphane de Buttet. La conjonction des technologies de l’image associées à celles d’Internet, du haut débit, des réseaux sociaux favorise son développement. Cet intérêt correspond également à l’arrivée sur le marché du travail d’une nouvelle génération de salariés connue sous l’appellation “ génération Y ”, très branchée nouveaux médias et Web 2.0. La performance du serious game Moonshield développé pour le groupe Thales est à ce titre significative. Via un scénario qui met en scène une base lunaire dans laquelle le joueur est chargé de protéger la Terre d’une collision avec des astéroïdes, la société présente les métiers, l’expertise et les technologies du groupe. Diffusé sur Internet le jeu vise à capter l’intérêt des étudiants et des jeunes ingénieurs diplômés tout en leur faisant connaître l’entreprise. Et avec près de 200 000 connexions au site et 120 000 joueurs uniques depuis sa mise en ligne il y a un an, le principe a déjà séduit près de 80 000 personnes qui se sont rendues sur le site de recrutement.
Coup de pouce de l’état
La production française est encore balbutiante au regard de celle des États-Unis, de l’Australie ou du Japon. Outre-Atlantique, le serious gaming est devenu en quelques années un support de communication à part entière. Soutenu principalement par le ministère de la Défense qui l’utilise avec succès pour ses embauches, il est à l’œuvre également dans le domaine médical et s’est adapté aux grandes entreprises.En France, les prémices de ce marché ont affleuré en 2005, avec le premier salon professionnel qui lui est consacré. Peu connue et mal comprise jusqu’à il n’y a pas si longtemps, l’appellation “ serious gaming ” a été officialisée en mai dernier avec l’appel à projets lancé par la secrétaire d’État à la Prospective et au Développement de l’économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet. Pour encourager les PME françaises à faire évoluer ce marché, elle vient de leur accorder une subvention de 20 millions d’euros dans le cadre du plan de relance numérique. Quarante-huit projets ont été retenus sur les 166 déposés. Une preuve de vitalité et de savoir-faire qui place la France dans le trio de tête des pays européens sur ce secteur. Les effets de la crise nécessitant une modernisation de la formation conjugués à l’engouement du grand public pour les jeux vidéo démultiplient les axes de développement. Les acteurs du marché prévoient que celui-ci pourrait quintupler dans les dix prochaines années. Parmi les thématiques plébiscitées arrivent en premier lieu l’enseignement et la formation (19 %), les secteurs de la santé (14 %) puis celui des entreprises (11 %). “ Trois facteurs entrent en compte dans le succès du serious gaming : la logique des coûts de production ? des moteurs génériques développés pour des serious games à un prix raisonnable ?, la maturité du marché et la nouveauté technologique ”, analyse Yves Dambach, directeur de KTM Advance, créateur de serious games.Selon l’Idate, l’Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe, le serious gaming va connaître un véritable raz-de-marée dans les années à venir. Son potentiel de croissance devrait même dépasser celui des jeux vidéo de loisir. Ses perspectives de développement semblent donc s’annoncer sous les meilleurs auspices, fortes des 48 projets qui verront le jour dans les deux prochaines années. Et elles devraient encore se renforcer avec les évolutions vers la téléphonie mobile.
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