Cet édito est tiré du numéro 902 de 01Net Magazine, en kiosque le 6 février 2019. Retrouvez aussi 01Net Magazine sur votre smartphone ou votre tablette en téléchargeant l’application sur l’AppStore (iPhone, iPad) ou le Play Store (Android). Découvrez toutes nos formules d’abonnement sur le Kiosque 01.
Le sculpteur Piotr Kowalski tirait sa révérence en 2004, nous laissant seuls face à son œuvre. Outre ses travaux architecturaux connus, comme la Place des Degrés à La Défense, l’Axe de la Terre à Champs-sur-Marne ou sa Tour lumineuse à Vitry-sur-Seine, l’artiste ukrainien, naturalisé français en 1971, se passionnait pour les projets mêlant science et art. En cela, l’ex-étudiant du MIT marchait dans les pas de Léonard de Vinci, tant par l’expérimentation de techniques étonnantes, en maniant l’explosif, le gaz et les champs magnétiques, que par la conception de machines extraordinaires. Avec les installations vidéo Time Machine, il invitait le spectateur à mesurer le temps(1). Dans une de ses dernières créations, il représentait le son en 3D, avec un relief de 99 lames de verre, traduisant le mot « passionnément ». Par ces expérimentations, il ouvrait la voie à une génération d’artistes explorant le potentiel des nouvelles technologies, pour donner à voir ce qui ne s’offre pas au regard. Autrement dit par le peintre Paul Klee : « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. »
Et « l’art des nouveaux médias » n’échappe pas à cette règle. Selon la définition qu’en donne l’écrivain Lev Manovich(2), il recouvre l’ensemble des activités créatives réalisées avec ou par ordinateur. Dans les années 60, on parlait déjà d’art cybernétique, pour préférer ensuite l’art informatique (computer art), ou encore l’art électronique ou technologique. Peu importe le vocable, pourvu qu’on ait la hardiesse. Or, en 2018, de Paris à Verdun, on n’en a pas manqué, en multipliant les expositions aux titres aussi énigmatiques que poétiques : Coder le monde, Capitaine futur et la supernature… Avec toujours comme objectif, de révéler au plus grand nombre des créateurs geeks et parfois critiques de ce monde électronique prenant de vitesse nos capacités biologiques. Ryoji Ikeda met ainsi en musique l’immensité de l’information numérique(3) circulant tout autour de nous. Avec datamatics(4), le Japonais matérialise, au travers d’infographies projetées sur un mur, la complexité des structures moléculaires de l’ADN, comme l’étendue des données scientifiques en circulation sur la Toile. Une plongée étourdissante dans un océan de datas. Au Grand Palais, l’été dernier, le public a pu découvrir Miguel Chevalier. Cet artiste français, grand amateur de micro-informatique, convie à contempler des végétaux numériques(5). Des plantes chatoyantes, aux couleurs littéralement extra-naturelles, s’agitent et se plient au gré du vent provoqué par le va-et-vient des spectateurs devant un écran.
Ailleurs, Matteo Nasini dévoile physiquement l’activité cérébrale de gens endormis. Le mouvement des ondes électriques perçues par des capteurs ordonne la forme des objets à imprimer en 3D(6) : régulière pour les plus sereins, accidentée pour les plus agités du sommeil. Cette technique d’impression est plus largement utilisée dans la conception d’œuvres gigantesques telles que Digital Grotesque II. Cette grotte de trois mètres de haut, faite de sables de silice (en couverture de 01net Magazine), semble sculptée dans la roche(7). Comme celles de Yungang, en Chine, vieilles de 1 500 ans, dont l’une d’elles a été reproduite à l’identique, toujours par impression 3D. L’ouvrage, d’une longueur de 17,9 mètres et d’une largeur de 12,6 mètres, abrite un bouddha de dix mètres de haut. En élargissant son champ d’action, de l’industrie aux arts appliqués, l’impression 3D nous éblouit autant qu’elle nous laisse perplexe. Surtout si l’on se remémore ces quelques lignes d’un de nos plus grands écrivains, féru de sciences et de technologie. Victor Hugo, dans Notre-Dame de Paris, prophétisait : « L’architecture ne sera plus l’art social, l’art collectif, l’art dominant. Le grand poème, le grand édifice, la grande œuvre de l’humanité ne se bâtira plus, elle s’imprimera. » Sur du papier ? Rien n’est moins sûr…
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(1) Le site officiel de l’artiste revient avec didactisme sur cette œuvre interactive de 1981.
(2) Retrouvez ses réflexions sur l’art et l’informatique (en anglais) sur le site
(3) Avec ce disque Dataplex, réalisé en 2005, l’artiste transforme la transmission informatique d’information en matière musicale et rythmique.
(4) Un court extrait de son installation est à consulter sur ce site
(5) L’œuvre Extra-Natural 2018 était présentée à Paris, dans le cadre de l’exposition Artistes & Robots.
(6) Explications en vidéo (en anglais) de son projet Sparkling Matter.
(7) L’œuvre Digital Grotesque II, réalisée par Michael Hansmeyer et Benjamin Dillenburger, a été exposée en 2017 au Centre Pompidou. Une vidéo du travail de conception est disponible à cette adresse.
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