Les smartphones vont bientôt parler directement aux satellites ! Entre les annonces d’Apple et des iPhone 14 en fin d’année dernière et celles de Qualcomm au CES de janvier, le monde de terminaux mobiles se tourne de plus en plus vers l’espace. Avec, en bénéfice principal, les messages d’urgence quand on est loin de tout réseau. S’il reste bien des questions sur les modèles économiques, une surprise nous attend au coin d’une conversation avec le « Monsieur Satellite » de Qualcomm, Francesco Grilli. « La prochaine étape sera celle des communications audio et vidéo », s’enthousiasme le sympathique ingénieur italien. Une prédiction de futuriste pour le siècle prochain ? Même pas : « Si tout se passe au mieux, nous commencerons à pouvoir communiquer ainsi au mieux à partir de 2026 ».
Un appel vidéo passé au sommet du mont K2 sans aucune antenne à proximité ? « Tout à fait ! », répond tout de go le responsable des technologies de géolocalisation et de communications satellitaires chez Qualcomm. Une prédiction étonnante qui nous fait nous poser la question de comment on en est si vite arrivé là.
Une maturité matérielle à l’origine de la prouesse
Espacées de seulement quelques mois, les annonces « satellites » de Qualcomm et Apple nous enjoignent à poser une première question : quelles ont été les briques technologiques qui ont pu faire éclore si vite les technologies de communications satellitaires ? Pourquoi maintenant et pas avant ou après ? « Il n’y a pas une raison unique », nous explique M. Grilli. « Tout d’abord, il faut savoir que cela fait un peu plus de deux ans que nous travaillons dessus. Ce sont les progrès matériels qui ont permis de communiquer avec les satellites. Et plus particulièrement les accéléromètres, gyroscopes et magnétomètres. Il fallait déjà attendre que ces composants soient intégrés de série dans les appareils », explique le pétillant ingénieur. « Et qu’ils soient suffisamment précis. Avec les dernières générations qui arrivent à se calibrer toutes seules, nous avons passé l’étape matérielle nécessaire », ajoute-t-il.
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Cette précision de ces petits composants, appelés MEMS, a permis l’éclosion d’applications géolocalisées comme Pokémon Go ou encore Google Sky Maps. Des applications qui ont ensuite engendré de nombreuses améliorations logicielles dans la précision de la position ou encore le pointage dans l’espace. « Désormais, même avec les mouvements de l’utilisateur, la marge d’erreur est inférieure à 20°. Tant qu’on a une ligne de vue dégagée, on peut donc pointer facilement la position des satellites ». Et communiquer avec eux.
Une histoire d’antennes, de fréquences, d’énergie et d’angle
Si vous êtes physicien ou spécialiste des ondes et des réseaux, rien ne vous surprend jusqu’ici. Néanmoins, pour le reste d’entre nous, se pose immédiatement la question : comment nos téléphones sont à même de « parler » avec des objets lancés à mach 22 à plusieurs centaines de kilomètres au-dessus de notre tête ? Et puis les téléphones satellitaires classiques ont pourtant des antennes énormes ? « La précision, qu’ont apporté les composants dont je vous parlais, permet dorénavant de pointer sur les portions du ciel où sont les satellites », explique M. Grilli. « Quand vous passez un coup de fil avec votre téléphone, vous ne pointez pas. Les modems et les antennes sont mobiles et doivent trouver les antennes tous seuls. Cela entraîne une grosse perte d’énergie et limite donc la portée des signaux. Mais si vous réduisez le faisceau d’émission/réception sur un point précis du ciel, alors la communication est concentrée sur un angle, certes plus réduit, mais avec une bien plus grande portée », continue l’ingénieur, avant de balayer le problème des nuages, comme le zéphyr repousserait un petit altocumulus.
« La L-Band utilisée par notre partenaire Iridium s’étend de 1616 à 1626,5 MHz et la pluie ou les nuages n’ont aucune incidence sur ces fréquences », assure Francesco Grilli. Quant aux tailles d’antennes, là encore le pointage est notre sauveur. « Les téléphone satellitaires classiques sont faits pour la voix et leur grosse antenne évite d’avoir à pointer. Si les antennes de votre téléphone sont plus petites, elles sont cependant perfectionnées et sont très efficaces lorsqu’elles sont utilisées de manière directionnelle ».
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S’ajoute à cela un autre élément technologique appelé 5G. La norme de télécommunication apporte avec elle une multitude d’usages… et des niveaux d’énergie bien supérieurs. « Les niveaux d’énergie de la 5G obligent à fonctionner sur des fréquences exprimées en gigahertz (millions de Hertz, NDLR). Prenez ces niveaux d’énergie et concentrez-les sur une bande réduite à 40 kHz (milliers de Hertz, NDLR), qui est inférieure au GSM. Bien dirigé, votre signal peut ainsi aller bien plus loin ! », ajoute l’ingénieur. Et l’apport de la 5G ne se limite pas à nos terminaux, mais aux antennes. Sur terre… ou dans l’espace !
Il ne manque plus que les constellations
Avec ses chipsets, ses antennes et ses modems, Qualcomm a fait une partie du travail. Mais d’autres partenaires sont aussi sur le coup, notamment en matière d’antennes. « Ericsson a développé des antennes NR NTN basées sur la norme 5G qui seront capitales pour le développement de cette technologie », confie M. Grilli. Issue de la 17e révision de la norme 5G (5G rev. 17 dans le jargon), la New Radio Non-Terrestrial Network (NR NTN) est un standard de communication qui permet de placer des antennes sur un ballon sonde, un avion ou, dans notre cas, un satellite. « Ce sont ce genre d’antennes que les spécialistes de l’espace (comme Iridium, SpaceX et les autres, NDLR) devront placer en orbite pour que les communications fonctionnent. La vitesse de déploiement dépendra des investissements et de levées de fonds. Il faudra attendre au mieux 2026 pour voir arriver les premiers usages », explique M. Grilli.
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Outre la maturité matérielle des smartphones, la solidité (et la complexité !) de la norme 5G, il est un autre facteur qui a accéléré le développement de ces technologies de communication satellitaires : la chute du prix de l’accès à l’espace. « Le coût des lancements LEO (orbite terrestre basse, NDLR) est en forte baisse, ce qui a permis la constitution de nouvelles constellations », explique M. Grilli, sans citer nommément Starlink, de SpaceX. Une constellation pourtant incontournable puisqu’elle représente déjà plus de la moitié des satellites actifs vrombissant autour de nos têtes (et ce n’est pas forcément une bonne nouvelle) ! Quant aux débits auxquels il faudra s’attendre, M. Grilli professe qu’ils seront « d’environ 1 Mbit en téléchargement et 200 kbit en envoi ». Pas suffisant pour la visioconférence de groupe en 4K. Mais largement de quoi échanger des informations critiques, de manière audio ou visuelle. Une révolution potentielle pour les aventuriers perdus en plein désert de l’Atacama… ou les malchanceux qui crèvent un pneu en plein milieu d’une zone blanche en Ariège !
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Complimenti, Francesco, Io ti seguo da Parigi. Robert Zerrad