Entre 1996 et 2000, PSA Peugeot Citroën a laissé proliférer les sites intranets, convaincu que c’était le meilleur moyen, pour l’entreprise, de s’approprier les nouvelles technologies. C’est l’ère préportail que décrit Yvon Louvain dans les première partie de l’interview. Puis, à partir de l’année 2000, le constructeur automobile s’est attaché à renforcer la cohérence de l’information publiée dans les différents sites en regroupant leurs accès depuis un portail. Ce projet, dont la mise en place est décrite dans la seconde partie de l’interview, a été jugé suffisamment stratégique pour éviter d’avoir à faire la preuve de sa rentabilité. Maintenant que le portail documentaire est en place, PSA s’attaque à de nouveaux chantiers : consolidation du contenu, signature unique et ouverture aux applications. Yvon Louvain en donne les principales orientations dans la troisième partie de l’entretien.Qu’est-ce qui a poussé le groupe PSA Peugeot Citroën à investir dans un portail d’entreprise ? Nous avons bâti un portail d’abord pour unifier les accès aux sites intranet du groupe. On corrigeait ainsi une double dérive. Les sites intranet qui se montaient jusqu’à la fin des années 1990 ?” le premier chez PSA date de 1996 ?” ne traduisaient pas l’appartenance à un même groupe industriel. De plus, leur prolifération posait de sérieux problèmes de validité de l’information. Les pratiques de copier/coller entre sites aboutissaient à des incohérences. Une information mise à jour n’était pas systématiquement actualisée sur les sites qui l’avaient reprise à leur compte. Résultat : on ne savait plus au final quelle était la bonne version de l’information, ni quel en était son propriétaire.A quand remonte cette prise de conscience ? Elle date de la fin 1999. On comptait déjà soixante-dix sites et on était sur un rythme de doublement tous les six mois. C’était l’époque des sites existentiels : il fallait avoir son site. Mais il faut bien comprendre que la situation de PSA n’avait rien d’exceptionnelle. Les grands groupes étaient tous confrontés au même phénomène. Nous avions d’ailleurs sciemment choisi de laisser faire dans un premier temps. C’était un bon moyen pour l’entreprise de s’approprier les nouvelles technologies internet. Puis, au début de l’année 2000, on s’est attaqué à éviter la divergence. Nous avons reproduit le cycle classique divergence ?” convergence.Comment avez-vous procédé du point de vue organisationnel ? Nous avons d’abord constitué un groupe de pilotage d’une quinzaine de personnes, issues des directions opérationnelles. Ce groupe, copiloté par la direction des systèmes d’information et la direction de la communication, était lui-même sponsorisé par un comité dans lequel est impliqué la direction générale. La première réunion du groupe de pilotage s’est tenue en juillet 2000. A cette occasion ont été abordées les questions essentielles : un site intranet pour quoi faire ? Pour qui ? Et comment on y va ? Quelles ont été les premières décisions de ce groupe ? Il était hors de question de remettre en cause notre patrimoine informationnel. Nous avons donc commencé par mettre en place un premier dispositif pour répertorier l’ensemble des sites. Nous avons également établi une procédure pour enregistrer tout nouveau site. Elle mentionne, par exemple, les noms du responsable du site, du chef de projet informatique, de l’administrateur du site et éventuellement du responsable éditorial pour les sites les plus importants. Il existait bien déjà un ” web book “, mais il s’apparentait davantage à un inventaire à la Prévert qu’à un véritable annuaire de sites. L’ensemble des sites intranets répertoriés, vous êtes vous lancés aussitôt dans la mise en place d’un portail ? Pas immédiatement. Le répertoire fournissait un premier outil d’orientation parmi les sites intranets que nous avons complété par un moteur de recherche transversal qui indexait l’ensemble des pages. Il a été opérationnel en novembre 2000. Ces deux modes de navigation, déconnectés l’un de l’autre, n’offraient cependant pas toute la souplesse nécessaire pour localiser l’information. Nous avons donc décidé de bâtir un vrai portail qui combine moteur de recherche et arborescence thématique. Le prototype était lancé en janvier 2001 et la version opérationnelle ouvrait en novembre.Pourquoi un délai d’un an et demi entre la prise de conscience d’une nécessité d’une cohésion des intranets et l’ouverture du portail ? L’approche ” bottom-up ” que nous avons adoptée est peut-être plus lente a priori, mais au final je ne suis pas sûr qu’elle allonge les délais. Elle a, de plus, le mérite d’éviter les conflits. Le prototype de portail que nous avons mis en ?”uvre a ainsi permis de régler les problèmes organisationnels, plus cruciaux que les points techniques.Les logiciels destinés à créer les portails sont accusés de manquer de maturité. Lequel avez-vous retenu ? Nous avons sélectionné la solution de Sun, iPlanet, parmi d’autres plates-formes d’infrastructure. Son approche Java était un gage de pérennité. Nous n’avons pas eu à regretter notre choix par la suite.A combien s’élève le coût informatique d’un tel projet ? Il revient à environ un million d’euros en incluant l’ensemble des coûts : maîtrise d’ouvrage, licences logicielles, etc. C’est raisonnable pour un portail qui fédère trois cent sites intranet et qui totalisent entre un et deux millions de pages tout en servant près de soixante mille personnes.Comment justifie-t-on un tel investissement auprès de sa direction générale ? A-t-il été nécessaire de présenter des mesures de retour sur investissement ? Nous n’avons pas eu à effectuer un quelconque calcul de retour sur investissement pour emporter la décision. Ce projet de portail a été perçu comme stratégique par la direction générale. Elle avait bien compris que cet outil faciliterait la circulation de l’information et augmenterait la productivité. Il est vrai que nous avions eu des réunions préparatoires destinées à mettre en évidence les enjeux. Ceci dit, la direction était bien consciente que nous aurions pu monter des calculs de retour sur investissement en se basant sur le temps gagné par chaque employé grâce au portail. On sait également que ce type d’évaluation est toujours sujette à caution.Pourquoi est-il si ardu de mesurer la rentabilité d’un portail ? Les gens de Sun avaient bien des modèles théoriques à nous proposer, mais il aurait fallu affecter dix personnes pendant un an à la collecte des données pour renseigner correctement leur modèle. Tout le bénéfice du portail serait alors parti dans la mesure de ce bénéfice. Entre nous, constructeurs automobiles et industriels d’autres secteurs ont fait du benchmarking autour du retour sur investissement. Dès que l’on commence à gratter, on remet assez vite en cause la pertinence des données. Il est aisé de mesurer la consommation processeur, la bande passante utilisée, mais quelle métrique faut-il mettre en place pour un portail ? Nous sommes en train de déployer, sur cinq sites pilotes, un système de mesure d’audience. Cet outil de médiamétrie nous permettra d’alimenter notre réflexion autour du retour sur investissement.Vous adoptez une démarche très progressive. Est-ce si compliqué de mesurer l’audience des sites ? Ce n’est pas si simple à mettre en ?”uvre. Il existe depuis longtemps des services de mesure d’audience sur internet, mais les logiciels pour les grandes entreprises n’arrivent que maintenant. Pour information, nous utilisons Weboscope de Weborama.Vous appuierez-vous sur la mesure d’audience pour optimiser la répartition des ressources entre les sites ? On se posera des questions sur l’urbanisme des sites. Depuis la création du groupe de pilotage, les mentalités ont évolué. On rentre dans une phase d’optimisation des ressources. Il faut de l’énergie pour maintenir des sites vivants. Certains sites disparaîtront, c’est darwinien. Il est vrai que l’on mène en parallèle une étude plus globale sur la consolidation des ressources dévolues au fonctionnement de l’intranet. Elle dépasse le cadre du site proprement dit pour intégrer toute la chaîne de publication. On cherche à optimiser mais on en est encore au stade artisanal sur la production et la publication de l’information. Le portail a permis une première consolidation au niveau des accès. Comptez-vous poursuivre dans cette voie et regrouper l’ensemble du contenu de l’entreprise dans un référentiel unique ? La logique pousse à la mise en place d’un référentiel central. Mais on constate aussi que la centralisation à outrance génère des déperditions d’énergie. De plus, se pose le problème de la complexité de l’information. Qui est à même de maintenir une cohérence de l’ensemble entre des données techniques, commerciales, etc. ? On manipule des données de types complètement différents, même s’il existe des interactions entre elles. Pour toutes ces raisons, je pense qu’on s’orientera plutôt vers une fédération à différents niveaux, par exemple, en fonction de grands pôles métier. On procédera selon notre méthode habituelle : les premiers utilisateurs concernés seront associés dans des opérations pilotes. On règlera ainsi, à la base, les conflits d’intérêts. De toute façon, le problème est avant tout organisationnel. On a trop souvent tendance à raisonner outil et pas assez processus. Les outils ne résolvent pas les luttes de pouvoir.La mise en place du portail va-t-elle fait évoluer votre politique de sécurité ? Aujourd’hui, l’accès à des données confidentielles nécessite une authentification de l’utilisateur via un annuaire. On réfléchit cependant à limiter ces opérations d’authentification par la mise en place d’un système de signature unique. Le concept est élémentaire, mais c’est un vrai casse-tête en pratique. On sait résoudre les problèmes qui se posent pour accéder à des sites de publication, mais la complexité devient élevée pour des sites pointant vers des applications. La solution est alors nécessairement intrusive. Nous restons néanmoins convaincus que certaines informations confidentielles ne doivent pas être publiées sur l’intranet.Ouvrirez-vous les intranets en permettant, par exemple, à des utilisateurs nomades de se connecter depuis internet ? C’est déjà le cas, mais cela a posé de nouveaux problèmes techniques. Le passage par des proxy et des reverse proxy nécessite, si le site n’a pas été bien conçu, une réécriture des adresses URL. Or on veut absolument éviter d’avoir à dupliquer les sites dans une zone démilitarisée, car c’est une architecture coûteuse tant en investissement qu’en gestion quotidienne. La charte de conception des sites que nous avons définie y veille. Elle régit non seulement le graphisme du site et les règles de navigation mais aussi l’écriture des pages. En pratique, nous avons banni certaines fantaisies dans la conception des pages Web.
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