Le procès en référé des treize fournisseurs d’accès Internet (FAI) et de l’Association des fournisseurs d’accès et de services Internet (AFA) a repris mardi matin devant le tribunal de grande instance de Paris. Celui-ci devra se prononcer sur l’opportunité de bloquer en France l’accès au portail néonazi Front14.org.L’association antiraciste J’accuse et les FAI avaient été conviés par le juge Jean-Jacques Gomez à “prolonger la réflexion engagée lors de l’audience du 29 juin dernier par l’audition de grands témoins cités à l’initiative des parties “.La qualité des intervenants (le philosophe Alain Finkielkraut, le journaliste Laurent Joffrin, le secrétaire général de la Cnil, Joël Boyer, ou encore le fonctionnaire européen Richard Swetenham) fait de ce procès un événement majeur pour déterminer les limites à imposer à la liberté d’expression sur Internet.
Filtrage : deux experts pour, un contre
Les associations antiracistes ont présenté huit témoins à l’appui de leur demande de filtrage, tandis que l’AFA en a appelé cinq pour tenter de convaincre le juge de renoncer à toute mesure contraignante.Ce sont toutefois les experts techniques, Patrick Gordon, Jean-Raymond Lemaire, François Wallon, qui étaient les plus attendus. Ceux-ci devaient en effet se prononcer sur les possibilités de filtrage du portail Front14.org.Tous ont confirmé l’existence de procédés permettant de bloquer l’accès au portail. In fine, deux d’entre eux se sont montrés plutôt favorables à la requête de l’association J’accuse, tandis que Jean-Raymond Lemaire a paru se ranger du côté des défenseurs, estimant que des logiques de contournement permettraient toujours aux internautes français d’accéder à des sites du type Front14.org.” La mécanique de décision de la Cour devra s’imposer très vite car il existe des logiques de contournement de plus en plus fortes sur Internet. On risque donc d’être en permanence en retard d’une bataille “, estime-t-il. L’expert vise notamment les systèmes d’échange d’informations peer-to-peer, les logiciels permettant de surfer anonymement, les procédés de cryptage, ou les changements de l’adresse URL du site décidés par l’éditeur.
Contourner l’obstacle : une pratique réservée aux initiés ?
François Wallon (déjà cité dans l’affaire Yahoo!) et Patrick Gordon ont toutefois refusé de verser dans le fatalisme. Ils expliquent que les logiques de contournement ne sont utilisées que par une minorité d’internautes.” Combien y a-t-il d’internautes avertis parmi les internautes pervertis ? “, s’interroge Patrick Gordon qui a étudié de près les mesures de blocage prises de leur plein gré par trois FAI helvétiques ?” Swisscom, Sunrise/Diax, et Tiscali Net ?” à l’encontre de Front14.org, en février dernier.” J’observe que Front14.org n’a pas changé son adresse URL après cette mesure de filtrage “, constate Patrick Gordon.Pour l’expert, les autres mesures de contournement n’apparaissent pas non plus devoir jouer un rôle important. “Ces sites peuvent toujours squatter une adresse IP privée sur une courte période de temps, mais dans ce cas, ils choisissent de fonctionner sous le sceau de la confidentialité “, juge Patrick Gordon.Quant aux solutions s’adressant aux internautes, le technicien estime que les systèmes permettant de surfer anonymement ne sont pas très efficaces : d’une part, parce qu’ils ne sont pas en mesure de masquer l’adresse IP de l’internaute, d’autre part parce que la nature de ce système est de protéger la personne qui veut consulter un contenu, non pas l’éditeur du site.
Des solutions hétérogènes
Les techniciens ont néanmoins souligné qu’un filtrage à 100 % n’était guère possible. Si les entreprises et les écoles ont tendance à privilégier un filtrage par des logiciels spécifiques, les experts estiment que pour bloquer l’accès à un site Internet par le biais d’un FAI, il faut recourir à une interdiction de la transmission.” Les solutions homogènes n’existent pas car les plates-formes techniques sont très différentes d’un FAI à l’autre “, concède Patrick Gordon.Bloquer la transmission est en effet très complexe, dans la mesure où le dispositif consiste à programmer les serveurs de manière à ce que l’adresse IP proscrite ne puisse être accessible depuis la France. De plus, pour empêcher les flux d’information en provenance de Front14.org de transiter par la France ou d’y parvenir, il conviendrait de procéder à une mise à jour des routeurs.” Les tables de routage sont très complexes, ce qui pourrait en définitive nuire aux performances des FAI dans le transport des données Internet “, note Patrick Gordon. Dans le contexte actuel, certains routeurs parmi les plus anciens pourraient nécessiter une mise à jour individualisée et, des FAI pourraient même être contraints d’investir dans du nouveau matériel.
L’analyse des requêtes permettra bientôt de filtrer
Pour sa part , le blocage de l’adresse URL semble moins fastidieux, reconnaissent les experts. ” Compte tenu de l’expérience suisse, il s’avère nécessaire d’opter pour un double filtrage, adresse IP/URL “, déclare François Wallon.Les trois experts révèlent dans leurs conclusions que des dispositifs de filtrage moins contraignants sur le plan technique seront disponibles à l’avenir. “D’ici à dix-huit mois, nous serons en mesure d’analyser le contenu des requêtes, et peut-être de filtrer l’accès à des sites par ce biais “, juge Jean-Raymond Lemaire.Cette technique reposerait sur la mise en place de ” listes noires ” par les FAI. ” Ce mouvement marquerait l’émergence de “FAI d’éthique”, une démarche comparable à ce que font les investisseurs à travers les fonds d’éthique “, rappelle Patrick Gordon.
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