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Privé de courriel

Le président des Etats-Unis a renoncé à l’usage des courriers électroniques. George W. Bush craint pour la confidentialité de ses mails, nous aussi.

C’est un homme seul à son bureau. L’homme le plus puissant du monde, dit-on. Il a de grandes responsabilités. Il administre un pays. Il a envie d’envoyer un mail à sa famille, là-bas, au Texas. Pour demander des nouvelles. Pour rien. Il commence à le rédiger. Et puis il réalise qu’il ne faut pas, trop dangereux… trop dangereux ? Oui, trop dangereux.Fin mars, George W. Bush, actuel locataire de la Maison Blanche et fils de son père, a, très officiellement, renoncé à l’usage des courriers électroniques. Autant à titre professionnel qu’à titre privé.Il a d’abord notifié à l’ensemble de ses collaborateurs cette décision en leur écrivant : “Ceci est mon dernier mail.” Belle formule, à mi-chemin entre l’homme qui va se suicider en laissant un mot sur la table et le vieux cliché des films de guerre ?” “Cette station cesse d’émettre”, avant que l’officier ne fasse détruire la radio et ne conduise ses troupes dans un dernier assaut forcément héroïque.Ensuite, George W. Bush s’est expliqué sur les raisons de sa décision aux représentants de la presse écrite américaine réunis en congrès ?” c’est un autre trait symbolique intéressant que de signaler un refus d’écrire, fût-ce électroniquement, à des gens dont le métier est d’assurer la diffusion de l’information sous forme écrite, c’est une façon de leur signaler toute la suspicion dans laquelle on les tient.Monsieur le président des Etats-Unis d’Amérique craint pour sa vie privée. Il ne veut pas prendre le risque que ses courriers électroniques tombent entre les mains d’un curieux mal intentionné. Peu sûr, le mail sera donc abandonné.Ce pourrait être une fable ridicule, toute de démesure des causes aux effets. L’occasion d’expédier à Bush junior un petit mot pour lui signaler l’existence de services de courrier électronique fortement sécurisés comme hushmail, ou l’inviter à se servir de PGP.C’est plutôt une fable édifiante, parce que vraie, et de laquelle plusieurs conclusions découlent.

  • 1 – Il n’y a pas si longtemps, les ” autoroutes de l’information ” servaient d’argument électoral aux Etats-Unis. L’aspiration à un certain progrès s’est transformé en défiance. Le beau jouet plein de promesses de lendemains qui chantent est cassé. A l’intérieur, un magma nauséabond. Les technologies de l’information et de la communication sont dangereuses. Elles dévoilent parfois ce qui doit rester caché.
  • 2 – En se mettant ainsi à l’abri, George Bush accrédite toutes les hypothèses les plus inquiétantes sur les capacités des Etats à détourner les échanges privés. Arrivé au pouvoir, il a été mis au courant par la NSA, et d’autres agences peu recommandables, de l’état précis des techniques d’espionnage. Et il en tire les conséquences.
  • 3 – Plus grave encore, sa décision proclame implicitement l’incompatibilité des échanges numériques et de la vie privée, et lui permet de se dérober à bon compte aux questions qui en découlent. Pour nous tous qui ne sommes pas président des Etats-Unis, cette décision dit : ” On ne peut pas régler le problème, on ne peut que se retirer du jeu. Croyez moi, je suis au centre du pouvoir, la seule méthode est la mienne : l’abstention totale. “

S’il n’est pas assuré aujourd’hui, le droit à la confidentialité des échanges électroniques devrait être au moins l’objet d’une revendication. Pas la cause d’un retrait pur et simple. Ou alors que Monsieur Bush cesse de rouler en voiture : les routes sont, elles aussi, peu sûres.On dirait que la révolution numérique ne tourne pas rond. Quelqu’un a une idée ?Prochaine chronique le jeudi 10 mai 2001

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Renaud Bonnet