Rien ne vieillit plus vite que le nouveau. Le ” new deal “, le ” new look “, le ” nouveau roman “, les ” nouveaux philosophes ” et la ” nouvelle cuisine ” sont autant de concepts qui marquent des époques déjà révolues.Il en ira de même pour la ” nouvelle économie “. L’opposition simpliste entre celle-ci, centrée sur l’internet et fonctionnant avec des règles nouvelles, et une vieille économie, composée de tous les autres secteurs, est une approche erronée d’un phénomène à la fois plus profond et plus révolutionnaire. L’internet est moins un nouveau secteur économique qu’un facteur puissant de renouveau de tous les secteurs de l’économie. D’ores et déjà, l'” économie internet ” est surtout le fait des acteurs historiques.En 1999, 96 start-up internet ont levé en France 2,2 milliards de francs, mais les investissements internet annoncés par les grands groupes ont été supérieurs à 50 milliards de francs. Pour l’année 2000, marquée par le krach de mars, les levées de fonds d’une centaine de start-up internet devraient se situer entre 3 et 4 milliards de francs contre plus de 100 milliards d’investissements internet pour les entreprises en place. Les seuls investissements internet de la bonne vieille Poste s’élèvent à environ 7 milliards de francs.Les corrections importantes déjà intervenues et celles, prévisibles, sur nombre de valeurs internet encore surévaluées pourraient entraîner une surréaction médiatique, déjà perceptible, sonnant la fin du mythe d’une nouvelle économie qui croyait échapper aux règles établies de la création de valeur. De fait, les critères d’évaluation des business plans, de même que les délais de retour sur investissement entre les projets issus de l’ancienne et ceux de la nouvelle convergent. Avec la banalisation de l’outil internet dans l’activité économique, et mis à part les pures valeurs technologiques, le concept de ” valeurs Internet ” devrait d’ailleurs disparaître assez rapidement, comme ont disparu en leur temps les ” valeurs électriques “. Mais cela ne voudra pas dire la fin du renouveau et de la croissance, bien au contraire.
Le web n’est que la partie visible de la révolution en cours
Il existe toujours un temps de latence de plusieurs années entre une invention et les innovations qui en découlent. Un autre temps de latence sépare l’apparition des innovations et leur impact significatif sur l’économie. Enfin, cet impact économique et social se produit souvent bien loin du secteur qui lui a donné naissance. Cela ne facilite certes pas la tâche des économistes et des prévisionnistes, mais il en va ainsi de l’économie de l’innovation, qui s’assimile plus aux phénomènes biologiques que mécaniques.Le web, symbole de la nouvelle révolution industrielle, a à peine dix ans. Par ailleurs, une douzaine d’autres technologies sont en phase révolutionnaire, comme le génie logiciel, l’optoélectronique, les liaisons optiques, la chimie fine, la biologie moléculaire, la génétique, etc. Elles connaissent des progrès considérables et interfèrent pour donner naissance à de nouveaux champs d’application qui touchent tous les secteurs économiques.
Les bouleversements sont semblables à ceux du xixe siècle
Deux exemples permettent d’illustrer la révolution en cours. D’une part, la combinaison des technologies du satellite et de la compression numérique. Elle a divisé par 1 000 en quinze ans le coût de transmission d’une chaîne de télé vers un individu. Cela a créé très peu de valeur et d’emplois dans le satellite et dans la compression, mais le nombre de chaînes diffusées en France est notamment passé de 4 à plus de 250. Second exemple : la combinaison de la fibre optique et de la transmission par impulsions laser multifréquence. Elle a divisé par 10 000 en douze ans le coût de transmission d’un mégabit entre les États-Unis et l’Europe. Là encore, si la création de valeur dans les secteurs du laser et de la fibre optique est peu importante, l’impact économique potentiel est considérable et s’étendra dans de multiples domaines allant de l’édition à la banque.C’est donc bien une révolution technologique qui a lieu, comparable dans son ampleur à celle de la fin du xixe siècle. Elle concerne les nouveaux entrants, bien sûr, très visibles parce que nouveaux, mais également tous les autres, pour la plupart bien éloignés des dotcom. Le renouveau de ces acteurs traditionnels, qui est à peine amorcé, est lui aussi porteur de croissance et de création de valeur.*Marc Giget est professeur d’économie de la technologie et de l’innovation au Conservatoire national des arts et métiers, et auteur de La Dynamique stratégique de lentreprise : innovation, croissance et redéploiement (Dunod).
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