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Pourquoi les Français se méfient du transhumanisme

Nos concitoyens sont beaucoup plus conservateurs que le reste de l’Europe quand il s’agit de modifier la nature humaine, une évolution que certains experts jugent pourtant inévitable et qui a le pouvoir de modifier en profondeur la société.

En France, le transhumanisme — ce mouvement qui prône l’amélioration de l’homme par la technologie — ne fait pas beaucoup rêver. Selon un sondage réalisé par Opinium Research à la demande de Kaspersky, seuls 32 % des Français trouvent qu’une telle amélioration de la nature humaine serait « acceptable ». Parmi les 15 pays européens analysés, l’Hexagone se retrouve ainsi en queue de classement, juste devant le Royaume-Uni (25 %). À l’inverse, les pays du sud comme l’Italie, l’Espagne ou le Portugal se montrent nettement moins conservateurs, avec un taux d’acceptation de 50 à 60 %.

En France, ce faible taux d’acceptation se double d’un profond pessimisme. Parmi ceux qui trouvent le transhumanisme acceptable, seuls 39 % pensent que cela va améliorer la qualité de vie. En moyenne sur tous les pays, ce taux était de 55 %, donc clairement majoritaire. Les Français sont également moins persuadés que les autres que les humains augmentés pourront mieux s’exprimer de façon créative. Enfin, nos concitoyens se démarquent par une fibre pacifiste, estimant que « l’augmentation humaine » ne devrait pas être utilisée dans un cadre militaire.

Kaspersky

Si les Français se méfient du transhumanisme, c’est peut-être parce qu’ils pensent que les risques sont plus grands que les bénéfices potentiels. Parmi ces derniers, ceux qui sont cités le plus souvent sont une meilleure santé, une vue plus performante, un corps plus attractif, un cerveau plus intelligent et une plus grande force. Mais cet espoir est douché par toute une série de menaces, réelles ou imaginaires. Ainsi, les gens ont peur que ces technologies puissent être contrôlées ou hackées par des cybercriminels ou qu’elles puissent créer un dommage irréparable au corps humain.

Une autre crainte très forte est que ces technologies puissent mettre en danger la société. Cette idée est partagée en moyenne par 39 % des personnes interrogées, mais en France c’est 54 %. Cela peut s’expliquer par un attachement particulier à l’égalité. En effet, les technologies transhumanistes peuvent considérablement creuser les inégalités. Si leur développement se fait uniquement selon la loi du marché, seuls les plus riches pourraient en profiter, ce que pensent d’ailleurs 68 % des Français.

Quelle place pour la liberté?

Il faut dire que les questions de société sont particulièrement nombreuses sur ce sujet, comme l’a prouvé le débat que Kaspersky a organisé à l’occasion de la publication de cette étude. Tous les participants s’accordaient pour dire que l’augmentation de l’humain était une évolution inévitable. Le problème, c’est comment l’organiser. Pour sa part, Zoltan Istvan, fondateur du parti transhumaniste américain, prône un libéralisme absolu. « Les gens devraient pouvoir faire ce qu’ils veulent. Il faudra peut-être un peu de régulation, mais à partir du moment où ces technologies ne font pas de mal, le pouvoir de décision doit revenir à eux. Si un jour je peux choisir entre une existence uniquement biologique, totalement dématérialisée ou cybernétique, je dois pouvoir le faire. La liberté est plus importante que tout, et la loi du marché est le meilleur moyen pour y arriver », estime-t-il.

Un point de vue que Julian Savulescu, professeur en éthique à l’université d’Oxford ne partage pas. « J’aime la liberté moi aussi, mais nous le sommes beaucoup moins que nous le pensons. Les technologies peuvent aussi nous asservir en tirant profit de nos failles, comme la recherche d’un statut social, la jalousie, le désir de richesse, la reconnaissance par ses pairs, etc. Beaucoup de gens, en réalité, ne savent pas gérer la liberté », souligne-t-il. Sur ce terrain, il est rejoint par Marco Preuss, directeur de la recherche et de l’analyse chez Kaspersky. « La liberté se réduit souvent à l’expression individuelle et l’égocentrisme. Il serait mieux d’analyser l’impact du transhumanisme au niveau de la société et de décider collectivement où nous voulons aller », estime-t-il.

Un domaine où le transhumanisme risque de faire beaucoup d’émules est celui du travail. « Les gens voudront s’augmenter pour rester compétitifs face aux robots et à l’intelligence artificielle. C’est normal, car ils ne voudront pas perdre leur boulot », prédit Zoltan Istvan. « C’est le scénario de Bienvenue à Gattaca, souligne Marco Preuss. Une telle révolution technologique pourrait profondément diviser la société en deux classes. C’est un choix de société particulièrement clivant ».

Reste à savoir quelles seront réellement nos marges de manœuvre pour organiser la montée en puissance du transhumanisme. Car selon Zoltan Istvan, la Chine est d’ores et déjà précurseur dans ce domaine et risque, à terme, de nous imposer ses choix liberticides si nous ne faisons rien.

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Gilbert KALLENBORN