Passer au contenu

Pourquoi le Wi-Fi 6E européen sera moins performant qu’aux États-Unis… au moins jusqu’en 2023

Prometteur de très hauts débits, et héritier direct du solide Wi-Fi 6, le Wi-Fi 6E ne placera pas tous les utilisateurs à la même enseigne à travers le monde. En Europe, il se verra en effet amputé de plus de la moitié de bande passante. On vous dit pourquoi.

Le Wi-Fi 6E est à nos portes, et sera officiellement prêt en France d’ici l’été, à temps pour nous permettre d’adopter les premiers produits grand public annoncés lors du CES 2021. Si le Wi-Fi 6 a représenté un vrai saut en avant en matière de qualité de couverture, de taux de transfert et même de portée, le Wi-Fi 6E est extrêmement prometteur. Il ajoute une toute nouvelle bande de fréquences « vierges », les 6 GHz, et promet des débits théoriques cumulés de près de 20 Gbit/s… mais pas chez nous.

Un Wi-Fi 6E… amputé de son plein potentiel

Car, le Wi-Fi 6E français, européen même, aura sans doute un faux air de Wi-Fi au rabais par rapport à celui dont bénéficieront les utilisateurs nord-américains. Pourquoi ? Simplement parce que les Français ne pourront utiliser que 500 MHz de fréquences contiguës, de 5,925 à 6,425 GHz, contre 1 200 MHz aux Etats-Unis (de 5,925 à 7,125 GHz)… Autrement dit, la promesse des débits offerts par les canaux de 320 MHz sera bien plus limitée en France, puisqu’un seul canal de cette largeur sera disponible, contre trois en Amérique… Une situation que la Wi-Fi Alliance regrette évidemment, à défaut de pouvoir la condamner, et espère voir évoluer un jour ou l’autre, comme le laissait entendre Alex Roytblat, son vice-président mondial des affaires réglementaires lors d’un séminaire en ligne le 11 mars dernier.

UIT Zones Monde.jpg
Maximilian Dörrbecker / CC BY-SA 2.5 – La carte mondiale des trois zones de l’UIT.

Un problème de cohabitation ?

Dès lors, une question se pose : quelle est la raison de ce Wi-Fi 6E à deux vitesses ? Pourquoi les pays de la Zone 1, telle que définie par l’UIT, l’Union Internationale des télécommunications, et qui regroupe grossièrement l’Europe, la Russie et l’Afrique, n’utilisent-ils pas les 700 MHz attenants dans la bande supérieure des 6 GHz ?

Est-ce le fruit de l’extrême enchevêtrement des fréquences, et donc la difficulté à libérer de nouvelles plages ou à faire coexister parfois des technologies de radiocommunication sur un même spectre ? On serait tenté de le croire. Après tout, on garde tous en tête la difficulté à faire cohabiter le Wi-Fi et les radars météorologiques dans la bande de fréquences des 5 GHz – où il a fallu mettre en place un système – le DFS, pour Dynamic Frequency Selection – qui fait en sorte qu’un réseau Wi-Fi abandonne automatiquement une fréquence si elle est utilisée par une installation radar à portée.

Eric Fournier, directeur de la planification du spectre et des affaires internationales (DPSAI) au sein de l’Agence nationale des fréquences (ANFR), nous détrompe.

« Il y a bien un usage préexistant de la bande de fréquences des 6 GHz », explique-t-il. On y trouve ainsi « les faisceaux hertziens entre des stations de base, le service fixe par satellite », auxquels on peut rajouter la radioastronomie. Par ailleurs, « cette bande des 6 GHz est effectivement attenante dans sa partie inférieure à la bande des systèmes CBTC », la signalisation ferroviaire des trains urbains et de banlieue.

Cependant, ce n’est pas le problème, car la situation a été largement anticipée. 

« La réflexion sur l’identification des 6 GHz pour le Wi-Fi a commencé en Europe avant même qu’elle n’ait lieu aux Etats-Unis », nous rappelle Eric Fournier. Ainsi, « les premiers travaux préliminaires sur les 500 MHz de cette bande de fréquences ont commencé en 2015/2016 ».

Par ailleurs, complète-t-il, la puissance maximale d’émission du Wi-Fi, 200 milliWatts, n’est pas un problème aussi bien pour ces 500 MHz que pour les 700 MHz suivants.

La coexistence entre différentes technologies n’est donc pas le souci. D’ailleurs, le feu vert à l’harmonisation de la bande 6 GHz a été donné en septembre 2019.

Wi-Fi contre réseau mobile, une rivalité sans fin… mais pas encore tranchée

Le responsable de cette limitation de la plage des fréquences attribuées au Wi-Fi 6E est, en fait, à chercher du côté… de la 5G.

« Lors de la Conférence mondiale des radiocommunications 2019 (CMR19, ndlr), des pays africains ont soumis une demande pour que les 700 MHz supérieurs de la bande des 6 GHz soient attribués à la 5G », nous explique Eric Fournier, avant de rappeler que cette demande ne s’applique évidemment qu’aux pays de la Zone 1. Or, « ce dossier 5G intéresse également l’Europe, qui est à la recherche de plus de spectre pour ses communications mobiles. »

Dès lors, les rêves d’un bloc unifié de 1 200 MHz de bande passante dans le champ des 6 GHz prend du plomb dans l’aile. Sommes-nous donc condamnés à voir nos cousins d’Amérique bénéficier d’un Wi-Fi 6E bien plus performant ? Pour le moment oui, mais pas forcément pour toujours.

« Le dossier d’identification des 700 MHz restants dans la bande des 6 GHz pour la 5G sera traité lors la CMR, fin 2023 », nous indique Eric Fournier. La conférence est en préparation depuis un an, mais les arguments et positions ne semblent pas encore arrêtés.

« Il y a toujours une concurrence entre les communautés mobile (notamment incarnée par la GSMA) et Wi-Fi (portée par la Wi-Fi Alliance) », met en perspective notre interlocuteur. « Néanmoins, nous n’avons pas de préférence. Nous regardons le dossier de manière ouverte, positive », continue-t-il, avant de donner quelques éléments de réflexion complémentaires.

Il y a aussi un enjeu quasi géopolitique et économique. Car il y a « une véritable course entre l’Europe et les États-Unis pour trouver de nouvelles fréquences pour la 5G ». La balance pencherait-elle donc plutôt du côté de la nouvelle technologie mobile ? Peut-être pas. Si le Wi-Fi peuple à terme toute la bande de fréquences 6 GHz, il ne risque pas vraiment de perturber les réseaux satellites, par son usage plus répandu en intérieur qu’en extérieur, et par sa puissance d’émission, faible. La cohabitation serait facile.
Ce qui ne serait pas forcément le cas avec la 5G :  

« les bases de communication avec les satellites émettent dans la bande des 6 GHz et reçoivent dans celle des 4 GHz », nous détaille Eric Fournier. Or, la 5G qui émettrait en 6 GHz pourrait bien davantage parasiter les communications avec les satellites, parce qu’elle se déploie « en extérieur et sur de larges territoires, et aussi parce que sa puissance d’émission est de 100 kWatts, ce qui n’a rien à voir avec le Wi-Fi », ajoute-t-il. 

Attendre 2023…

Autrement dit, l’avenir du Wi-Fi 6E va dépendre de la capacité de la 5G en 6 GHz à protéger les communications avec les satellites, ou à tout le moins à ne pas leur nuire… Si aucune solution technique n’est trouvée, alors la dossier 5G tombera à l’eau. Dans ce cas, « le Wi-Fi 6E de la Zone 1 aura toutes les chances de récupérer ces 700 MHz de plage de fréquences », assure Eric Fournier.

La technologie de réseau sans-fil bénéficiera alors de 1,2 GHz contigus, comme aux Etats-Unis.

La Wi-Fi Alliance, qui met évidemment en avant les multiples avantages qu’une telle quantité de fréquences mitoyennes peut apporter en matière d’usages, pourra se frotter les mains. D’autant plus qu’elle mise beaucoup sur ces canaux de communication de 320 MHz pour servir de socle à la prochaine itération de sa technologie sans-fil attendue pour 2024, a priori.

Le Wi-Fi 7 (ou 802.11be) n’en est qu’à la planche à dessin des ingénieurs de l’IEEE, mais il est clair que si l’UIT privilégie la 5G au détriment du Wi-Fi dans la Zone 1, les aires géographiques qui la composent devront assumer une forme de retard pour le Wi-Fi. Avec une myriade de conséquences. Tout est donc une question de choix technologiques – faut-il donner la priorité à la 5G ? -, d’enjeux économiques, mais aussi d’usages futurs.

On comprend en tout cas mieux pourquoi la Wi-Fi Alliance positionne plus encore qu’avant son Wi-Fi 6E comme un complément puissant et local de la 5G et la fibre optique… Il y a une guerre technologique qui se livre en coulisse de nos quotidiens connectés.

Une seule certitude surnage, il faudra attendre fin 2023 pour savoir si nos réseaux locaux sans-fil n’auront plus à rougir de ceux de nos voisins américains.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Pierre FONTAINE