Dans un entretien accordé au quotidien économique anglais Financial Times, le PDG de Qualcomm a réaffirmé l’intérêt de son entreprise pour prendre des parts dans ARM, concepteur anglais d’architecture processeur. S’il avait déjà proposé ce cas de figure l’an dernier quand il s’opposait au rachat d’ARM par Nvidia – rachat avorté depuis – cette fois, Cristiano Amon est allé plus loin en suggérant que plusieurs entreprises majeures, clientes d’ARM, prennent chacune des parts. Ce afin d’assurer une nouvelle forme de neutralité de cette entreprise qui est considérée comme « la Suisse des semi-conducteurs ».
Un peu à la manière des « patent pools », qui concentrent et mettent à disposition de l’industrie un panel de brevets partagés pour éviter les procédures de type « patent troll », cette idée de diviser ARM séduit au-delà de Qualcomm. Les PDG d’Intel, qui va produire des puces ARM dans le cadre de son évolution de modèle économique, ou encore du coréen SK Hynix (champion de la mémoire) ont émis la même hypothèse. Car ils ont le même objectif : faire en sorte d’éviter le scénario catastrophe que représentait l’acquisition de l’entreprise par Nvidia. Car qui contrôle ARM contrôle le futur de l’architecture. Et incidemment, le futur de toute l’industrie.
Un consortium pour protéger la neutralité d’ARM
Qu’est-ce que cela peut vous faire, à vous, qu’ARM soit indépendant ? Pour comprendre l’impact qu’ARM a dans nos vies, il faut d’abord réaliser que tous produits électroniques modernes ont au moins un, si ce n’est plusieurs composants qui reposent sur le panel d’architectures ARM. De la montre connectée, aux smartphones, en passant par les tablettes, les téléviseurs, les automobiles, les objets connectés, ARM est partout. Si un seul vendeur de puce a dans ses mains le destin de l’entreprise, cela pourrait résulter en un monopole absolu, une perte de concurrence, qui se ferait sans aucun doute au détriment des consommateurs.
Le statut d’indépendance actuel d’ARM – qui appartient au fonds d’investissement japonais SoftBank – fait en sorte que ARM traite tous ses clients de la même manière selon leur niveau de licence et de maîtrise de l’architecture. L’offre de rachat par Nvidia s’est révélé être le « scénario catastrophe » parfait : un acteur qui développe et produit des puces (notamment ARM) aurait pris le contrôle de l’architecture numéro 1 dans le monde. Il aurait alors endossé le double rôle de fournisseur de technologie ET de concurrent de toutes ces entreprises. Parmi ces 500 entreprises qui ont une licence ARM, il faut particulièrement citer Qualcomm, MediaTek, Apple, dont quasiment toutes les puces reposent sur les jeux d’instruction d’ARM.
ARM a gagné (des parts de marché, ndlr) dans tous les domaines grâce aux investissement collectifs de tout un écosystème, d’entreprises comme Apple et Qualcomm et bien d’autres, et cela parce qu’il s’agit d’une architecture ouverte et indépendante dans laquelle tout le monde peut investir.
Christiano Amon, PDG de Qualcomm, dans son interview au Financial Times, à propos de la période qui précède son rachat par Softbank en 2016.
Un partage d’ARM par des entreprises aurait potentiellement aussi un second effet : il limiterait la puissance du véto potentiel des Britanniques sur la technologie. De Huawei en 2018, qui n’est pas passé loin de la coupure technologique, à la Russie, privée depuis peu d’architecture sous fond de guerre contre l’Ukraine, le gouvernement britannique a un grand pouvoir sur ARM. Une puissance unilatérale qui engendre un déséquilibre un peu trop important pour prétendre qu’ARM soit vraiment neutre.
SoftBank et le Royaume-Uni laisseront-ils faire ?
Cette vision très « corporate » de la future gouvernance d’ARM ne plaît pas à tout le monde. En premier lieu à SoftBank, qui compte toujours introduire ARM en bourse, mais en conservant un nombre de parts suffisamment significatif pour en garder le contrôle.
Il faudra aussi compter sur le gouvernement britannique, qui considère ARM comme une entreprise stratégique pour le futur du pays. Il avait d’ailleurs demandé des garanties concrètes à Nvidia lors de l’offre de rachat, en imposant un maintien du siège à Cambridge (Angleterre) doublé de promesses d’embauche. Hermann Hauser, cofondateur d’ARM qui a l’oreille des politiciens locaux, avait d’ailleurs suggéré au gouvernement britannique de prendre une « golden share » dans ARM. De quoi disposer d’un pouvoir de véto contre d’autres rachats mais aussi pour peser sur le devenir de cette entreprise si stratégique.
Car, désormais (auto) isolé de l’Union Européenne, le Royaume-Uni fait cavalier seul, notamment dans le monde des technologies. Un monde largement dominé par les États-Unis et les pays asiatiques. En conservant une part de contrôle sur ARM, le dominion pourrait continuer de peser sur la scène internationale, dans un monde où le COVID et la pénurie de puce a mis en avant le caractère stratégique des semi-conducteurs.
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Source : Financial Times via ArsTechnica