Ce coup du blacklistage et de la rupture forcée des liens avec Google, Huawei l’avait vu venir. Cela fait un moment maintenant que le fleuron technologique chinois se prépare à être la cible des Américains, sur fond de la guerre économique que se livrent les deux plus grosses économies mondiales.
On sait par exemple que Huawei développe depuis 2012 une alternative à Android. Quant à la partie matérielle, Huawei est avec Samsung et Apple le seul fabriquant de smartphones à concevoir ses propres SoC haut de gamme.
S’arrêter à ce double constat pour vanter l’autonomie de Huawei est pourtant une erreur. S’il est certain que Huawei fait beaucoup de chose elle-même, l’entreprise ne peut pas encore se passer des technologies (et de l’influence) américaines.
Semi-conducteurs : une industrie historiquement dominée par les USA
Après la seconde guerre mondiale qui a vu l’avènement des transistors et du « computing », les Etats-Unis ont investi massivement dans ce qui allait devenir l’industrie des semi-conducteurs. Les USA demeurent, de la guerre froide à nos jours, les grands leaders du segment. En 2015, 49,6% des ventes de produits et services étaient made in USA, dans un marché qui pesait, en 2018, pas moins de 469 milliards de dollars.
Soutenus dès le début par les budgets du gouvernement américain, dont celui de la défense (1), les grands noms des semi-conducteurs américains ne sont pas uniquement ceux dont vous avez connaissance. Intel, Nvidia, AMD et Qualcomm sont évidemment de la partie, mais à côté de ces géants se cachent des entreprises de dimensions moindres, mais tout aussi dominantes et stratégiques.
Comme le rappelle Reuters, les fournisseurs de logiciels de conception de processeurs, comme Cadence Design Systems ou Synopsys, sont des entreprises américaines pour l’heure incontournables. A cela s’ajoute qu’un très grand nombre de brevets, qui font l’objet de nombreux accords, sont sous le contrôle des USA et de leurs partenaires.
A ce problème de propriété intellectuelle s’ajoute un problème de fabrication…
(1) : Government Support of the Semiconductor Industry: Diverse Approaches and Information, Daniel Holbrook, Department of History, Carnegie Mellon University, 1995
La fab dominée par les USA et ses alliés
Si la Chine ferme sa production de semi-conducteurs aux Américains, ces derniers devraient s’en remettre. L’inverse est moins sûr. L’Empire du milieu contrôle 15% de la production mondiales de puces, les USA et ses alliés (Taïwan, Japon, Corée du Sud) représentent 79% du gâteau.
Pour mettre en lumière cette dépendance, il faut se rendre compte que si Huawei produisait l’équivalent de 7,5 milliards de dollars de puces l’an dernier, la firme chinoise en achetait pour 21 milliards à des entreprises étrangères.
Cette balance négative, Huawei la doit au retard que la Chine accuse toujours dans la production de semi-conducteurs : aucune entreprise chinoise ne se trouve dans le Top 10 mondial.
Les USA entretienne d’ailleurs ce retard, en maîtrisant d’une main de fer les transferts technologiques. A la fin de l’année dernière, Washington a mis un coup d’arrêt dans le projet de l’usine de mémoires de Fujian Jinhua Integrated Circuit. Un méga projet entre des fonds chinois et le taïwanais UMC qui sont tous les deux suspectés par Washington d’avoir volé des informations à l’américain Micron.
A ces considérations de volume et d’accès aux technologies clés, s’ajoute la maîtrise des outils de production de pointe. HiSilicon, la division de Huawei en charge du développement des puces ARM maison (les Kirin), est une entreprise sans usines (on dit « fabless » dans le jargon) qui recourt à des sous-traitants pour la fabrication. Et pour les puces les plus haut de gamme avec la plus forte valeur ajoutée, la seule entreprise maîtrisant le procédé le plus performant (7 nm) qui lui soit accessible est le taïwanais TSMC – Samsung étant proscris car concurrent direct dans le domaine des smartphones.
Taïwan est, par sa domination dans le domaine de la production des puces (le pays est le numéro 1 mondial du segment avec pas moins de 20% de parts de marché), l’un des cœurs du monde de la tech. Et potentiellement dans l’œil du cyclone du combat sino-américain.
Taïwan dans le collimateur
Avec à sa tête un gouvernement ouvertement hostile à la Chine continentale et pro américain, Taïwan est au centre de l’attention dans cette guerre Chine/USA. Il produit non seulement les puces pour les smartphones Huawei comme le P30 Pro, mais aussi les processeurs Axx des iPhone d’Apple, des puces Snapdragon pour Qualcomm, les Ryzen 7 nm d’AMD, etc. Intel mis à part – qui possède ses propres usines – l’essentiel des groupes américains font produire soit par les Taïwanais, soit par les Coréens.
Dans le cas d’un durcissement de la guerre commerciale Chine/USA, le gouvernement de Donald Trump pourrait enjoindre Taïwan de limiter voire d’arrêter la production pour les Chinois en l’échange du maintien des accords commerciaux et de la protection militaire que les Américains accordent à l’île.
Un chemin de croix qui pourrait mener à une nouvelle donne technologique
Entre la propriété intellectuelle, les technologies clés et les outils de production, il manque encore des cordes à l’arc de Huawei pour être totalement indépendant dans le domaine des semi-conducteurs.
A court terme, l’entreprise a donc beaucoup à perdre – même si son pays peut jouer l’escalade en interdisant l’export de ses terres rares, des matières premières dont l’industrie tech toute entière a besoin pour la production des puces.
En ce qui concerne Huawei, aussi grave que soit le constat à court terme, ces difficultés pourrait forcer l’entreprise à accélérer ses efforts pour s’affranchir des technologies étrangères. Un chemin qui serait financièrement lourd et techniquement ardu, mais qui bénéficierait sans doute du soutien inconditionnel de Pékin. Une nouvelle donne qui pourrait mener, en cas de succès, à un nouvel ordre technologique mondial.
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