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Pourquoi il est logique qu’Oppo abandonne la conception de puces customs

La recherche d’autonomie technologique impose des dépenses énormes de R&D et de fabrication. Des coûts qu’Oppo ne pouvait plus se permettre dans un contexte de contraction du marché… et de tensions sino-américaines.

Il n’y aura pas de nouvelle puce dédiée à la photo ou au son dans les prochains smartphones Oppo. Le numéro quatre mondial des smartphones a décidé de mettre un terme à l’aventure de sa jeune filiale de conception maison de semi-conducteurs appelée Zeku. Loin d’être aussi ancienne que la division HiSilicon de Huawei, Zeku était une équipe jeune formée en 2019. Qui avait réussi le tour de force de lancer une première puce dédiée à l’imagerie, le MariSiliconX, dont nous vous avions longuement parlé à l’époque. Une puce assez innovante, moderne dans sa conception (gravure en 6 nm, etc.) que le chinois avait d’abord intégrée dans son fleuron, le Find X5 Pro.

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La firme avait relancé en décembre 2022 dernier une puce dédiée à l’audio appelée MariSilicon Y. Six mois à peine après cette annonce, le fabricant chinois jette l’éponge. Si cette fermeture n’a pas fait l’objet de communication détaillée de la part de l’entreprise chinoise, cette décision ne surprend pas. Car de nombreux facteurs handicapaient son potentiel succès.

Pas de bénéfice utilisateur tangible

Avant même de parler de semi-conducteurs, de milliards de dollars ou encore de géopolitique, soyons un peu terre à terre : l’un des principaux soucis d’Oppo est que ses puces ne rendent aucun service à l’utilisateur final. Si nous allons détailler les raisons qui a poussé Oppo à concevoir ses propres « bouts » de puce, l’exemple du Oppo Find X5 Pro face à la compétition est clair : la puce MariSilicon X ne lui a pas conféré d’avantage clé. Ainsi, il n’y a aucune situation (basse lumière, autofocus, bruit numérique) où le terminal haut de gamme d’Oppo pour l’année 2022 a pu créer un effet wow. Pire : il n’a même pas pu afficher des performances significativement au-dessus de ses adversaires, alors qu’il a une puce supplémentaire – le MariSilicon X est lié à l’ISP du Snapdragon 8 Gen 1 et prend en charge une partie des calculs/rendus d’image.

Quant au MariSilicon Y, il n’y avait pas plus difficile que de tenter de faire la différence en matière de son. Un domaine ancien où les résultats (perception) sont souvent subjectifs, où la compétition est acharnée entre des poids lourds du domaine et qui dépend d’une chaîne (écouteurs, casque ou chaîne audio) hors du contrôle de l’entreprise. Privant Oppo de la possibilité de faire la différence, ce qui est un souci majeur pour une entreprise en mal de reconnaissance globale. De plus, si ses puces n’ont pas pu faire de différence pour l’utilisateur, elles ont nécessairement eu un impact sur les finances d’Oppo. Car développer une puce de pointe, ça coûte (très) cher.

Des coûts de développement qui explosent

Si les MariSilicon X et Y sont des puces spécialisées, bien moins complexes et imposantes qu’un SoC complet de smartphone, ce sont cependant des processeurs de pointe gravés en 6 nm. Or, avec le passage aux gravures les plus fines, les coûts de développement des semi-conducteurs de pointe ont explosé. On estime que le développement d’un SoC complet en 7 nm (procédé dont le 6 nm dérive) tourne aux alentours de 300 millions de dollars avant même que la moindre puce ne soit produite.

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Si les puces sont ici moins complexes et plus petites (développement plus rapide, meilleurs rendements en production), nous parlons ici de plusieurs dizaines de millions de dollars pour mettre sur pied des équipes de développement, concevoir les puces (les logiciels sont hors de prix), tester et intégrer les puces, concevoir les algorithmes et autres drivers, etc. Des sommes qu’il aurait été possible d’encaisser il y a seulement 3-4 ans. Mais qui sont aujourd’hui très élevées. Compte tenu du résultat technique quasi « nul » d’une part. Mais surtout, compte tenu du marché.

Un marché des smartphones en très forte baisse

2023 est une année noire pour le marché des smartphones, qui connaît sa plus forte baisse depuis 10 ans. Si Oppo domine son marché interne avec quasiment 20 % de parts de marché en Chine, il n’empêche que le constructeur affiche une baisse de 10% au dernier trimestre par rapport à la même période en 2022. Une baisse de volume qui pourrait s’équilibrer grâce à la progression du prix moyen des terminaux.

Le hic pour Oppo – et pour tous les autres constructeurs – c’est que dans les faits, ce sont Apple et Samsung qui génèrent le plus d’argent avec leurs terminaux haut de gamme. Apple capturant 50 % et Samsung 20 % de la valeur totale du marché des smartphone, ne laissant que des miettes à l’ensemble des autres constructeurs.

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De plus, ce problème de profitabilité immédiate souffre du développement de l’occasion et de l’allongement de la durée de vie des terminaux causée, notamment, par un niveau de performances suffisante atteinte dans bien des gammes. Alors qu’Apple et Samsung sont ceux qui font le plus d’argent en vendant du très haut de gamme, Oppo souffre de vendre moins et pour moins cher.

Se pose ensuite la légendaire « vision à long terme » des marques chinoises. Qui prend ici du plomb dans l’aile face à une réalité géopolitique….

Une autonomie technologique sous menace américaine

L'exemple de l'indépendance technologique de Huawei sabordée par les blocus américains a de quoi refroidir Oppo... (stand Huawei au MWC2023) © Adrian BRANCO / 01net.com
L’exemple de l’indépendance technologique de Huawei sabordée par les blocus américains a de quoi refroidir Oppo… (stand Huawei au MWC2023) © Adrian BRANCO / 01net.com

Théoriquement, les marques chinoises auraient intérêt à développer au maximum leur souveraineté technologique. Et dans un référentiel purement technique débarrassé de toute considération (géo)politique, la démarche d’Oppo de concevoir des blocs technologiques était la meilleure voie pour concevoir, à moyen terme, son propre SoC. Mais dans les faits, l’exemple Huawei et sa filiale HiSilicon doivent résonner dans les têtes des dirigeants des entreprises chinoises comme une atroce équation inextricable du type « Pile, je gagne ; face, tu perds ».

Après que le gouvernement de Donald Trump a interdit l’accès des usines de TSMC à HiSilicon, les entreprises de l’Empire du Milieu se trouvent en effet face à un drôle de paradigme. Si elles continuent comme ça, elles laissent les Américains (Apple, Qualcomm), Coréens (Samsung) et Taïwanais (MediaTek) seuls au monde dans le développement de SoC de pointe pour les smartphones. Mais si elles se montrent trop performantes et autonomes comme le furent Huawei/HiSilicon – premiers sur le 5 nm avec Apple, premiers à intégrer un modem 5G, etc. – alors pèse la menace d’une coupure à l’accès d’outils de production que la Chine ne maîtrise pas. Un risque qui enterrerait non pas des dizaines de millions mais des centaines de millions de dollars d’investissement.

Logo de Zeku, propriété de GUANGDONG OPPO MOBILE TELECOMMUNICATIONS CORP., LTD.

Face à son impossibilité à faire rapidement la différence, aux coûts de développement qui explosent, à un marché en berne et des risques géopolitiques qui pourraient frapper à n’importe quel moment, Oppo a fait le choix de la raison en enterrant sa filiale Zeku. Mais elle prive à nouveau la Chine d’un acteurs local capable de venir tutoyer les acteurs globaux des puces de smartphones. Il reste à voir comment Oppo va gérer sa transformation dans ce marché si compliqué. Très peu diversifiée, l’entreprise vient tout juste “d’effacer” son site web allemand et plusieurs rumeurs (démenties mais de manière plutôt molle), faisaient état de la fermeture de la division française…

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Source : South China Morning Post