Il faudra encore de trois à cinq ans avant que la téléphonie sur IP ne décolle réellement dans les entreprises européennes, selon le GartnerGroup. La raison ? La majorité des sociétés ne sauteront le pas que lorsque l’heure aura sonné de changer leurs PABX. Or, “ces équipements sont conservés entre sept et quinze ans, et certains ont dû être changés avant le passage à l’an 2000, ou un an plus tôt dans le milieu de la finance”, justifie Steve Blood, directeur de recherche au GartnerGroup.La lenteur de l’adoption (environ un an et demi après les États-Unis) s’explique aussi, en partie, par le manque de confiance dans la technologie et l’absence de compétences des circuits de distribution. Mais, surtout, estime le cabinet Frost & Sullivan, il y a peu de bénéfices fonctionnels visibles, et beaucoup d’incertitudes en termes de retour sur investissement.Un point de vue que semblerait conforter l’échec de la mairie d’Hérouville-Saint-Clair (14), s’il ne faisait toutefois figure d’exception. Le système de téléphonie IP, fourni par Nortel Networks fin 2000, y a été progressivement abandonné. “Nous avions mis au point le logiciel sur le site avec l’équipementier”, se souvient Jean-Claude Tapin, qui, à l’époque, était en charge du déploiement à la mairie.
Mairie d’Hérouville, un projet trop en avance ?
Quarante téléphones IP et des PC multimédias, dotés d’écouteurs, d’un microphone et d’une carte son, remplaçaient alors les téléphones classiques sur plusieurs sites. L’interconnexion distante était réalisée grâce au réseau câble de Noos. “Le déploiement s’est arrêté au moment où nous allions installer des commutateurs Ethernet, avec qualité de service”, poursuit Jean-Claude Tapin. Coïncidence ou conséquence ? Ce sont les critiques sur la qualité de service qui entraîneront la mise à l’écart de l’installation, fin 2001, et le retour au téléphone traditionnel, peu après le changement de majorité municipale. “Les critiques concernaient des communications hachées et l’écho sur la ligne”, résume Serge Coudé, directeur des systèmes d’information à la mairie, depuis avril 2002. Premiers accusés : les PC multimédias. “Les applications informatiques se bloquaient, indique Serge Coudé, qui évoque aussi la messagerie unifiée qui semble avoir déçu.” Toutefois, “les cinq téléphones IP conservés fonctionnent correctement à l’intérieur des bâtiments”, relève-t-il. Enfin, l’interruption des contacts avec le fournisseur du système, lors du changement d’équipe municipale, n’aura facilité ni les mises à jour logicielles ni la correction des dysfonctionnements.Depuis, les technologies ont mûri. En témoigne la mairie de Beaune (21), qui a bâti, en septembre 2001, une architecture hybride mêlant téléphonie classique et téléphonie IP, également d’origine Nortel (désormais EADS Telecommunications). Cinquante téléphones IP sont répartis sur quatre sites, eux-mêmes raccordés à un MAN optique Ethernet. Afin de contrôler la qualité de service, “la prise Ethernet murale de gauche est dédiée à la voix ; et celle de droite, à la donnée”, résume Philippe Devaud, responsable informatique de la mairie. Ce qui aboutit à des réglages différents dans les commutateurs. Un serveur NT central établit les communications selon le protocole H.323. “Grâce à la téléphonie IP, on a fait l’économie de PABX sur les sites distants”, se félicite Philippe Devaud.De plus, de nouvelles fonctionnalités ont un bon rapport qualité-prix. Ainsi, il existe un journal des appels passés et reçus, accessible sur les combinés munis d’un écran. On suit ainsi rapidement les affaires en cours. Cette fonction existe sur des postes numériques classiques, mais à un coût plus élevé.
Une meilleure qualité
De même, lorsqu’on déménage un bureau, le serveur reroute automatiquement les appels vers la bonne prise Ethernet. Un bémol : le léger délai entre le moment où on a fini de parler et celui où on entend son correspondant. “Cela est dû à la compression. On s’y habitue, et la qualité est très bonne”, conclut Philippe Devaud. Il faut cependant noter que les téléphones IP ne sont employés que pour des postes non stratégiques et que le serveur d’appels n’est pas doublé. En revanche, le PABX traditionnel est redondant.Makhete Cisse, responsable informatique de la Société des eaux de Marseille, discerne les mêmes avantages en termes de mobilité, grâce à la solution d’Alcatel, déployée il y a quelques semaines sur un site de quarante personnes : “Il suffit de s’identifier sur un téléphone pour y rerouter ses appels, retrouver un numéro, ou encore, consulter les appels reçus et passés.” Seul souci : les téléphones ont des prises électriques, qu’il a fallu protéger par une alimentation sécurisée. Pour la qualité de service, chaque PC se raccorde à Ethernet via le poste téléphonique associé. Côté qualité sonore, “la non-transmission des silences peut donner l’impression que la communication est coupée”, note Makhete Cisse. Quant à certains utilisateurs, ils trouvent que la voix est parfois hachée. En 2003, la société étudiera les autres sites susceptibles de basculer en voix sur IP.
Une application comme une autre
Au final, le prix de la téléphonie sur IP n’est pas forcément moindre que celui d’une plate-forme traditionnelle. “Sa durée de vie sera inférieure à celle d’un PABX : au mieux cinq ans, voire plutôt trois”, avertit Steve Blood. Il faudra compter avec les mises à jour des serveurs. Et d’ajouter que “les éditeurs de logiciels supportent généralement la version en cours et celle qui est antérieure, pas plus “. Dans certains cas, la téléphonie sur IP induira des surcoûts. Mais, “on gagnera en efficacité, comme lorsque l’on est passé des terminaux des mainframes aux PC, même si ces derniers coûtent plus cher”, estime Steve Blood. “Exploiter un seul réseau, une seule technologie, un seul câblage est très sensé, surtout quand il n’y a pas d’existant à migrer”, explique Brian Riggs, analyste chez Current Analysis.En pratique, la réduction des coûts la plus évidente provient du multiplexage de la voix et des données sur le réseau informatique intersites de l’entreprise. On peut alors adopter le transport de la voix en IP entre des PABX traditionnels. Des passerelles, ou des matériels hybrides comme ceux qui sont employés au ministère de la Culture, suffisent. Début 2001, ce dernier a dû remplacer ses PABX qui dataient de 1987. Parallèlement, l’interconnexion des sites est passée de X.25 à IP sur Ethernet, d’où l’idée de profiter du nouveau réseau pour économiser sur le transport de la voix.“Les solutions tout IP, comme celle de Cisco, étaient trop novatrices et trop risquées, relève Philippe Toth, architecte télécoms au ministère. Nous n’avions pas droit à l’erreur, avec 2 400 postes, dont le cabinet du ministre. Cela étant, si l’appel d’offres avait été passé deux ans plus tard, nous aurions peut-être eu une approche différente.”Les OmniPCX 4400, d’Alcatel, ont été préférés à l’offre de Matra, pour leur homogénéité. Car, lorsque le projet de regroupement de sites se concrétisera, “nous pourrons réutiliser les cartes, entre les matériels avec unité centrale, et entre ceux qui en sont dépourvus sur les petits sites, anticipe Philippe Toth. Par ailleurs, notre priorité était de transporter la voix sans la dégrader”, donc sans compression. Pour la qualité de service, les sites sont passés à la commutation de niveau 3, grâce à des Catalyst 3550, de Cisco Systems, qui étiquettent les paquets voix. “Du coup, la capacité du PABX Alcatel à renseigner le champ ToS ou le champ QoS de niveau 3 n’est pas utilisée, précise Philippe Toth. Enfin, un Packet Shaper attribue la bande passante selon les protocoles ; c’est un outil précieux.”
Basculement total vers IP, ou cohabitation ?
La qualité sonore est bonne, à un détail près : on entend parfois un écho sur les communications vers l’extérieur. “Ce phénomène apparaît sur certaines destinations, plutôt avec Cegetel. Cela semble lié à l’utilisation de la compression chez l’opérateur, amplifié par la téléphonie IP”, indique Philippe Toth. La téléphonie IP dans les locaux n’est pas envisagée, bien que le ministère évalue des téléphones IP. “Dans quelques années, nous pourrions remplacer les PABX de petits sites ennuyeux à gérer par de la téléphonie sur IP”, évoque Philippe Toth.Si les petites entreprises ont la possibilité de basculer d’un coup en téléphonie IP, les grandes sociétés éviteront rarement la cohabitation. “Il faut compter environ trois ans pour une migration”, chiffre Brian Riggs. Or, certaines fonctions, comme l’identification de l’appelant ou le transfert de messages, risquent de ne pas fonctionner entre deux systèmes distincts. D’où l’intérêt de solutions comme celle d’Avaya, dont le logiciel est commun à son PABX traditionnel et à sa plate-forme IP, ou celle d’Alcatel, qui gère les deux technologies.Toutefois, une cohabitation ne se déroule pas forcément mal. Témoin la mairie de Castres (81), qui a interconnecté, début 2000, une trentaine de sites municipaux via un MAN Ethernet. La téléphonie mêle PABX-IP de Cisco et PABX traditionnel d’Alcatel. Elle fonctionne depuis un an et demi et aura permis, là encore, l’économie de PABX sur les sites distants. Des postes stratégiques ont été basculés en IP, en particulier le service scolaire, en contact avec les parents d’élèves. Les serveurs d’appels Cisco ont été doublés. Malgré tout, un poste traditionnel raccordé à France Télécom est conservé par sécurité, dans les vingt-quatre écoles, notamment. Les annuaires des plates-formes d’Alcatel, de Cisco et d’Exchange sont synchronisés pour la messagerie unifiée. Plusieurs collaborateurs récupèrent ainsi leurs messages vocaux dans Outlook. Ils les écoutent sur leur poste téléphonique ou leur PC.
Dépasser les possibilités de l’ancien système
Seule critique : “Il est regrettable qu’un téléphone IP de Cisco ne soit pas compatible avec un serveur Alcatel, et réciproquement”, déplore Henri Coye, responsable informatique de la mairie de Castres. Mais les renvois entre postes IP et postes classiques sont parfaitement au point.L’interopérabilité joue également pour d’autres applications. Le cabinet Ernst & Young a retenu une solution Cisco, à 100 % IP, pour son nouveau siège new-yorkais. En avril 2002, 3 200 personnes – pour un total de 80 000 appels par jour – ont emménagé dans un immeuble de trente-sept étages. Il n’existait aucune référence client de cette taille. Le système a été rigoureusement testé, “afin de nous assurer de la compatibilité avec la messagerie vocale, et avec la réservation de salles : certaines personnes n’ayant pas de bureau fixe, il faut réaffecter régulièrement leur extension téléphonique à un poste”, explique Juan Torres, directeur informatique chez Ernst & Young. Au passage, le cabinet a perdu certaines fonctionnalités et en a gagné d’autres. “Nous ne pouvons plus relier des communications établies sur des lignes séparées. En revanche, les utilisateurs voient mieux les appels reçus, passés et manqués. Dans quelque temps, nous dépasserons les possibilités de l’ancien système”, assure Juan Torres. “La qualité de la voix était l’une de nos préoccupations. Pour l’instant, il n’y a ni marquage des trames ni gestion de la qualité de service”, conclut Juan Torres.
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