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Pour grandir, il faut savoir rester petit

Un nouveau produit doit conquérir trois marchés successifs. La génération internet a voulu brûler les étapes.

Demandez à n’importe quel capital-risqueur de la Silicon Valley quel est selon lui le premier facteur de réussite marketing d’une start-up de technologie. Il vous répondra sans hésiter ” focus, focus ” (” la focalisation “). Après des milliers de lancements high-tech, moult cycles d’expansion et de récession et des décennies d’expérience, nous sommes convaincus que pour grandir une entreprise doit d’abord savoir se limiter.C’est Geoffrey Moore qui, le premier, immortalisa cette observation collective dans un ouvrage de management, Crossing the Chasm
(Franchir l’abîme), publié en 1994 et devenu la bible des entrepreneurs de la Vallée. Moore, alors partenaire de la société de conseil de Regis McKenna (l’homme marketing d’Apple, coauteur de l’ouvrage susmentionné), put ensuite, profitant du succès de ses livres, lancer sa propre société, The Chasm Group.

Le premier succès auprès des fondus de techno est trompeur

Cette focalisation, qui va à l’encontre de l’intuition des fondateurs, est forcément frustrante. De fait, les entrepreneurs de la génération internet ont cru pouvoir s’en affranchir ?” contrairement à leurs prédécesseurs, la ” génération client/serveur “.Pourquoi les premiers ont-ils ignoré si longtemps la théorie de Moore ? Comme les boursicoteurs qui croyaient que la Bourse monterait indéfiniment, ils étaient victimes de l’intoxication du web. L’enthousiasme des entreprises et des individus pour la révolution de l’internet était tel qu’ils l’ont cru sans limites… Depuis un an, les entrepreneurs de la deuxième vague de la nouvelle économie veulent de nouveau appliquer les principes de Crossing the Chasm. Quels sont-ils ?Geoffrey Moore a établi plusieurs règles fondamentales en s’appuyant sur l’étude de centaines de succès et d’échecs. Premièrement, le lancement d’un nouveau produit sur un nouveau marché n’a rien de commun avec le lancement d’un nouveau produit sur un marché existant. Souvenez-vous du premier Mac portable, un produit qui a fait un flop à son époque (alors que ses successeurs ont explosé quelques années plus tard).Si l’adéquation entre la demande latente et l’offre n’est pas parfaite, les ventes ne décollent pas, quelles que soient les dépenses marketing. La deuxième observation de Moore complète la première : la courbe d’adoption d’un nouveau produit présente une discontinuité pour les marchés technologiques.En clair, il existe un groupe de mordus qui vont s’empresser d’acheter le nouveau produit (pour les marchés professionnels, ce sont les directeurs informatiques ou les directeurs achats des grandes sociétés, qui disposent de budgets de veille technologique ; pour les marchés grand public, il s’agit de ces fondus de techno qui veulent toujours être à la pointe).Le problème, c’est que cette première série de ventes, si spectaculaire soit-elle, ne prouve pas que le produit a trouvé son vrai marché, car ensuite la courbe d’adoption marque souvent un fléchissement : c’est le fameux abîme dont parle Moore. Pour qu’il soit franchi, il faut que les early adopters, privés ou pros, aient été suffisamment convaincus par le produit pour devenir des prescripteurs crédibles aux yeux des plus réfractaires à la technologie.Troisièmement, les achats massifs du mainstream market (le gros du marché) mettent toujours du temps à décoller. Car il faut qu’existe auparavant une masse critique de références, c’est-à-dire de clients rationnels et satisfaits, qui aient pris le relais des acheteurs de la première heure.Pour devenir un jour les Microsoft ou Cisco d’un marché tout neuf, une jeune société doit donc paradoxalement se concentrer sur une petite part de la cible qu’elle vise. Ce marché modèle réduit lui permettra de comprendre les besoins communs des divers acteurs et de mettre en ?”uvre une politique marketing cohérente.Gare aux faux départs : les excités de la technologie et leur enthousiasme ont berné plus d’un entrepreneur ! Nous venons d’en avoir un bel exemple avec la première vague de la nouvelle économie. Mais pour tout entrepreneur de la deuxième vague, le livre de Geoffrey Moore est redevenu indispensable.
Rien de nouveau sous le soleil, me direz-vous ? Si. Désormais, on peut le lire sur un e-book.

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Eric Archambeau