Dans la famille Si-T’avances-Pas-Tu-Recules, je demande Roland, le patron survitaminé de notre groupe de nouvelles technologies. Son truc : il lance une idée et, avant même qu’elle retombe en forme de projet chiffré sur son bureau néodesign, la juge déjà trop vieille. Ou plutôt : “Obsolète.” Il utilise, en effet, ce moderne charabia à tout bout de champ, notamment à propos de ses vieux copains qui ont moins bien réussi : ce ne sont plus de vieux copains, mais des types obsolètes. Dans le même ordre d’idées, il trompe allégrement sa femme devenue obsolète, et change tous les trimestres de secrétaire, car une fois qu’elles se sont allongées, elles ne s’en relèvent pas… La question se pose donc : peut-on aimer mon boss ? Non. On n’aime pas Roland, on fait même tout pour qu’il soit viré par des actionnaires soudain lucides. Comment, se demanderont tous les apprentis patronicides ? En utilisant régulièrement le courrier anonyme, qui donne au cadre bassement vengeur l’altitude du corbeau ! Mais Roland s’accroche, refusant de devenir ce qu’il est déjà : obsolète. Il pare tous nos coups bas, boosté par son implant capillaire à la Bernard Darniche, son abdominateur électrique portatif, et ses brouettées de Ginseng et d’écorce de Guarana made in Brazil. Cette obsession de l’innovation, appliquée d’abord à lui-même, a des effets désastreux sur le business. Ainsi, après avoir ?” dans la même semaine ?” adoré puis enterré le concept de cimetière online pour chiens, puis celui d’auto-kinésithérapie à distance (génial : un kiné masse un dos devant une web cam, et par d’impossibles contorsions vous tentez de l’imiter en massant le vôtre…), voilà que notre illuminé se lance dans la i-confession ! Avouer ses péchés à un prêtre filmé dans un confessionnal en 3D, avec pour acte de contrition un bon petit paiement par CB en ligne, c’était pourtant une idée bénie… Mais notre boss l’a aussitôt lâchée pour un autre concept, moins obsolète : le Net Mouroir. Un site consacré à l’accompagnement des personnes en fin de vie. Roland, qui a si peur de la mort, et comme nous s’en approche chaque jour d’un pas (mais heureusement, ce salaud a de l’avance…), y voit-il une caisse enregistreuse, ou une forme de répétition générale ? À peine nous posons-nous la question qu’il laisse trépasser cette excellente idée, pour aussi sec démarcher les membres du gouvernement Raffarin, dont quatre seulement possèdent un site. Législatives obligent, il leur propose une vitrine politique programmée en PHP-XOOPS (le dernier cri), désignée en sous-traitance par les champions de Fabriksite.com, avec base de données électorale architecturée en sous-main par un sorcier de la Sofres, collage d’affiches virtuelles et Marseillaise numérisée garantie sans sifflets. Mais, pour ne pas miser raffatout sur raffarien, Roland planche déjà sur deux projets de sites : “Lionel, reviens” et “Jean-Marie, nous voilà “.
“Bref, Suicide.com !”, commente notre DG Charlotte. Réponse de Roland : “Génial, Charlotte ! Un suicide mode d’emploi en ligne, avec schémas interactifs et réductions-obsèques en partenariat avec les PFG, on oublie le reste et on fonce là-dessus !” Je crois quon va tous massacrer le boulot, pour que Roland en soit le premier client…
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