C’est un événement exceptionnel pour le discret Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) : hier, 25 novembre 2010, la presse était invitée à visiter son nouveau bébé, qui n’est autre que le plus puissant supercalculateur européen et le sixième ordinateur le plus puissant au monde. Construit par Bull et inauguré il y a seulement quelques semaines, le Tera 100 affiche des performances effectivement exceptionnelles, consacrées par une récompense à la récente conférence Supercomputing. La distinction, offerte par l’association Top500 et récompensant le plus puissant ordinateur européen, est fièrement exhibée dans les locaux ultrasécurisés du CEA, à Bruyères-le-Châtel, en banlieue parisienne.
Pensez-donc : la machine, qui tient dans une pièce de 600 m2, cumule les superlatifs. Elle n’embarque pas moins de 4 370 serveurs Bullx, qui comprennent un total de 17 480 processeurs octocœurs Intel Xeon 7500, soit la bagatelle de 139 840 unités de calcul. De quoi faire de cet engin le premier ordinateur à passer la barre du million de milliard d’opérations par seconde (pétaflops) en Europe.
Pour donner une idée de la puissance de calcul que cela représente, 1,05 pétaflop – la performance mesurée de Tera 100 au benchmark Linpack (1) – équivaut à réaliser davantage d’opérations à la seconde que ne le ferait l’intégralité de la population mondiale en 48 heures, à raison d’une opération par seconde. Rien à dire : Tera 100 est incroyablement fort en maths.
Mais il est également doté d’une mémoire titanesque, avec quelque 140 000 barrettes de RAM qui atteignent 300 téraoctets, la mémoire vive d’environ un million de PC traditionnels. Ne parlons même pas de la capacité de stockage de ce monstre, qui atteint les 20 pétaoctets, soit plus de 20 millions de gigaoctets ! L’équivalent, d’après le CEA, du stockage de 25 milliards de livres.
Et question débit, c’est tout simplement l’ordinateur le plus rapide au monde, puisqu’il transfère l’information à une vitesse de 500 gigaoctets par seconde, ce qui reviendrait à remplir un disque dur d’un PC moderne – si ce dernier était capable de soutenir un tel débit ! – en moins de deux secondes.
Le CEA est fier de préciser que Tera 100 tourne avec des logiciels libres. C’est même une distribution bien connue des linuxiens qui l’anime : Red Hat, couplé à quelques logiciels libres ad hoc, tel que le système de fichiers Lustre ou encore Slurm.
Un outil de simulation d’armes nucléaires
Si les performances de Tera 100 peuvent donner le vertige au profane, les scientifiques du CEA savent parfaitement quoi faire de cette machine, élément indispensable à la dissuasion nucléaire française. Souvenez-vous : en 1996, la France adhère au Traité d’interdiction complète des essais nucléaires et s’engage dans le programme Simulation, qui consiste à ne plus réaliser que des essais d’armes nucléaires virtuels, au sein même d’un ordinateur. Le CEA s’est depuis équipé de plusieurs supercalculateurs pour s’acquitter de cette mission, qui revenait jusqu’alors au Tera 10, l’ancêtre du Tera 100… Vingt fois moins puissant.
Secret défense oblige, impossible de savoir précisément ce que calcule Tera 100, même si l’on devine qu’il simule le plus finement possible la conception et le comportement d’armes nucléaires grâce à des modèles physiques et des modélisations numériques extrêmement précises. « Notre métier, c’est aussi de développer un simulateur de fonctionnement de l’arme. C’est un domaine classifié, qui compte des programmes qui atteignent le million de lignes de code », nous indiquait Jean Gonnord, chef de projet simulation numérique à la Direction des applications militaires. Particulièrement bien protégé, cet ordinateur n’est évidemment pas accessible par Internet : il faut se trouver sur certains postes de travail du centre de Bruyères-le-Châtel pour s’y connecter. Ouf !
Bientôt un ordinateur encore plus puissant… pour un usage civil
Le Tera 100 a beau être un ordinateur à vocation militaire, il n’en reste pas moins qu’il préfigure ce que sera le plus puissant des supercalculateurs civils européens dès l’année prochaine. Car Bull se prépare à livrer un autre ordinateur titanesque sur le même site, Curie, qui bénéficiera de la même architecture Bullx que le Tera 100… Lorsque sa mise en service sera achevée, à la fin 2011, Curie sera encore plus puissant que Tera 100, avec une capacité de 1,5 pétaflop.
(1) Le Linpack, utilisé pour le classement Top500 est le benchmark de référence des superordinateurs. Il consiste à faire réaliser des milliards d’équations à la machine et permet ainsi de mesurer ses performances brutes. Pour compléter le Linpack, le Tera 100 a ainsi résolu des équations pendant 22 heures sans discontinuer.
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