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Places de marché : entre surcapacité et lacunes

Après la profusion de l’an 2000 et le début de rationalisation de 2001, l’année en cours sera celle de la consolidation pour les places de marché. Les acteurs de ce domaine devront aussi s’atteler à l’optimisation de leurs plates-formes d’échange électroniques.

Le phénomène des places de marché électroniques (PDME) date de l’année 2000 et s’inscrit dans la mouvance d’Internet. Certes, quelques PDME existaient avant 1995, mais elles étaient basées sur des technologies comme l’EDI. C’est le cas d’Amadeus, de Sabre ou de Galileo, qui fonctionnaient selon les règles de PDME verticales.Dès les années 90, WalMart ?” premier distributeur mondial ?” reliait une part importante de ses vingt-cinq mille fournisseurs sur un réseau privé. D’autres PDME, tels Freemarkets ou VerticalNet, ont été développées avant 2000. Mais cette année-là est celle de l’explosion de ces plates-formes. En décembre 2000, on en comptabilisait quatre mille dans le monde, selon le cabinet Accenture. Autant de projets lancés en quelques mois. Il n’en aura pas fallu beaucoup plus pour que s’opère le premier mouvement de rationalisation, et que des PDME n’arrêtent leur activité ou ne redéfinissent leur stratégie.

Une première vague de fermetures

Marketo, IndustrySuppliers, Tabadol, Etexx, B2Build, récemment Business Village… la liste des échecs impressionne. Pourquoi une crise si rapide ? L’explosion de la bulle Internet, en avril 2000, a mis un terme aux extravagances des marchés boursiers, des analystes et, parfois, des entrepreneurs eux-mêmes. Dans le même temps, l’activité sur les PDME démarrait très lentement. Faute de financement externe, certaines ont été contraintes de stopper l’aventure. D’autant que les commissions sur les transactions se sont fixées entre 0,5 % et 1 %, alors que les PDME tablaient sur 1,5 à 2 %. Un taux encore très élevé comparé à celui des commissions pratiquées à la Bourse du New York Stock Exchange, et inférieur à un pour mille. Un coût souligné par l’attitude du Crédit Lyonnais : la banque n’effectue pas ses achats de fonctionnement sur Seliance, la PDME publique dont elle est actionnaire ! “Une place de marché est un intermédiaire qu’il faut rémunérer, justifie Jean-Paul Laude, chargé de l’e-procurement à la direction des achats du Crédit Lyonnais. Nous préférons aller sur les sites des fournisseurs”, conclut-il.Mais de nombreuses entreprises mêlent PDME publiques et privées pour leurs approvisionnements. General Motors, fondateur de Covisint ?” PDME publique de l’automobile ?”, a créé GM SupplyPower, un Extranet privé, qui le relie à plus de trois mille fournisseurs de pièces détachées. Thomson multimedia a confié à Hubwoo sa place de marché privée pour l’e-procurement mais participe aussi à KeyMRO, spécialisé dans le sourcing.Par ailleurs, l’année 2001 a également été marquée par la reprise en main des PDME verticales par les grands donneurs d’ordre, qui s’étaient laissés prendre de vitesse par les start-up. La chimie illustre cette évolution. En 1996, Chemdex, ChemConnect et CheMatch sont créés, mais les volumes de transactions restent modestes. Trois ans plus tard, les poids lourds, comme Dow et Dupont, prennent des participations au capital des PDME existantes. C’est en 2000 que le secteur marque la rupture en créant Elemica (qui regroupe les 22 acteurs majeurs mondiaux) et Envera, aux ambitions plus modestes. Résultat : les places de marché indépendantes, Chemdex en tête, ferment boutique quelques mois plus tard.La situation est comparable pour l’industrie minière, avec Quadrem, qui regroupe vingt et un membres, pesant près des deux tiers de la capitalisation boursière du secteur. Du côté des PDME horizontales, les banques ont lancé des initiatives ou investi dans des entités existantes (34 % d’Avisium racheté par Les Banques Populaires). C’est presque une obligation pour elles, car ces PDME auraient été, à terme, de redoutables concurrents. C’est également l’opportunité d’étoffer leurs prestations. Un secteur particulièrement éclairant en matière de PDME est celui des biens de grande consommation. Son évolution traduit la difficulté de transposer, dans un monde électronique, des relations commerciales complexes et de déployer l’infrastructure ad hoc.Les actions se sont multipliées. CPG market et Transora ont été initiées par des fournisseurs, tandis que GNx et WWRE étaient conçues par les distributeurs. Seul WalMart fait cavalier seul avec Atlas Commerce. Début 2002, Pierre Cayrey, d’Opéra, la centrale d’achat de Casino, Cora, Monoprix et Leader Price, tirait un premier bilan : “WWRE est un outil de négociation des prix.” Opéra a mené soixante-dix enchères sur trois cents références, effectuant pour 92 millions d’euros d’achats. Ce montant représente à peine 2,3 % des 4 milliards d’euros de produits revendus sous la marque des enseignes du groupe.Les PME ont été mobilisées : “Une firme comme Coca-Cola ne participe pas à des enchères “, illustre Pierre Cayrey. À chaque session, Opéra a invité des fournisseurs (connus et en nombre limité) à se connecter afin de faire leurs offres, en temps réel de façon anonyme. La moyenne des gains obtenus a été de 5,5 %. Mais cela a pu monter jusqu’à 25 %. “Lorsque le gain dépasse 10 %, on se demande si l’acheteur qui était auparavant aux commandes était compétent ou si l’on parle encore du même produit”, expose Pierre Cayrey.

Les enchères en ligne évitent le bluff

L’enseignement principal est qu’il est nécessaire que chacun joue le jeu et en tire profit. En clair, “nous n’avons pas fait baisser les prix en nous faisant passer pour un fournisseur “, résume Pierre Cayrey. “Les fournisseurs comprennent qu’ils doivent se remettre en cause quand leurs concurrents font de meilleures propositions “, argumente Clara Berry, responsable marketing chez Opéra. Quant aux acheteurs du groupe, “les gains leur sont crédités, mais pas le coût des opérations. Ce sont eux qui font venir leurs fournisseurs sur Internet. Il ne faut pas qu’ils décident ?” au bout du compte ?” de retourner à leurs fournisseurs habituels “, poursuit Pierre Cayrey. Les enchères en ligne évitent le bluff, et l’argument prix est essentiel.

Faire, défaire et refaire…

“Nous devons être précis sur les caractéristiques du produit, le moyen et le délai de livraison, etc. Mais WWRE n’est pas un moyen d’achat en ligne “, ajoute-t-il. Car tout produit doit être audité au préalable. Pour cela, Opéra a cinq bureaux dans le monde, et dix-sept bassins de sourcing. La centrale se fixe un objectif de trois cents enchères sur mille références, en ajoutant de nouveaux fournisseurs préalablement audités.Au-delà des acteurs impliqués dans une PDME, ce sont les solutions techniques déployées et les services qu’elles sous-tendent qui importent. La vision d’une suite logicielle regroupant toutes les fonctionnalités nécessaires est encore éloignée de la réalité. Seliance a choisi d’assembler les meilleurs progiciels du marché. Ce puzzle induit d’énormes besoins d’intégration.Chez Covisint, c’est encore plus complexe, puisque la PDME héberge la conception collaborative. Aux côtés des produits de Commerce One et d’Oracle, Covisint emploie des logiciels de MatrixOne et d’Engineering Animation, pour le développement collaboratif ; et de SupplySolution, pour l’exécution de la chaîne logistique. En revanche, une PDME horizontale comme Buying-Partner a programmé sa solution à partir des technologies de Microsoft sans utiliser de composants lourds COM+, afin de ne pas pénaliser les performances. Les progiciels ont été évités à la fois à cause de leur coût, mais aussi parce qu’ils étaient trop complets par rapport aux besoins initiaux. Il semblerait, toutefois, que les PDME horizontales aient été les plus sensibles aux progiciels, car elles tablaient sur un développement rapide des transactions, selon le cabinet Marcom Generation. Les pionniers Commerce One et Ariba ont alors été plébiscités avant d’être rejoints par SAP, Oracle ou IBM. Les PDME verticales auraient, elles, plutôt opté pour du spécifique afin de répondre aux besoins de chaque secteur.De nombreux développements complémentaires ont été réalisés. Beaucoup ont voulu aller vite, quitte à construire des solutions provisoires et à les faire évoluer. La PMDE horizontale Mondus fut développée en 1999 avec la technologie ColdFusion. En 2000, elle a été refondue selon les standards EJB et JSP, arc-boutée sur le serveur WebLogic, de BEA Systems.Sur le plan technique, les acteurs des places de marché ont donc dû surmonter “le manque de stabilité et des fonctionnalités à l’état de promesses, souligne Cyrille Witjas, directeur chez Accenture. Il n’est pas rare d’avoir plusieurs changements de version en cours d’année, et les possibilités d’intégration avec les ERP des acheteurs ou des fournisseurs restent complexes et en évolution “, détaille-t-il. “Cette intégration aux places de marché est un plus ; mais ce n’est pas indispensable aujourd’hui “, tempère Charles Bismuth, directeur des marchés service, chez Unilog. Les PDME ont donc consacré trop d’énergie et d’argent aux outils et à leur déploiement, estime Marcom Generation. Au détriment de l’analyse des besoins, et de la conduite du changement. L’année 2002 devrait voir un réalignement des services offerts vis-à-vis des besoins du marché.

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Pierre Slickerman