Le pays de Louis Daguerre et Nicéphore Niépce va-t-il retrouver un peu de son héritage industriel photographique ? Inventée en France, la photo est devenue, depuis le milieu du XXe siècle, le terrain de jeu quasi exclusif des industriels japonais et allemands, les premiers trustant plus de 95% du marché mondial. Hors les japonais Canon, Fujifilm, Olympus, Nikon, Panasonic, Sigma, et Sony, seuls les allemands de Leica produisent des appareils photo. Un paradigme que veut renverser David Barth, créateur de la marque Pixii.
Basé à Besançon, « terre historique de l’horlogerie française » où une main-d’œuvre spécialisée est disponible, l’entrepreneur français ambitionne de faire revivre un passé industriel disparu… depuis un bon moment. Si le Pixii voit bien le jour, il sera le premier appareil photo produit en France depuis 40 ans – le dernier recensé serait le Formaplex, un machin en plastique étanche produit dans la fin des années 70 et qui a fait un flop. Il serait surtout le premier appareil « sérieux » construit dans l’hexagone depuis la disparition de la vénérable marque Foca, fin des années 60.
Télémétrique numérique… sans écran
Sur le site de Pixii, vous pouvez découvrir les premières images de l’appareil. Un boîtier télémétrique à monture M, la fameuse monture des appareils Leica depuis les années 50. « Cette monture est ouverte et les optiques disponibles sont légion », explique David Barth. Si le développement d’optiques fait partie du champ des possibles, la petite équipe doit d’abord se concentrer sur un premier boîtier.
Un appareil qui se la joue minimaliste dans l’approche photographique : la mise au point est manuelle – télémétrique oblige –, les commandes sont réduites à leur plus simple expression et… il n’y a pas d’écran. « J’ai découvert la vraie photo en utilisant un Leica M8 » nous raconte David Barth, un ancien ingénieur de chez Canonical, l’éditeur de la célèbre distribution GNU/Linux Ubuntu. « Il n’y a pas d’intérêt à faire des clones de la concurrence japonaise ou d’aller tacler les smartphones sur leur terrain. J’ai voulu développer un boîtier qui se concentre sur l’essentiel : la prise de vue. Et non seulement l’écran nous incite à nous couper du présent, mais en plus c’est un élément où les technologies évoluent très vite. Autant faire appel à l’écran de votre téléphone. ».
Dans la catégorie des appareils qui se veulent volontairement simples et discrets, les Leica M sont rois, « mais leur prix élevé les mettent hors de portée du commun des mortels », détaille David Barth. « J’ai fait une étude de marché et je pense qu’il y a une vraie demande pour un appareil télémétrique moins cher ». Selon des rumeurs, le prix serait deux fois inférieur à un Leica M10, mais Mr Barth se refuse à tout commentaire, expliquant que nous en saurons plus « lors de l’annonce officielle du lancement au salon de la photo de Paris » qui aura lieu en novembre prochain.
Télémètre made in France
Le capteur intégré dans l’appareil disposera de photosites (les pixels) de « 5,5 microns », comme le précise la fiche technique. Si la marque se refuse pour l’heure à dévoiler le format (APS-C ? Plein format ?) ainsi que sa définition, elle invite à « faire une recherche sur le net ! » pour se faire une idée. Ce composant est acheté aux belges de CMOSIS – qui ont notamment livré des capteurs à Leica pour le M240 – et si les composants électroniques proviennent parfois d’Asie (mémoire flash), tout le reste, du boîtier aluminium à la partie logicielle, est made in France.
Le télémètre a d’ailleurs été développé par Pixii et fabriqué en France. « Pas parce que nous souhaitions absolument le faire, mais simplement parce que personne n’en vend. Leica est le dernier à produire des télémètres mais ne les vend pas aux autres », souligne David Barth. Et puisque le japonais Cosina, qui a produit des télémètres pour Epson (RD1 et RD1x), pour Zeiss (les Ikon) et pour ses propres Voigländer Bessa a arrêté la production – aucune de ces marques ne produit encore de boîtiers – les français de Pixii ont été obligés « d’apprendre à concevoir et produire » leur propre outil. Un chantier colossal « qui représente presque 50% du travail abattu depuis le début du projet » il y a trois ans. Mais qui a un avantage : « Cela nous a forcé à acquérir des compétences et à encore mieux maîtriser notre appareil ». Le télémètre maison est un modèle à grossissement x0,67 équipé de cadres (40/50mm, et 28/35mm) rétroéclairés par LED et doté d’un indicateur d’exposition.
Linux et smartphone aux commandes
Simple dans la prise en main – on gère l’ouverture sur les optiques M, la vitesse et les ISO sur le boîtier – le Pixii n’est pourtant pas dépourvu de technologies : il embarque de la mémoire flash (8 Go ou 32 Go selon la version), dispose de toute la connectique sans fil nécessaire à un envoi des fichiers sur le téléphone et intègre un processeur ARM épaulé par 1 Go de RAM, le tout piloté par un système… Linux, évidemment. « Je suis développeur et j’ai travaillé dans le monde de Linux depuis 2005 : d’abord pour la distribution Mandriva pendant 3 ans, puis 9 ans pour Canonical. Linux c’est une bonne partie de ma vie ». L’avantage de travailler avec un tel système, c’est la possibilité de mises à jour et d’optimisations permanentes. « A l’heure actuelle le système pèse 10 Mo ‘’déplié’’ et se lance en quelques dixièmes de secondes ». En fait, le système se lance tellement vite que le facteur limitant vient du temps de réponse des composants électroniques eux-mêmes !
Si la mesure de la lumière et la prise de vue RAW et Jpeg (jusqu’à 4 images par seconde dans l’état actuel du développement) sont opérées par le boîtier, les fonctions de visionnage, développement, tri et développement des images sont déportées sur le smartphone. « Nous développons deux applications iOS et Android qui permettront de visionner et gérer les images, d’étendre les fonctionnalités ainsi que procéder aux mises à jour du boîtier. ».
Boîtier durable, réparable… et améliorable
Loin d’être anodins, le déport de l’intelligence du boîtier et l’utilisation d’un système Linux sont la marque de la volonté de faire vivre ces boîtiers longtemps. « Puisque nous n’avons pas encore sorti notre premier boîtier, nous ne pouvons pas encore prendre d’engagement ferme. Néanmoins, nos éventuels clients doivent savoir que la philosophie de Pixii est de faire vivre nos boîtiers. Et en cela Linux est un atout puisque nous allons régulièrement mettre notre appareil à jour », s’engage-t-il. Une promesse qui va au-delà du logiciel : le matériel pourrait, lui aussi, faire l’objet de mises à jour, un peu à la manière des programmes d’upgrade/réparation de Leica.
« La conception des éléments électroniques est pensée dès le début pour être modulaire », répond David Barth quand on le titille sur la mémoire flash embarquée qui se substitue à une carte SD – il faudra brancher l’appareil en USB pour sortir les photos. « Non seulement on pourra toujours remplacer la carte contenant la puce de mémoire flash -une opération simple selon lui-mais on peut tout à fait envisager aussi des upgrades de cartes logiques, que ce soit celle qui contient le processeur, celle du connecteur Micro USB (une évolution vers l’USB C est envisageable, ndr) ou même du capteur en lui-même. Si le capteur de remplacement a la même taille que celui qu’il remplace, une mise à jour est tout à fait possible. « Si le succès est au rendez-vous, ce sera notre démarche », nous assure-t-on.
En développement depuis 3 ans, cet appareil français nous a paru très loin des projets fumeux que l’on voit poindre sur le net : l’entreprise ne passe pas par le financement participatif, son capital est de plus de 120.000 euros et elle a levé un demi-million d’euros cet été. Autant de gages de sérieux qui écartent les suspicions. Il reste désormais à voir le produit final au salon de la photo de Paris début novembre. Avec peut-être, à la clé, la renaissance d’une industrie de la photo en France. Espérons !
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