Jeudi, j’ai reçu un mail de cooptation. Deux de mes vieux copains m’invitaient très gentiment à participer à l’opération des Pionniers du Net. De quoi s’agit-il ? D’aller se faire tirer le portrait pour qu’il soit inséré dans l’affiche des ” 1000 pionniers du Net “, produite par un artiste, fort de la bénédiction de l’Unesco.Bien que ” hachement ” flatté, j’ai refusé. Et j’ai répondu dans les dix minutes, toujours par mail ; question de génétique, certainement. Mes amis, de vrais pionniers, eux, n’ont pas été surpris. Ils avaient parié l’un et l’autre sur la teneur de ma réaction.Dans le fond, c’est quoi un pionnier de la fracture numérique ? Qui peut se prévaloir d’un tel titre et en quoi est-il utile ? Les premiers utilisateurs de Word ou d’Excel en entreprise méritent autant que n’importe qui le nom de pionnier ! OK, OK, dans cette histoire, on parle seulement du Net.J’ai démarré relativement tôt là-dessus aussi. Mais au nom de quoi devrais-je être coopté, même si mes états de service vus sous un certain angle, par nuit claire et divisés par mon âge canonique pourraient éventuellement l’expliquer ? Qui peut, de plus, certifier que tous les cooptés de ce trombinoscope géant sont tous d’authentiques pionniers avec scalp à la ceinture ? Personne !Cette opération assez pathétique démontre avec force le besoin de reconnaissance inassouvi qui nous mine tous. “J’en étais, j’y étais…” Et alors ? Où est l’exceptionnel, l’exploit ?Après les pionniers du Net, je suggère que l’on programme la même chose pour les 1000 premiers utilisateurs de GSM ; puis les 1000 premiers cadres en trottinette… Ça fait du bien à l’ego, autant que d’être cité dans la rubrique ” Les gens qui font le Net ” de certaines cybergazettes.Hors la reconnaissance implicite par ses pairs, être un pionnier photogénique n’empêche pas des vedettes du Web de se prendre des mégatôles dans la Net-économie, ou de proférer d’énormes bourdes lors d’interviews.Ce qui me sidère le plus dans cette opération, c’est le manque de recul de tous ceux, amis ou acteurs proches, qui ont accepté de s’y prêter. Certes, l’argument : ” Pour une fois, ce ne seront pas toujours les mêmes que l’on verra ” est recevable, mais en demi-teinte.N’est-ce pas le signe qu’Internet est entré encore plus vite que les autres technologies dans notre vie pour que, déjà, on essaie de le muséifier dans cette espèce de gigantesque instantané pontifiant ? Je pense que si.Et je n’ai absolument pas envie d’être embaumé vivant. Je ne fais pas encore partie de l’association des anciens combattants de l’Internet. Pensant que je ne suis pas encore réduit à l’état de cadavre (même exquis), j’ai refusé cette place cooptée dans le mausolée virtuel, caution de l’Unesco ou pas.Quitte à s’inventer une légion d’honneur, autant que ce soit des souvenirs agréables pour ceux que l’on aime.NB : Mon grand-père Achille, quand on lui a proposé la légion d’honneur et d’autres hochets après 1945, les a tous refusé en disant : “Si vous me les donnez, cest mon chien qui les portera.” Il adorait déconner, mais, sur ce point, ne plaisantait plus. Atavisme, vous dis-je…Prochaine chronique samedi 14 avril
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