Avocat à la cour d’appel de Paris, spécialiste en propriété intellectuelle, Philippe Schmitt dirige le département Brevets au sein du cabinet Alain Bensoussan. Il intervient essentiellement dans le contentieux des
droits de la propriété industrielle, brevets, dessins & modèles et marques. Il est l’auteur de différents articles et contributions sur la brevetabilité des logiciels.Bonsoir à toutes et à tous, nous avons le plaisir d’accueillir Philippe Schmitt ! Bonsoir à tous.Bouil : Dans l’hypothèse de la brevetabilité des logiciels, n’est-il pas dangereux de baser la reconnaissance de la validité des brevets d’après une éventuelle procédure judiciaire ? N’est-ce pas le travail de l’OEB de vérifier
cette validité ? Comment une PME trouvera-t-elle les moyens de se défendre contre un brevet invalide ?Les brevets sur des inventions mises en ?”uvres par des programmes d’ordinateur existent depuis une bonne trentaine d’année. Les brevets sont délivrés par les Offices, l’OEB ou les Offices nationaux tels que l’Inpi. Le contentieux
de la validité des brevets, après leurs délivrances, appartient aux juridictions nationales. C’est une garantie pour les tiers ou les présumés contrefacteurs, pour faire valoir leurs droits lors d’un véritable débat contradictoire. C’est une
pratique que connaît le monde industriel en général et qui s’en satisfait.seb : Pouvez-vous nous expliquer succinctement l’esprit de la directive européenne sur les brevets de logiciels !? Le projet de directive a pour objet principal d’harmoniser les pratiques des Offices nationaux et de l’OEB (Office européen des brevets) mais également des juridictions nationales sur cette question. L’OEB notamment a accordé
plusieurs dizaines de milliers de brevets dit de logiciel et l’INPI en France en a accordé environ 10 000. Mais il y a très peu de décisions judiciaires qui se sont prononcées sur la validité de ces brevets.Journaliste_01net : Certains contestent aujourd’hui la légitimité de l’OEB, pensez-vous que cet argument soit recevable ?Le projet de directive tente d’apporter une réponse en créant un débat au sein du parlement européen en septembre. La conférence intergouvernementale de novembre 2000 concernant l’OEB n’a pas voulu modifier la pratique de l’Office.Beretta Vexée : Le monde industriel, se satisfait de brevets bien plus stricts, par exemple, il est presque impossible de breveter une vis ou un écrou, ce qui ne serait pas le cas dans le cadre du logiciel, de plus contrairement au
logiciel tout le monde est libre d’acheter et d’utiliser une vis ou un écrou, pourquoi devrait-on demander le droit d’utilisation d’un brevet dans le cadre du logiciel ?Les règles classiques de la brevetabilité s’appliquent déjà aux demandes de brevets examinées par les Offices. Les nouvelles règles envisagées par la directive ajouteront, sans doute, plus de contraintes pour ces brevets dits de
logiciel, encore que, il faut le rappeler, il existe déjà depuis longtemps des brevets de logiciels. Pour les logiciels dont la mise en ?”uvre tombe ou tombera sous le coup d’un brevet, les règles classiques de licences devront s’appliquer.Aurel : Il est question des brevets comme ‘ parade juridique efficace au pillage technologique ‘. Quel est ce ‘ pillage technologique ‘ ? Quelles sont les sociétés européennes
qui s’en sont plaintes ? Quel est le montant estimé de celui-ci, par rapport aux frais de justice et au coût de rédaction et de dépôts de brevets induits par un système de brevets logiciels ?Le brevet n’est pas uniquement un instrument d’attaque, il est également un extraordinaire outil pour la valorisation des entreprises.EuldZero : Beaucoup de logiciels libres sont co-développés par des universités ou des administrations publiques. Cela ne modifie-t-il pas la perspective d’applicabilité des brevets logiciels en France ? Les entreprises publiques, et notamment les universités, appliqueront pour les logiciels les mêmes règles qu’elles connaissent déjà dans les autres secteurs techniques comme la chimie ou les biotechnologies, elles intégreront, là
aussi, la problématique du dépôt de brevet pour leurs inventions relatives à des logiciels. Quant à leurs situations d’utilisateur, elles devront se préoccuper d’obtenir des licences pour leurs exploitations, comme elles le font déjà aujourd’hui au
regard du seul droit d’auteur… pour celles qui ne tenaient pas compte des droits de brevets pouvant exister.billou : Mais la brevetabilité des composants génériques des programmes ne risque-t-elle pas de plomber la libre entreprise et la concurrence en ne limitant les possibilités de développement qu’a des entreprises capables de
payer ?Les inventions, pour être brevetables, doivent présenter à la fois une nouveauté et une activité inventive au regard des connaissances au jour du dépôt de la demande de brevet. Toute demande de brevet n’aboutit pas automatiquement à
la délivrance d’un titre. Celui qui innove réellement pourra à son tour demander ou mettre en place un accord avec un autre industriel titulaire de brevet pour que celui-ci, non seulement permette l’exploitation de son brevet, mais qu’à son tour, il
ait accès à la technologie nouvelle.hotcrouzoux : Une question naïve : la législation sur les brevets logiciels va semble-t-il aligner les juridictions européennes et américaines. Or les Etats-Unis sont LA superpuissance en matière de logiciels. En quoi l’hypothétique
législation européenne pourrait-elle représenter une menace pour les éditeurs européens ?Une grande différence demeure avec les Etats-Unis, aussi bien dans les décisions de l’OEB que dans le projet de directive. Il ne s’agit pas en Europe d’accorder des brevets sur des méthodes. Une législation harmonisée en Europe
donnera plus de poids dans les négociations intergouvernementales et dans celles que les entreprises européennes du secteur mènent avec les entreprises américaines. En l’absence d’une position unifiée en Europe sur les inventions mises en ?”uvres
par des programmes d’ordinateur, les entreprises européennes souffrent d’un déficit de moyens dans les négociations.ruf : Comment les petites PME européennes pourront faire face au coût engendré par les procès à répétition tel qu’on le voit outre-Atlantique ?Restons européens, les coûts des procès actuellement n’ont rien à voir avec ce qui ce passe aux USA. Ceci étant, quand on parle des procès aux USA, on ne cite que les montants mirobolants mais pas les nombreuses procédures qui
aboutissent à des transactions. Enfin, le recours au procès n’est pas spécifique au droit des brevets c’est une tendance générale.UnInformaticien : N’y a-t-il pas un problème à ce que l’Office européen des brevets ait un intérêt financier à l’augmentation du nombre de brevets ?L’Office des brevets qu’il soit européen ou national doit effectuer des recherches d’antériorité et les analyser avant d’accorder un brevet. Différentes procédures sont également prévues au sein des Offices pour que le déposant
puisse modifier sa demande ou apporter des explications aux examinateurs, tout cela présente un coût qui doit être pris en charge, les différentes taxes payées par les déposants y contribuent. Enfin, les brevets même délivrés par les Offices sont
susceptibles d’être annulés par les juridictions indépendantes des Offices. Quel serait l’intérêt, pour les industriels, de voir se multiplier des brevets trop facilement accordés ? Il est bien connu que les industriels passent plus de temps à
regarder les brevets de leurs concurrents qu’à relire les leurs.Kernel : Pouvez-vous expliquer en quoi les brevets constituent une ‘ évolution ‘ ? L’informatique est appelée à évoluer, mais à mes yeux les brevets seraient un frein et même une guillotine pour les PME
et les petits développeurs, ce qui entraînerait la mort du logiciel libre, et favoriserait l’expansion des grandes firmes américaines (Microsoft par exemple). Le projet de directive prévoit que la commission aura pour mission d’établir régulièrement un rapport sur l’impact de cette directive au regard notamment des PME. Quant au logiciel libre, les différentes conventions qui l’organisent,
si elles ne tenaient pas déjà compte des brevets existants, elles trouveront dans la directive un cadre légal pour intégrer la problématique des brevets.uposax : Quelles études ont déjà prouvé que les pays où un système de brevet logiciel était en place ont réussi à accroître leur créativité par rapport aux autres pays tels ceux d’Europe ? Y a-t-il des chiffres ?Il faut se rapporter aux différents travaux de la Commission qui a présenté un large panorama des différents aspects de cette problématique en rappelant notamment que l’informatique est présente dans quasiment tous les domaines.Guilhem : Qu’est-ce qui serait brevetable dans un logiciel ? Les lignes de codes proprement dites ou les idées qu’elles mettent en ?”uvre ? Est-il intéressant de breveter des lignes de code, et n’est-il pas dangereux de
breveter des idées ?La protection des idées est exclue de la brevetabilité. Selon les règles classiques, une invention pour être brevetable doit être nouvelle, présenter une activité inventive et une application industrielle. De telles contraintes
limitent la portée des brevets.$$$ : N’êtes-vous pas juge et partie dans cette histoire ?Sans commentaire.obi : Le concept de propriété intellectuelle me semble tout bonnement honteux ! Comment peut-on revendiquer la propriété ?” c’est à moi et pas à toi ?” d’une idée ? Comment être sûr que personne ne l’a
pas eue avant ou ne l’a pas exploitée avant ? La richesse ne réside-t-elle pas dans l’exploitation commerciale de l’idée plutôt que dans l’idée en elle même ?Le droit d’auteur est bien un concept de la propriété intellectuelle… et l’objet du brevet est justement d’apporter une contrepartie à celui qui a mis à disposition des tiers et qui a divulgué son savoir.Merci beaucoup Philippe Schmitt, le mot de la fin ?Rendez-vous en octobre après le vote du Parlement. Bonne soirée à tous.
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