Dans son ouvrage Logos et identité visuelle, Matthew Healey raconte que c’est avec l’essor industriel de la seconde moitié du XIXe siècle qu’ont commencé à fleurir les logos, qu’il s’agisse d’insignes (le losange de Renault) ou de logotypes au sens propre (le nom de la marque stylisé). Les marques avaient besoin de se créer une identité visuelle pour toucher de nouveaux consommateurs. Au début du XXe siècle, la firme allemande AEG fut “ la première à avoir une réelle démarche rationnelle en matière de design visuel, à se doter d’une charte graphique ” et à utiliser son logo hexagonal de façon systématique, raconte Michel Chanaud, du mensuel Étapes. Après la seconde guerre mondiale, les logos ont occupé une place de plus en plus importante afin de favoriser la consommation sur les marchés de masse. “ Les identités des marques se sont sophistiquées, répondant à l’objectif publicitaire de stimuler la demande ”, note Matthew Healey. La baisse du coût de l’impression en couleurs, les progrès techniques de reprographie et la culture pop les ont peu à peu rendus omniprésents, comme en témoigne le film Logorama du collectif H5 (http://goo.gl/RXpS0). En informatique, la pomme d’Apple ou les huit bandes d’IBM sont devenues des emblèmes connus dans le monde entier ou presque. Mais comment sont-ils nés ? Que nous disent-ils ? Quelles valeurs véhiculent-ils ? Petit tour d’horizon forcément sélectif.
Apple : une pomme inoxydable
“ Le logo d’Apple a passé un cap, c’est une icône, relève Michel Chanaud, fondateur et directeur d’Étapes, mensuel consacré au graphisme. Si je dessine une pomme, même mal, vous penserez à Apple. ” Le premier logo, utilisé de 1975 à 1977, fut dessiné par Ron Wayne, un des cofondateurs d’Apple. Il le conçut en détournant une gravure où l’on voyait Newton assis sous un arbre avec, en bannière, l’extrait d’un poème de William Wordsworth. Trop touffu, il est remplacé, pour la sortie de l’Apple II en 1977, par la fameuse pomme du designer Rob Janoff. Pourquoi une pomme croquée ? Ce n’est pas, contrairement à la légende, une allusion au mathématicien Alan Turing, qui s’était suicidé en mordant une pomme trempée dans du cyanure. Il s’agissait juste d’éviter que celle-ci ne soit prise pour une cerise, et d’évoquer aussi un geste universel. Les bandes arc-en-ciel ne faisaient pas référence à l’homosexualité de Turing, mais au moniteur couleur de l’Apple II. Elles visaient à “ humaniser ” l’ordinateur devenant personnel. La pomme ne fut jamais modifiée, même dans les années 90 quand Apple toucha le fond, elle fut juste dotée de nouvelles couleurs ou d’effets en relief. Aujourd’hui, elle apparaît chromée. Inoxydable.http://goo.gl/ztTLA
IBM : un succès à huit bandes
Big Blue a fêté ses 100 ans l’an dernier. C’est en effet en juin 1911 que trois entreprises américaines du XIXe siècle fusionnent pour donner naissance à la Computing-Tabulating-Recording Company, la CTRC, renommée International Business Machines ? IBM, dès 1924. À l’époque, elle se dote d’un logo en forme de globe, traversé par le mot “ International ”. En 1947, ce logo laisse la place aux trois lettres dépouillées pour marquer le passage des machines à cartes vers les ordinateurs. C’est en 1972 que le célèbre designer Paul Rand, déjà à l’œuvre sur le logo noir de 1956, modernisa le visuel en introduisant les huit bandes bleues, suggérant la vitesse et le dynamisme. Elles sont toujours utilisées aujourd’hui, le bleu ayant néanmoins cédé la place au blanc sur fond noir. À noter qu’il existe quelques variantes de ce logo, notamment une dotée de treize bandes, utilisée ponctuellement (http://goo.gl/fQbno.). Pour Matthew Healey, c’est “ peut-être le logo moderniste ultime, un ensemble hautement fonctionnel d’initiales à la fois élégant et intemporel ”. Michel Chanaud y voit plutôt un logo qui incarne “ le numérique, les lignes de l’écran ”. Un classique auquel IBM n’a plus jamais touché, tant il incarne l’entreprise. “ Un code graphique si fort que si j’écris Apple avec les huit bandes, les gens penseront d’abord à IBM ”, estime Michel Chanaud.
HP : deux lettres immuables
Elle aurait pu s’appeler Packard-Hewlett. Née dans un garage, l’entreprise fondée en 1939 prend comme nom Hewlett-Packard, suite à un pile ou face entre ses fondateurs, Bill Hewlett et David Packard. Le logo à deux lettres encerclées apparaît dès les années 50. En 1956, le constructeur crée une entreprise indépendante, Dynac, dont les deux premières lettres proviennent du logo HP retourné. En 1999, ce dernier est relooké, entouré d’un rectangle bleu, et flanqué du célèbre slogan “ Invent ”. Depuis quelques années, l’entreprise n’utilise plus que les deux lettres pour s’identifier. Elle a conservé l’identité de base de son logo, malgré des années tourmentées, entre rachats (Compaq) et restructurations. Un nouveau logo futuriste a circulé sur la Toile fin décembre, faisant penser à celui de Lip dans les années 60… ou à des barbelés (http://goo.gl/h7UoG).Mais il ne s’agirait que d’une piste de travail d’un studio de design, refusée par HP. Une fuite volontaire ? C’est possible, pense Michel Chanaud : “ Parfois, comme pour Gap, on peut se demander si les entreprises ne font pas exprès de laisser circuler de nouveaux logos ? alors qu’elles n’ont pas l’intention d’en changer ?, histoire de recréer un attachement <à la marque. ” On ne chamboule pas comme ça un grand pan d’histoire (http://goo.gl/y2CFm).
Google : le logo aux mille visages
Le premier logo de Google fut dessiné au moyen du logiciel Gimp par Sergey Brin, cofondateur du moteur de recherche avec Larry Page. Chose amusante, il arborait alors un point d’exclamation, comme Yahoo!. En 1999, les deux étudiants de Stanford se tournent vers Ruth Kedar, un professeur de design de l’université, pour imaginer un logo les distinguant des concurrents de l’époque. Les différentes pistes explorées sont racontées par Ruth Kedar dans le magazine Wired (http://goo.gl/NCpD0). Le logo final fut retenu pour sa simplicité, son côté non institutionnel et ludique, les couleurs primaires évoquant l’enfance. Le logo présente l’originalité d’être régulièrement redessiné sur la page d’accueil, en fonction d’événements que Google souhaite commémorer. Ce jeu avec le graphisme colle bien à cette nouvelle économie, immatérielle, mouvante et non conventionnelle, dont Google est devenu le héraut. Le premier de ces Doodles est apparu en août 1998 : derrière le deuxième “ O ”, un petit bonhomme signifiait que les fondateurs participaient à un festival dans le Nevada, et donc qu’ils étaient absents. Le stagiaire Dennis Hwang dessina le Doodle célébrant le 14 juillet et fut ensuite nommé responsable des Doodles. Aujourd’hui, c’est une équipe entière qui est chargée de ces logos. Il en existe des milliers, les internautes peuvent même soumettre leurs idées. Google est allé jusqu’à transformer son logo en véritable jeu (Pacman) ou en vidéo (Charlie Chaplin). Les Doodles ont leur musée en ligne (http://goo.gl/k9KBg) et peuvent même être imprimés sur des t-shirts ou des tasses. Le logo des temps modernes.
Intel : deux logos, un slogan génial, et cinq notes fameuses
Depuis sa naissance en 1968, Intel n’a connu que deux logos. Le premier, avec le “ e ” décalé vers le bas, conçu par les fondateurs de l’entreprise, Robert Noyce et Gordon Moore, aura vaillamment tenu jusqu’en 2006. Il est à l’époque remplacé par une version modernisée arborant une ellipse, issue du fameux “ Intel inside ”, apparu en 1991. Un slogan qui colle aujourd’hui au nom du fabricant. À l’époque, Intel avait choisi de prendre à sa charge une partie des frais des publicités arborant ce slogan, idée marketing qui se révéla géniale (http://goo.gl/IiXSL).Autre fait notable concernant la marque : le célèbre jingle sonore à cinq notes (http://goo.gl/zhuC3), conçu par le studio MuskiV et probablement aussi connu que son slogan. “ Pour Intel, on peut parler de “ branding ” [gestion de marque] total ”, considère Michel Chanaud.
Motorola : un “ M ” à deux pointes soixantenaire
En 1928, Paul et Joseph Galvin fondent, aux États-Unis, la Galvin Manufacturing Company. Elle fabrique à partir de 1930 des radios pour voitures, de police notamment, sous la marque Motorola (http://goo.gl/lHlBO). “ Motor ” renvoie au moteur, et “ ola ” fait référence au son. L’entreprise se rebaptise Motorola en 1947. Dès 1955, elle adopte le célèbre insigne “ M ” à deux pointes formant une arche, et baptisé “ Emsignia ”. Il n’a pas pris une ride ni bougé d’un pouce depuis 57 ans. Il symbolisait à l’époque la volonté de l’entreprise d’être leader sur le marché. La typographie est, elle aussi, inchangée depuis les années 60. “ Plus le logo est connu, plus il est difficile d’y toucher ”, souligne Michel Chanaud.
Microsoft : un “ O ” devenu star
Créé au milieu des années 70, Microsoft présente la particularité d’avoir comme logo le plus connu, non pas celui de sa marque mais celui d’un de ses produits, Windows, symbolisé par la fenêtre à quatre couleurs (vert, jaune, rouge et bleu). Le premier logo de l’entreprise, en 1975, fait “ très début des années 70. C’est vraiment ce qui se faisait à cette époque ”, considère Michel Chanaud. Le nom de l’entreprise est coupé en deux, avec les deux “ O ” empilés, héritage de la toute première appellation de l’éditeur, “ Micro-Soft ” (pour microcomputer software). Le trait d’union disparaît en 1976. En 1982, un autre logo est utilisé, avec le premier “ O ” du nom Microsoft strié de lignes horizontales : il est surnommé “ The Blibbet ”. Celui-ci fut abandonné cinq ans plus tard, au grand regret de certains salariés, qui firent campagne en interne avec des badges “ Save the Blibbet ”. Sur le campus de Microsoft, un “ Blibbet Burger ” fut même un temps servi dans les cafétérias. En 1987, apparaît le logo actuel, baptisé “ Pacman ”, à cause du premier “ O ”, non complet, qui rappelle le glouton jaune. Somme toute banal, il n’a plus bougé depuis 25 ans, hormis les slogans l’accompagnant. Microsoft s’est davantage “ lâché ” graphiquement sur les logos de ses produits, comme Silverlight ou Bing. Une façon, sans doute, de les mettre en avant.
Samsung : trois étoiles portées disparues
Lee Byung-Chull fonde Samsung en 1938, à Taegu, en Corée. Son nom signifie “ trois étoiles ” en coréen, et l’entreprise exporte à l’origine du poisson, des fruits et des légumes. Au fil des années, et au gré de ses acquisitions, elle se diversifie tous azimuts, de l’assurance-vie à l’électronique. Ce vaste conglomérat a conservé longtemps dans son logo les trois étoiles, apparues sur les premiers produits, tels les paquets de nouilles (http://goo.gl/2SO3a). Visibles sur le premier logo crée en 1969, où le mot Samsung écrit à l’occidentale apparaît pour la première fois, elles disparaissent en 1993 dans le logo toujours utilisé aujourd’hui. Celui-ci comporte une ellipse, symbolisant l’univers, de couleur bleue, rappelant le ciel et la mer. Le “ débord ” du premier S et du G symbolise la connexion de Samsung avec le monde. Un monde que l’entreprise domine, notamment dans le secteur des smartphones.
Nokia : du poisson au “ connecting people ”
En 1865, Fredrik Idestam crée une première usine de pâte à bois dans le sud-ouest de la Finlande, puis une seconde sur les rives de la rivière Nokianvirta (http://goo.gl/p9vxU). Celle-ci longe la ville de Nokia, qui donna son nom à l’entreprise en 1871, dont le premier logo arbore un gros poisson. En 1967, Nokia Ab. fusionne avec la Finnish Ruber Works ? qui utilisait aussi la marque Nokia pour vendre ses chaussures ? et la Finnish Cable Works. Le conglomérat est alors présent sur plusieurs marchés : l’électronique, le caoutchouc, les câbles, l’électricité, l’industrie forestière… Le groupe se recentre à la fin des années 80 et au début des années 90 sur la naissante téléphonie mobile grand public, se délestant de ses autres activités, ce qui donna naissance à Nokian Tyres (pneus) et Nokian Footwear (chaussures) qui existent encore aujourd’hui. Nokia se dote alors d’un visuel très austère et carré, flanqué de trois flèches, disparues aujourd’hui. Le slogan vedette “ Connecting People ” apparaît en 1992. Si celui-ci n’est plus arboré aujourd’hui, le logo, lui, n’a pas bougé d’un iota. Pas fun, mais endurant.
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