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Partenariat avec Mistral, engagements en matière d’IA… Microsoft cherche à échapper aux autorités antitrust, une stratégie payante ?

« Une initiative d’autorégulation » : dans un long message de blog lundi 26 février, Microsoft s’est engagé à ouvrir son infrastructure d’IA basée sur le cloud à d’autres modèles d’IA – dont celui de Mistral, la licorne française – parmi onze autres « promesses », désignées comme des « principes d’accès à l’IA ». Un choix qui pourrait s’avérer payant.

La pépite française de l’IA, Mistral, est-elle l’heureuse victime de la « pression réglementaire » qui pèse sur Microsoft depuis des mois ? Lundi 26 février, la licorne annonçait avoir conclu un partenariat avec Microsoft, quelques heures après la publication d’un certain nombre d’engagements de la firme américaine, désignés comme des « principes d’accès à l’IA ». Désormais, le modèle de langage de Mistral sera distribué sur la plateforme de cloud de Microsoft, Azure. Et si ce partenariat sera scruté de près par la Commission européenne, relate Reuters mardi 27 février, tout aurait commencé un an plus tôt.

En janvier 2023, Microsoft a en effet eu la bonne idée d’investir plusieurs milliards de dollars dans OpenAI, la société à l’origine de ChatGPT, cet agent conversationnel qui permet de générer du texte ou du code. Si la société de Satya Nadella s’est félicitée, lors de la keynote d’OpenAI en novembre dernier, d’avoir fait un tel choix, notamment parce qu’il lui a permis de coiffer au poteau son rival Google, la stratégie a eu un revers. Elle a attiré l’attention des autorités de la concurrence européenne, britannique et américaine. 

Car en la matière, Microsoft a un lourd passif. « Dans les années 2000 », rappelle Julien Pillot, enseignant-chercheur en économie à l’Inseec Grande École, « l’entreprise a frôlé le démantèlement pour avoir abusé de sa position dominante sur les systèmes d’exploitation Windows. De mon point de vue, il y a une volonté stratégique de Microsoft de rassurer les autorités de concurrence en montrant patte blanche le plus tôt possible, de façon à déminer le terrain alors que le DMA (Digital Markets Act, le règlement européen sur les marchés numériques, NDLR) entre en vigueur. Il s’agit d’éviter que l’histoire ne bégaie ». 

Pour les autorités de la concurrence, il est hors de question de laisser passer des cas d’abus de position dominante dans le secteur de l’IA. Bien que Microsoft n’ait officiellement aucun pouvoir décisionnel au sein d’OpenAI, son rôle joué pendant la crise interne de novembre dernier a montré que l’entreprise de Satya Nadella était un partenaire qui pesait lourd, voire très lourd. De quoi s’interroger sur l’application des règles européennes relative au droit de la concurrence en cas de fusions ou acquisitions, déclarait la Commission européenne début janvier. La question est étudiée de très près par Bruxelles.

OpenAI promet qu’elle ne privilégiera pas OpenAI

D’autant que ses concurrents ne se privent pas d’accuser Microsoft de profiter de sa position de 2ᵉ clouder mondial pour devenir leader dans le secteur de l’IA, à l’image de Google. Quelques heures avant la publication des engagements, le mastodonte de l’e-commerce tirait à boulets rouges sur Microsoft, rapporte Reuters.

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Résultat, lundi, Microsoft a présenté son « initiative d’autorégulation » sur son blog et par l’intermédiaire de Brad Smith son président, lors d’un discours au Mobile World Congress de Barcelone qui avait lieu le même jour. La société promet de « réaliser des investissements plus importants, d’établir plus de partenariats commerciaux et de mettre en œuvre des programmes plus vastes pour promouvoir l’innovation et la concurrence ».

S’en est suivie, quelques heures plus tard, l’annonce de Mistral, une mise en pratique des promesses à peine publiées de Microsoft. Selon ce partenariat pluriannuel conclu avec le géant des logiciels, le dernier modèle de langage de Mistral, Mistral Large, sera proposé sur Azure, la plateforme de cloud de Microsoft, aux côtés de celui d’OpenAI. Et là aussi, la Commission européenne compte bien en étudier les tenants et aboutissants. Pour l’instant, on sait simplement, selon un porte-parole de l’entreprise interrogé par Reuters, que l’investissement atteindrait les 15 millions d’euros. De son côté, Arthur Mensch, à la tête de la start-up, a expliqué dans les colonnes du Monde que son entreprise restait aux mains des Européens « globalement à plus de 75 % ».

À côté de cette annonce, Microsoft a listé, dans son article de blog, onze engagements en matière d’accès à l’IA. L’entreprise assure qu’elle travaillera avec tous les modèles d’IA, qu’ils soient ou qu’ils ne soient pas open source. Tous ces systèmes seront disponibles sur Azure, sa plateforme cloud, promet-elle. De cette manière, l’entreprise, numéro deux mondial du cloud, montre qu’elle ne privilégiera pas OpenAI, et qu’elle ne coupera pas l’herbe aux pieds d’autres développeurs d’IA. Elle rappelle ainsi avoir investi 5,6 milliards de dollars dans des centres de données en IA, et dans des nouveaux programmes de formation en IA.

Microsoft, numéro 2 du cloud, partenaire privilégié d’OpenAI, joue les bons élèves

Dans son très long message, Microsoft semble parfois s’adresser directement aux autorités de la concurrence. Elle rappelle que le développement de systèmes d’IA nécessite des puissances de calcul et des centres de données, aujourd’hui aux mains de « Microsoft, Amazon, Google, Oracle et IBM, ainsi que de grandes entreprises chinoises comme Alibaba, Huawei, Tencent et Baidu ». Or, l’IA permettra-t-elle de « faire émerger de nouvelles entreprises ? Ou renforcera-t-elle simplement les positions et les leaders existants sur les marchés numériques ? » s’interroge-t-elle (rhétoriquement).

Sur ce point, Microsoft veut jouer les bons élèves. Pour son président, les régulateurs se concentreront sur une seule question : celle de savoir si l’infrastructure nécessaire pour former et développer des modèles d’IA est accessible aux entreprises qui ne possèdent ni centres de données ni infrastructure cloud. En conséquence, Microsoft s’engage à « rendre son infrastructure de cloud computing et d’IA, ses plates-formes, ses outils et services largement disponibles et accessibles aux développeurs de logiciels du monde entier ».

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Une stratégie qui pourrait être payante

Une stratégie qui pourrait s’avérer payante selon l’économiste Julien Pillot. « Microsoft sait qu’on ne fait pas d’intelligence artificielle sans données. Elle sait aussi qu’elle doit aller plus vite que Google, Apple, Amazon, que les Chinois Tencent et Baidu, qui investissent énormément dans l’intelligence artificielle ». En fait, pour gagner cette course de vitesse, « il faut un maximum de puissance de calcul et de capacités de stockage, mais aussi – et surtout – de données qualifiées sur lesquelles entraîner les IA. Le fait de montrer de façon précoce une volonté d’ouverture des infrastructures, et des API et interfaces, et de jouer la carte de l’open innovation et de la croissance partenariale, a vocation à inciter un maximum d’entreprises dans le monde à héberger les données sur les serveurs de Microsoft et à envisager des partenariats avec elle. Ce qui peut leur donner un avantage concurrentiel vraiment très important », analyse l’économiste.

Microsoft fait aussi l’engagement de respecter les règles de la concurrence en matière d’IA, et de collaborer avec les autorités de la concurrence, des éléments auxquels il est déjà contraint par la loi. La firme promet de permettre ou de faciliter l’interopérabilité de son infrastructure avec d’autres clouders – un point sur lequel elle est régulièrement critiquée. Elle s’engage à ne pas utiliser les données utilisées par ses clients pour entraîner les modèles d’IA sur son cloud, avec l’objectif de les concurrencer.

En agissant de la sorte, « Microsoft envoie un message très clair en disant :” si on est dominant dans quelques années, c’est que, à un moment où les jeux étaient ouverts, il y aura eu plus d’entreprises qui nous auront fait confiance. Si à la sortie, on se retrouve avec les meilleurs serveurs qui ont le plus de données, avec les meilleures capacités de calcul, qui sont intégrées dans les meilleurs logiciels applicatifs… ce sera par le fait de nos mérites, et non parce qu’on aura “torpillé” tout le monde au passage », souligne Julien Pillot. Ces promesses seront-elles suivies à la lettre, et suffiront-elles à convaincre les autorités de la concurrence ?

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Source : Article de blog de Microsoft du 26 février 2024


Stéphanie Bascou