Sa notoriété s’était répandue comme une traînée de poudre, parti de zéro, il a atteint le statut de phénomène de société en quelques semaines ; son enterrement sera passé complètement inaperçu. Le site satirique de la nouvelle économie, Kasskooye.com, aura eu la trajectoire habituelle des épiphénomènes de mode.Pourtant pour son chant du cygne en forme de courrier électronique, Goran et ses acolytes ont une nouvelle (et dernière) fois visé juste : “Kasskooye vise désormais un marché plus modeste, une cible plus ciblée avec une stratégie e-CRM plus orientée profiling relationnel managerial avec datamining et demand-chain intégré, un peu de KM, une pincée d’EIP et de m-commerce.”En brocardant le jargon abscons et américanisé familier de l’industrie informatique, Kasskooye semble enfoncer une porte ouverte : non seulement la pratique n’est pas nouvelle, mais cela a même toujours été une caractéristique de cet univers. Pourtant, depuis l’avènement d’Internet la tendance s’est lourdement aggravée. Les pénibles jeux de mots sur la manie du ” e-n’importe quoi ” n’ont pas suffi à enrayer le mouvement.Au contraire, à l’habituel sabir pseudo-technologique dans lequel plaquettes, communiqués de presse ou présentations sont rédigés se sont ajoutés des termes issus d’autres domaines, anglicismes, néologismes, barbarismes et autres exotismes linguistiques. Au point, ce qui est assez réjouissant, que l’agaçant est bien souvent dépassé pour atteindre le ridicule.Ainsi cette société française qui ne fait pas, ou plus, de l’hébergement mais de l’“hebergeering ” (sic). En effet, c’est tout de suite plus sérieux, on aurait pu croire qu’il s’agissait d’hôtellerie. Ou cette autre, dont les produits gèrent des ” programmes d’incentive “(resic), probablement parce que le salarié (pardon, le collaborateur) est plus réceptif lorsqu’il est incentivé plutôt qu’incité.Toute personne désireuse d’en savoir plus sur ces merveilleux concepts se devait de faire un tour au salon Webcommerce-Europe : en effet, sur son site Web, le salon promettait des “networking opportunities ” (reresic). Nul doute qu’on avait l’occasion de s’y “beamer”
(échanger par infrarouge des coordonnées entre assistants personnels, NDT) entre membres de la même tribu.En fait, ce jargon ne se limite plus aux seuls informaticiens et aux seuls termes techniques : il s’est diffusé, il a débordé, il s’est enrichi de vocables issus du marketing, de la publicité ou du management. La diffusion de l’informatique dans l’entreprise (sa pervasiveness), la mode (hype) a facilité le mélange des dialectes (cross-fertilization) des différentes populations. Le résultat est cet espèce d’espéranto global basé sur 250 mots fourre-tout utilisés de Hong-Kong à San Francisco, une langue de l’entreprise que l’on pourrait baptiser le ” corporate “, et qui a moins vocation de permettre de se comprendre que de se reconnaître.Parents qui voulez assurer un avenir à vos enfants, ne vous méprenez pas : la langue indispensable à toute carrière n’est plus langlais de Shakespeare, mais bien ce volapük international.Prochaine chronique jeudi 1er novembre 2001
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