La cacophonie qui a présidé à l’attribution de licences UMTS en Europe illustre bien la façon dont l’intervention des États peut agir comme un frein à la diffusion du progrès.Taxer la nouveauté est une idée ancienne, qu’il s’agisse de protéger un marché d’une concurrence nouvelle, de ponctionner “la consommation de luxe” ou de récupérer une partie des richesses créées par la technologie. La France possède une longue tradition de taxation de l’innovation. Elle a touché l’automobile (considérée à ses débuts comme un “jouet coûteux”), le téléphone (“jouet inutile”), le disque (toujours plus taxé que le livre), jusqu’aux supports numériques, qui ont échappé de justesse à la “taxe Tasca”.À taxer les nouvelles technologies comme un produit de consommation de luxe, on en retarde effectivement la diffusion auprès d’un large public. Quand le retard devient trop criant, les gouvernements inversent la tendance, échafaudant des plans nationaux comme le “téléphone pour tous” dans les années 70, “l’informatique pour tous” dans les années 80 ou, actuellement, le plan de lutte contre la “fracture numérique”.
Dès le départ, l’État a bridé le développement de l’UMTS
Pour le GSM, l’Europe avait défini une norme commune, devenue référence mondiale, et les licences ont été attribuées dans des conditions raisonnables permettant l’arrivée de nouveaux acteurs. Les pays nordiques (plus raisonnables que les autres, puisque les licences étaient gratuites) sont devenus les leaders mondiaux de la téléphonie mobile.On pouvait espérer la même dynamique pour l’UMTS, qui, si elle n’est pas la seule norme en lice, prétend à l’universalité ?” le sigle veut dire Universal Mobile Telecommunications System. Mais le phénoménal décollage de l’opérateur DoCoMo au Japon (qui possède un monopole de fait avec sa norme i-mode) a échauffé les esprits. Les analystes se sont mis à rêver sur l’impact qu’aurait la fusion de l’e-business et des télécoms mobiles (les deux secteurs les plus porteurs du moment), tandis que les États cigales d’Europe, pour résorber leurs déficits et le financement des retraites, se sont mis à rêver de fortune facile.Les montants anormalement élevés qu’ils ont exigés pour les licences (850 milliards de francs au total en Europe), auxquels s’ajoute le coût des infrastructures nécessaires (environ 1500 milliards de francs pour couvrir le continent), ont déséquilibré l’économie du secteur et jeté le doute sur son avenir.Le prélèvement immédiat d’une taxe calculée sur une valeur hypothétique future est antiéconomique à deux égards : elle conforte les monopoles et réduit la concurrence ; elle handicape les seuls acteurs de l’industrie high-tech qui investissent massivement.Trop gourmand, l’État français a arrêté le progrès. Pour autant, heureusement, on ne désinvente pas la connaissance et après l’UMTS, l’évolution technologique continue. Les prochaines générations de téléphonie mobile sont en gestation; le DAWS (digital advanced wireless service) et le MBS (mobile broadband system) permettront des débits plus rapides que l’UMTS (voir le schéma).Mais aujourd’hui, entre les opérateurs qui attendront la prochaine génération sans passer par la case UMTS et ceux qui espèrent récupérer la fortune engloutie dans leur licence, la confusion règne en Europe. Les États, si prompts à critiquer la courte vue des marchés financiers, sauront-ils tirer l’enseignement de leur propre “bulle spéculative”?* Marc Giget est professeur d’économie de la technologie et de l’innovation au Conservatoire national des arts et métiers.
🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.