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On a rencontré Rodney Brooks, le pape de la robotique

Le père du robot aspirateur Roomba et de l’humanoïde Baxter revient pour nous sur son parcours exceptionnel. D’origine australienne, il a été chercheur au MIT, créé de multiples start-ups et mis au point des machines révolutionnaires. Rencontre.

Dans le monde de la robotique, Rodney Brooks est une éminence. Il est notamment le papa du robot grand public le plus populaire au monde : le Roomba. Alors, nous avons profité de son passage lors d’un séminaire à l’Université de Jussieu pour le rencontrer. Il se concentre actuellement sur son dernier-né : le robot industriel Baxter, qu’il a créé avec sa société Rethink Robotics. Une machine distribuée en Europe par la société française Generation Robots.

01net : Qu’est-ce qui vous a poussé à faire de la robotique ?

Rodney Brooks : J’avais 7 ans, j’étais en Australie où je suis né et où j’ai grandi. C’était au début des années soixante, et je regardais des photos de robots et d’ordinateurs dans des livres. C’est à ce moment que j’ai décidé que je construirai des robots.

Quel a été votre parcours ?

J’ai d’abord étudié les mathématiques. Ensuite, je suis allé à Standford en 1977 pour faire un doctorat en science de l’informatique. Je me suis spécialisée sur la vision par ordinateur. J’ai enchaîné après avec un post-doc au Canergie Mellon University et au MIT sur la robotique, puis je suis retourné à Standford tout en gardant des contacts avec le MIT en 1984 pour travailler sur les robots mobiles et les interactions homme-robot.

Regrettez-vous d’avoir quitté votre carrière universitaire ?

Pas du tout ! Je trouve que c’est bien de changer. C’est pour ça que je suis allé au MIT. C’est pour ça que j’ai commencé iRobot et Roomba, que j’ai eu aussi avant une société de logiciel dans la Silicon Valley. En fait, j’ai toujours navigué entre sociétés privées et enseignement public. J’ai dirigé le plus gros labo du MIT, sur l’intelligence artificielle, durant dix ans avant d’arrêter. Je trouve que c’est sain de bouger et de ne pas s’installer dans une situation établie.

Quel a été votre rôle dans la création de la société iRobot ?

J’ai créé la société avec deux étudiants du MIT d’une vingtaine d’années. J’étais le leader parce que j’avais 36 ans, c’était moi le plus vieux !

Et votre place dans l’invention du robot aspirateur Roomba ?

J’ai programmé le système qui fait fonctionner Roomba, en fait. J’avais développé un logiciel que nous avions l’habitude d’utiliser avec de très petits microprocesseurs chez iRobot. Nous voulions l’essayer pour faire fonctionner des jouets. Et puis nous avons eu l’idée de nous en servir sur un robot aspirateur. Mais nous avons aussi développé des robots démineurs qui équipent aujourd’hui toute l’armée américaine et qui ont été utilisés en Irak ou en Afghanistan, par exemple.

Est-ce que Roomba a changé la perception du public vis-à-vis des robots ?

D’une certaine façon oui et d’une autre non. Parce que c’est si inoffensif ! Les gens ne réalisent même pas que c’est un robot. C’est tellement facile et ça fait tellement partie de leur vie. Cela s’appelle un robot mais pour ses utilisateurs c’est probablement un produit électro-ménager comme un autre. Mais je pense, en revanche, que Roomba a eu un gros impact sur les industriels. Ils se sont dit : oui c’est possible de miser sur des robots !

Et Rethink Robotics ?

J’ai fondé la société tout seul. J’avais passé beaucoup de temps en Chine dans les usines pour trouver un bon partenaire pour fabriquer Roomba. J’ai réalisé au début des années 2000 que ça ne pouvait pas continuer comme ça : toutes ces délocalisations en Chine pour produire à bas coût avaient leurs limites. Un jour, les ouvriers de là-bas allaient demander de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail. Et j’ai pensé qu’à ce moment-là les Européens et les Américains se poseraient la question de fabriquer de nouveau chez eux. Et c’est ce qui commence à se passer actuellement. C’est dans ce contexte que j’ai créé le robot Baxter, qui se veut une alternative à la délocalisation.

Pourtant les robots détruisent aussi des emplois ?

Les postes occupés par des robots sont ceux dont ne personne ne veut. La moyenne d’âge des ouvriers aux Etats-Unis est de 56 ans. Quand on me pose la question des emplois qui vont disparaître dans les usines, je dis toujours :

– « Avez-vous vraiment envie que vos enfants travaillent dans une usine ?

– Non, bien sûr que non !

– Alors, ce sont les enfants des autres qui doivent travailler dans des usines ?

– Non, pas vraiment »

Alors qu’est-ce qu’on fait pour la productivité ? Je pense que personne en France ou aux Etats-Unis ne voudrait travailler dans les conditions où travaillent les ouvriers chinois actuellement.

Quelle sont les spécificités de votre robot Baxter ?

Il est très flexible. Il a deux bras et surtout 7 degrés de liberté quand la plupart des robots industriels n’en ont que 6. Cela lui donne une grande mobilité, il peut s’orienter et se positionner de façon particulière et même opérer des mouvements circulaires. Il peut déplacer des articles d’un emplacement à l’autre tout en évitant les personnes qui se retrouvent dans son environnement. Il est aussi très facile à programmer pour des non spécialistes. Vous lui montrez des objets et des mouvements à effectuer et grâce aux caméras incorporées dans ses mains, il mémorise les actions par reconnaissance motrice. Enfin, c’est un robot collaboratif : l’homme et Baxter peuvent travailler côte à côte sans problème de sécurité.

Quels sont les prochains challenges à venir pour la robotique grand public et industrielle ?

Du côté industriel, ce sera la dextérité et la reconnaissance visuelle. Des robots de plus en plus performants et précis seront utilisés dans les entrepôts d’Amazon, par exemple. Du côté du grand public, je ne pense pas qu’on verra vraiment l’émergence des robots compagnons mais plutôt de robots qui effectueront leur tâche de façon autonome, comme le fait déjà Roomba.

Jusqu’où irons-nous ?

Je ne sais pas du tout. Je n’aime pas faire des prévisions. Dans les années 90, nous étions très proches du premier smartphone et pourtant nous ne nous doutions pas de la façon dont nous l’utiliserions aujourd’hui. Donc il est difficile de prévoir l’avenir !

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Amélie Charnay, entretien vidéo : Erwan Morice