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On a rencontré Daisy, le robot recycleur d’iPhone qui veut miner vos fonds de tiroirs pour sauver la planète

Apple porte bien sûr en son sein bien des péchés environnementaux du capitalisme exponentiel, celui qui mise sur la croissance infinie. Néanmoins, parmi les Big Tech, les fabricants de produits connectés, il est de ceux qui font le plus d’efforts pour tenter de préserver notre planète. Nous avons eu la possibilité de voir son robot démonteur d’iPhone, et d’entendre son troublant appel à vider nos tiroirs.

Bréda est une petite ville des Pays-Bas, avec son parc parcouru mollement par des canards impavides, sa reddition immortalisée par Vélasquez, ses pistes cyclables où les vélos filent sans se soucier des voitures, et avec, aux matins d’automne, un fin manteau de brume qui monte de la Mark et de l’Aa. Puis vient le soleil de Bréda. C’est sous cette brume et ce soleil qu’Apple a installé Daisy. La troisième génération de robot démonteur d’iPhone que ses ingénieurs ont mis au point, et que nous avons eu l’occasion de voir à l’œuvre tout récemment.

Il y a deux Daisy au monde, le premier se trouve à Austin, au Texas, et le second fait donc le siège de Bréda. Il est accolé à un centre de logistique et de réparation d’iPhone, pour la simple et bonne raison qu’on lui confie les smartphones d’Apple sans espoir, ceux qui sont trop vieux, trop tordus, trop cassés pour être réparés et remis sur le circuit. Ceux qui n’ont plus d’autre avenir que d’être désossés et recyclés au mieux.

Un renouveau vital : un recyclage à l’heure des smartphones

Car, c’est là tout l’enjeu évidemment. Apple a mis sur le marché entre 2012 – année de lancement de l’iPhone 5 – et 2018 (dernière année où il a communiqué de manière détaillée ses volumes de produits écoulés), l’équivalent de 1,322 milliard de smartphones et il fallait gérer l’après-vie de ces produits. Alors que le nombre annuel d’iPhone vendus franchissait allègrement les 100 millions, puis les 200 millions pour se caler à environ 240 millions désormais, un enjeu écologique (et économique) s’est imposé à Apple : comment recycler ces montagnes d’appareils ?

Une question d’autant plus urgente que le monde du recyclage, constatait Apple à l’époque, n’avait quasiment pas évolué depuis sa mise en place pour l’électroménager ou l’électronique classique. Autrement dit, les chaînes des principaux acteurs du recyclage ne prenaient pas en compte le grand changement qu’est le smartphone. Car nos téléphones intelligents n’ont pas seulement changé nos vies, mais aussi les volumes et besoins en matière de recyclage…

Un monde où on utilisait et utilise encore des moyens pas toujours très bien pensés et surtout adaptés. Les « shredders » ne sont pas très pertinents dans le cas d’un smartphone. Il faut dire que ces grosses roues dentées, qui déchiquettent les boîtiers des robots électroménagers pour séparer les quelques composants électriques du plastique en produisant des morceaux d’environ 2,5 cm ont bien de la peine avec des appareils si fins et compacts que nos smartphones.

Les tapis vibrants, pas plus que les rouleaux d’acier, davantage adaptés au recyclage des vieux ordinateurs ne sont pas adaptés. Le système de projection d’air pour écarter les films plastiques, autre grand classique, n’est pas d’une grande aide non plus, pas plus que les séparateurs magnétiques qui permettent de faire le tri entre les pièces métalliques et le reste. Une constatation s’est donc imposée rapidement à Apple : il allait falloir inventer un système plus efficace, pensé pour l’ère des smartphones.

C’est au cœur de son Material Recovery Lab et de sa ligne pilote que des ingénieurs, dont certains sont arrivés avec leur expérience dans la production des iPhone, que tout a commencé à se jouer. A la main d’abord, pour repérer les étapes les plus difficiles, puis en automatisant les processus, peu à peu, progressivement jusqu’à aujourd’hui…

Les batteries sont décollées des iPhone et récupérées par des opérateurs humains dans les petits silos cylindriques qu'on voit en bas de l'image.
Apple – Les batteries sont décollées des iPhone et récupérées par des opérateurs humains dans les petits silos cylindriques qu’on voit en bas de l’image.

Dernier représentant d’une petite décennie d’efforts

Car, Daisy est l’aboutissement d’un héritage et le fruit d’une année de travail seulement. Un temps de développement record qui a été rendu possible grâce à l’expérience acquise avec les deux versions de Liam qui l’ont précédé.
La première itération de Liam, développée entre janvier 2013 et septembre 2014, était une sorte de preuve de concept, capable de démonter un iPhone 5 en douze minutes. Liam 2, conçu entre janvier 2015 et mai 2016, mesurait 30 mètres de long, s’attaquait aux iPhone 6 seulement, et en venait à bout en 11 secondes !

Daisy est donc l’héritière de cette courte mais vive lignée. Ce robot est d’ailleurs plutôt une sorte de mini-chaîne de production, ou plutôt de déproduction d’iPhone. Elle comporte quatre étapes essentielles qui vont permettre à un smartphone d’être démantelé en 18 secondes environ – 18 secondes d’activité, car, une des phases requiert 30 secondes pendant laquelle il faut patienter.

  • Un démontage d’iPhone commence par son identification automatique alors qu’il défile sur un court tapis roulant. Une fois reconnu parmi les 22 modèles compatibles (de l’iPhone 5 aux iPhone 13), afin d’opérer le démontage en respectant les plans et spécificités, une pince va venir saisir l’iPhone pour l’approcher d’une sorte d’ouvre-boîte, qui va se débarrasser des deux vis qui bloquent l’écran, puis utiliser une sorte de racloir en acier pour détacher l’écran et les éléments qui y sont attachés. Cela clôt la première étape, et laisse les entrailles de l’iPhone bien visibles. On voit alors clairement la batterie.
  • La deuxième étape, phase clé, consiste à détacher cette batterie. Elle est maintenue en place par des bandes de colle très forte. Pour en venir à bout sans prendre trop de risque, les ingénieurs d’Apple utilisent un jet d’air extrêmement froid, à environ -80°C. C’est cette étape qui demande une petite pause de 30 secondes. Quand le froid a fait son effet, un bras va alors secouer l’iPhone jusqu’à ce que la batterie en tombe. Elle sera alors récupérée manuellement dans un sas par un opérateur humain.
    En effet, si on se concentre beaucoup sur la partie robotique, il faut préciser qu’il faut trois ou quatre personnes pour accompagner Daisy dans sa tâche. Pour mettre les iPhone à démonter dans une trappe, par exemple, pour préparer sommairement les batteries pour leur transport vers des spécialistes du recyclage, également, ou pour séparer les boîtiers en fonction de la qualité de leur aluminium…
  • La troisième étape ne fait pas dans la dentelle et rappelle clairement que ses iPhone ne sont plus en état de fonctionner. Il faut en effet maintenant ôter les nombreuses vis qui maintiennent en place les composants ou les renforts structurels des iPhone.
    Plutôt que d’utiliser un bras pour ôter chaque vis au risque d’être coincé en cas de tête défectueuse, les ingénieurs d’Apple ont opté pour une solution plus radicale. Un pic d’acier va venir perforer en quelques secondes et très précisément les différents emplacements des vis. Le boîtier est évidemment transpercé dans le même temps, mais peu importe, il ne servira plus jamais et sera certainement refondu par un recycleur partenaire.
  • Vient alors la quatrième étape, la dernière. Les composants ne sont plus fixés et peuvent donc être détachés. Le boîtier est alors secoué et les éléments tombent sur un tapis roulant qui va permettre de les séparer.

Suivre le dernier voyage d’un iPhone est impressionnant, presque… émouvant. Voir les bacs gigantesques emplis de modules caméras nous a fait penser, un brin lyrique, au célèbre monologue de Rutger Hauer, dans Blade Runner. C’est qu’ils en ont vu des choses, eux aussi, ces iPhone, peut-être pas aussi exotiques et lointaines que « de grands navires en feu, surgissant de l’épaule d’Orion » ou « des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la Porte de Tannhäuser… », mais des vies ont été saisies par ces yeux désormais morts.

Quoi qu’il en soit l’enchaînement des étapes est rapide, précis, rythmé par les chocs sourds des pistons et de la machinerie qui s’anime quand Daisy est à sa tâche. On est loin des pillons des usines Schneider qui secouaient une ville entière, évidemment, mais il y a là quelque chose de fascinant, d’inéluctable.

Apple a mis au point une chaîne automatisée, et parfaitement adaptée, à la déconstruction de ses iPhone. Il y a dans ces quelques mètres cubes de robotique à la fois une somme d’intelligence humaine assez impressionnante, et également la manifestation d’une véritable motivation.

Un objectif ambitieux, un cercle vertueux

Ou peut-être faudrait-il dire plusieurs motivations. Commençons par celle qui nous a, d’une certaine manière, le plus surpris. Tous les travaux et recherches qui tiennent Daisy debout sont accessibles gratuitement. Apple licencie sans charge ces technologies pour que ses concurrents ou tout acteur du recyclage qui le souhaite puissent adopter ces méthodes, nous a-t-on assuré. Une démarche qui semble d’autant plus logique que les ingénieurs d’Apple qui travaillent sur Daisy collaborent beaucoup avec des universités et des écoles spécialisées.

Sur ce point, il y a clairement une volonté de créer une réaction en chaîne, un effet domino, de faire en sorte que les autres acteurs du monde de l’électronique copient et suivent les pas d’Apple, voire qu’ils aillent plus loin.

L’autre motivation est économique. Cet effort doit être réalisé à égalité de coût, car il ne faut oublier – difficile en ce moment – qu’Apple est une société capitalistique. Il y a donc derrière chacun de ses projets une réalité financière. Et les projets environnementaux n’échappent pas à cette règle.

Toutefois, Apple a sur ce point une position claire, à défaut d’être originale. C’est Tim Cook, qui a eu l’occasion de l’expliciter, il y a presque dix ans, en 2014, face à un groupe d’actionnaires climatosceptiques qui s’opposait à des projets environnementaux qui n’auraient pas de bénéfices financiers.
Le patron d’Apple expliquait alors que les deux approches étaient conciliables, avant de se lancer dans une tirade mémorable :

« Nous faisons beaucoup de choses qui ne sont pas motivées par les profits. […] Nous faisons des choses parce qu’elles sont juste, et que c’est ce que nous sommes. C’est ce que nous sommes en tant que société. […] Quand je pense aux droits de l’Homme, je ne pense pas au retour sur investissement (en l’espérant que l’inverse ne soit pas vrai, NDLR), […] et dans un même esprit, je ne pense à la protection de l’environnement par le prisme du retour sur investissement ».

Une sortie qui s’était conclue par une proposition assez claire : si vous n’êtes pas d’accord, devenez actionnaire d’une autre société.

En l’espèce, il ne faut pas être béat, évidemment, mais pas non plus oublier que dans ce domaine Apple est réellement un des concepteurs de produits les plus avancés. Inutile de le nier, oui, il y a évidemment des intérêts économiques à recycler les matériaux contenus dans un smartphone. Apple en liste 14. Certains, comme l’or, le cobalt, le cuivre ou l’acier, sont facilement recyclables. D’autres ont un destin qui dépend vraiment des acteurs du recyclage à qui on les confie, on parle notamment de l’aluminium, du papier, du plastique, du verre ou encore du zinc. Et enfin, les derniers demandent le plus de précision dans le tri et dans le recyclage, il s’agit entre autres des terres rares, du lithium, du tantale ou du tungstène, plus difficiles à récupérer. D’ailleurs, pour ces derniers, Apple a conçu deux autres robots, installés en Asie et nommés Dave et Taz, qui permettent notamment de récupérer certains matériaux précieux dans les Taptic Engine de nos iPhone…

Mais derrière ces intérêts économiques flagrants, il y a aussi une volonté écologique réelle. Celle d’arriver à termes à ne plus miner certains matériaux, pas plus qu’il ne sera question de produire du nouvel aluminium, malgré les progrès qu’Apple a contribué à réaliser dans ce domaine.

Car, Apple s’est fixé un objectif très ambitieux, que la totalité de son activité soit neutre du point de vue de l’empreinte carbone d’ici 2030. Cette neutralité s’applique aussi et surtout à ses produits, sur tout leur cycle de vie. De la fabrication, qui a le plus lourd impact en énergie et effets environnementaux, au recyclage. Le géant de Cupertino veut atteindre une sorte de chaîne d’approvisionnement circulaire qui reposerait sur quatre étapes fondamentales.

  • La première, s’il faut en choisir une, est l’approvisionnement, sourcé et ayant le moins d’impact possible.
  • La deuxième étape est l’efficacité, énergétique notamment, lors de la fabrication, grâce à de nouvelles méthodes et approches. C’est là aussi que les programmes pour encourager les fournisseurs d’Apple à utiliser des énergies vertes jouent leur rôle. Ils sont plus de 200 maintenant.
  • La troisième repose sur la longévité des produits, plus durables car résistants, réparables plus facilement (il y a encore du travail, même si les iPhone 14 et 14 Plus sont encourageants avec leur nouveau design interne).
  • Enfin, la quatrième et dernière, qui pourrait être la première également, est la récupération. C’est là qu’intervient Daisy. C’est là qu’est en fait le cœur de cet effort qui visent à retirer chaque année des dizaines de millions de tonnes métriques de CO2 de l’atmosphère de la meilleure manière qui soit, en ne les émettant pas.

Un trésor enfoui que vous seul pouvez déterrer

C’est là qu’est tout l’enjeu, sans ce quatrième point, le cercle vertueux sera toujours un peu elliptique, bancal, imparfait. D’où l’importance de Daisy, qui peut abattre à lui seul 1,2 million d’iPhone par an avant d’en dispatcher les restes auprès des acteurs du recyclage compétents. 1,2 million, c’est beaucoup et en même temps dérisoire. Avec ses deux Daisy, Apple peut démonter pour recyclage 2,4 millions d’iPhone par an, quand il en met environ 240 millions sur le marché…

Pourquoi ne pas fabriquer plus de Daisy ? Tout simplement parce qu’actuellement aucune des deux unités, américaine ou européenne, ne tourne à plein rendement. Aucune n’atteint son maximum.

Pour quelle raison ? C’est assez simple. Les humains ont avec leur smartphone les mêmes rapports que les dragons avec leur trésor. Ils les gardent auprès d’eux, dans un tiroir, les y oublient, quand ils ne finissent pas, assez bêtement, par les balancer dans une poubelle quelconque, sans les recycler…

Une étude de la Commission européenne, titrée Study on options for return schemes of mobile phones, tablets and other small electrical and electronic equipment in the EU, publiée en juin dernier, estime que 40 à 60% de nos smartphones finissent leur vie dans un tiroir. Ce sont donc des tonnes de matériaux recyclables essentiels qui gisent quasiment sous nos pieds. Il y a une expression pour cela, qui résume parfaitement cette réalité, on parle de « gisement urbain ».

Alors, en attendant qu’Apple se décide à ne pas sortir un iPhone tous les ans – on peut toujours rêver – faisons en sorte que Daisy ait à manger à sa faim. Cela fera de la place dans vos tiroirs – bien entendu, réinitialisez votre iPhone avant de vous en séparer. Et cela contribuera à lutter contre la destruction de notre planète. Que vous aimiez Apple ou non, avouez que concernant la Terre, on lui doit bien ça… Et puis il est si beau de voir la brume et le soleil se lever sur Bréda.

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Pierre FONTAINE