La course à la globalisation des services prend une nouvelle dimension. Les SSII occidentales renforcent leurs investissements en Inde quand leurs homologues de ce pays tentent de se frayer un chemin sur le marché européen.
Un bras de fer semble s’être engagé entre les poids lourds des services informatiques. Depuis six mois, les grandes SSII internationales se livrent à la surenchère en matière de recrutement et d’investissement en Inde.
Capgemini, EDS et IBM, notamment, ont annoncé une augmentation significative de leurs effectifs sur le sous-continent. En juin dernier, IBM a déclaré vouloir y investir 4,6 milliards d’euros supplémentaires sur les trois prochaines
années. Il est déjà le plus gros employeur informatique en Inde, avec environ 43 000 salariés répartis dans 14 villes. EDS, dont la filiale indienne ne comptait jusque-là que 3 000 salariés, a fait un bond en avant avec le
rachat, en juin, de 51,4 % du capital de Mphasis, une société indienne spécialisée dans l’externalisation, employant 12 000 personnes. La SSII américaine va ainsi porter le nombre de ses employés indiens à
20 000 d’ici à la fin de l’année.
Capgemini accélère le mouvement
Cet été, Capgemini a passé le cap des 5 000 salariés en Inde. La société n’en comptait que 500 en 2003. ‘ Depuis cette époque, nous connaissons une croissance de 80 % par an en
Inde ‘, revendique Gilles Taldu, directeur de la production du groupe Capgemini. La moitié des effectifs de Capgemini en Inde travaille pour des clients européens, et l’autre pour des compagnies américaines. La
première SSII française a annoncé un plan de recrutement grâce auquel elle devrait atteindre un effectif de 10 000 employés indiens d’ici la fin 2007. A cette date, le pays se situera au deuxième rang des filiales du groupe en
nombre de salariés.
Le ‘ phénomène offshore ‘ n’est pas nouveau. Depuis trois ans, les sociétés de services internationales ont lancé de vastes programmes afin de disséminer géographiquement des centres de production partagés.
Une véritable industrialisation du marché des services informatiques est en marche. Mais le phénomène s’accélère. La raison ? Au-delà de la pression récurrente sur les prix, de nouveaux facteurs apparaissent, qui poussent les SSII à
délocaliser davantage les projets.
Tensions sur le marché de l’emploi
Sans parler de pénurie, les profils d’ingénieurs recherchés sont désormais difficiles à trouver sur les marchés européens. D’où la volonté de ces SSII d’investir davantage en Inde. ‘ Depuis
trois mois, on observe une forte pression sur le marché du travail. L’embauche d’ingénieurs devient insuffisante pour satisfaire la demande en France, en Allemagne et en Espagne ‘, constate Hubert Tardieu,
vice-président exécutif conseil et intégration de systèmes chez Atos Origin.
La multiplication de grands contrats d” application management ‘ (TMA) contenant une composante offshore explique aussi cette accélération. ‘ Dans les contrats multisites de plus de
50 millions d’euros, une fois la productivité améliorée, l’offshore est l’autre pan majeur de réduction des coûts ‘, poursuit Hubert Tardieu. Il n’est pas rare que les réductions de coûts
demandées par les clients avoisinent les 40 % sur ces contrats pluriannuels. Le poids des marchés financiers participe également à cette ruée sur la route des Indes. Afin de répondre à l’obligation d’accroître leur marge
opérationnelle, les SSII sont contraintes de délocaliser une partie de leurs projets. Aux yeux des analystes financiers, l’effectif d’une société en Inde est ainsi devenu un critère d’appréciation du potentiel de croissance
d’une SSII. En septembre dernier, la banque d’affaires Morgan Stanley s’inquiétait, par exemple, de la sous-exposition d’Atos Origin en Inde, où le groupe ne compte que 6 % de ses salariés, contre 9 à 10 % pour
Capgemini et LogicaCMG.
Enfin, après une adoption précoce dans les pays anglo-saxons, l’offshore gagne les autres pays. ‘ En Europe, l’offshore a d’abord été adopté par le Royaume-Uni, puis par les pays nordiques. Il
décolle désormais en Allemagne et en France, constate Dominique Raviart, analyste chez Ovum. Capgemini déclare ainsi qu’il n’a pas assez de personnes en Inde pour travailler pour des clients
français. ‘ De leur côté, après avoir éprouvé leurs centres de services partagés au niveau local, les SSII commencent à digérer le mode de fonctionnement de l’offshore.
L’Europe encerclée par les Indiens
La montée en puissance des SSII occidentales en Inde est aussi une réponse à la politique de leurs homologues indiennes. Depuis deux ans, celles-ci multiplient les emplettes sur le Vieux Continent. En particulier, Wipro, qui a fait de
la stratégie dite du ‘ collier de perles ‘ ?” ou politique d’encerclement ?” son credo. La proie type : une SSII de 50 à 100 personnes avec une activité de conseil. Des acquisitions
ciblées et discrètes, ne dépassant pas les 50 millions d’euros. ‘ Les Indiens cherchent avant tout à gagner de nouvelles références et une compréhension du marché local ‘, observe
Jean-François Perret, PDG de Pierre Audoin Consultants.
Dans la course contre la montre qui se joue, les ‘ maharadjas ‘ du service informatique pourraient toutefois être tentés de changer de braquet. Info ou intox, les déclarations volontaristes ont fusé cet été. Tata
Consultancy Services (TCS) serait en négociation avec la société d’externalisation britannique Vertex, valorisée quelque 800 millions de dollars. De son côté, Senapathy Gopalakrishnan, DG d’Infosys, a fait part à Reuters
d” acquisitions stratégiques ‘ en France ou en Allemagne ‘ afin de se développer plus vite ‘.
Avec une capitalisation boursière deux à trois fois supérieure à celle de Capgemini, les Tata, Infosys ou Wipro peuvent s’emparer de n’importe quel acteur européen. Du moins sur le papier. Car passer en force à la Mittal
serait du plus mauvais effet. Le secteur des services informatiques n’est pas celui de la sidérurgie. Le seul précédent d’une OPA hostile ?” celle de la Compagnie des signaux (devenue CS) sur Steria ?” avait
échoué face à la levée de boucliers des salariés.
Cap sur les pays francophones ‘ low cost ‘
Les SSII indiennes peuvent aussi s’autoriser le luxe de continuer de faire prospérer leur modèle économique, fondé sur une représentation commerciale et technique dans le pays d’accueil, et sur des équipes dédiées en Inde
dans un ratio de un pour trois. Sur ce schéma, Infosys avance en France une croissance organique de 30 à 35 % par an depuis 2001. Acheter une société française, ‘ centre de coûts ‘ dans un premier temps, briserait
cette belle rentabilité.
D’autant que les SSII indiennes opèrent déjà depuis des pays francophones ‘ low cost ‘. Un moyen de combler le manque de ressources s’exprimant en français en Inde. Infosys possède ainsi un centre à
Maurice et un autre à Brno, en République tchèque. Ouvert en 2004 avec 30 salariés, ce dernier devrait atteindre les 350 employés en début 2007, dont au moins 20 % parlant la langue de Molière. TCS envisagerait, lui, de
s’implanter au Maroc, selon une confidence d’Aziz Rabbah, chargé de mission au ministère des Affaires économiques du royaume chérifien.
En multipliant les implantations à l’international, les SSII indiennes sont devenues ‘ globales ‘. Un changement de dimension, qui leur permet de proposer la meilleure ressource au meilleur endroit. Une
certaine condescendance occidentale vis-à-vis des Indiens, relégués au rôle de simples exécutants, n’est plus de mise. Dans un beau revirement de situation, Infopro Worldwide a récemment envoyé des ingénieurs français dans son centre de New
Delhi afin de ‘ mixer les équipes ‘.
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